Malgré des signes de développement encourageants, l’industrie aérienne africaine est ralentie par l’absence de projets d’infrastructure transnationaux par Aggrey Mutambo
Un décollage au ralenti
Malgré des signes de développement encourageants, l’industrie aérienne africaine est ralentie par l’absence de projets d’infrastructure transnationaux par Aggrey Mutambo
Le besoin en infrastructures aéroportuaires modernes est plus fort qu’auparavant. L’Afrique se développe et les gens ont besoin de se déplacer plus rapidement pour leur travail, indépendamment de leur origine.
Alexandre Mbiam, conseiller stratégique et financier, Ashdown Advisory
À l’aéroport principal de Bole à Addis-Abeba enÉthiopie, des ingénieurs chinois et locaux en casques et salopettes travaillent 24/24 sur un terminal passager. Depuis que les Entreprises d’aéroports éthiopiennes (EAE) ont annoncé leur ambitieux programme de développement il y a deux ans, ce cycle de 24 heures a occupé tout leur temps.
Estimé à 350 millions de dollars, le projet devrait être achevé d’ici fin 2017 et a été confié à China Communications Construction Co. Ltd. (CCCC) avec un accord de financement de la Banque d’lmport-Export de Chine. Selon un profil de développement des EAE, la société d’architecture singapourienne CPG Corp. participe également à la conception. Une fois terminés, déclare Hiwot Mosisa, directrice générale adjointe des EAE en charge de l’infrastructure et de l’installation aéroportuaire, les aéroports de Bole à Addis-Abeba arriveront à maturité, reliant la région au monde extérieur en transportant davantage de passagers.
L’aéroport international de Victoria Falls au Zimbabwe est un exemple de la construction d’infrastructures aéroportuaires par la Chine en Afrique.
Le gouvernement éthiopien investit massivement dans l’aviation. Le pays a récemment annoncé qu’il construirait un nouvel aéroport en périphérie de la ville. D›un coût pouvant aller jusqu›à 4 milliards de dollars, l›installation devrait être terminée d›ici 2024 et comportera jusqu›à quatre pistes standard, selon les informations publiées par les EAE. Aujourd’hui, cinq autres aéroports régionaux et pistes d’atterrissage sont modernisés dans le pays pour un coût de 105 millions de dollars. Les EAE indiquent que ces cinq aéroports, dont la modernisation devrait être terminée en 2019, faciliteront le transport aérien à l’intérieur du pays et, par conséquent, relieront les principales villes et ouvriront l’arrière-pays aux investisseurs.
L’engouement de l’Éthiopie pour la modernisation de son infrastructure aérienne n’est pas un cas isolé. Au Kenya, pays voisin, deux projets principaux d’une valeur de 650 millions de dollars permettront une rénovation en profondeur des aéroports dans les comtés de Malindi et d’Embu, a déclaré Irungu Nyakera, secrétaire permanent des transports, à CHINAFRIQUE, ajoutant que les projets devraient être achevés avant 2018.« Malindi est une ville touristique, une modernisation encouragera plus de compagnies aériennes à y atterrir directement, ce qui entraînera une croissance touristique », a-t-il expliqué en marge de la conférence à Nairobi.
En Afrique, environ 10 projets aéroportuaires impliquant soit la reconstruction d’anciens aéroports soit la construction de nouveaux sont actuellement en cours. Selon les prévisions budgétaires pour ces projets, l’Afrique y consacrera environ 35 milliards de dollars.
Cette extension alimente également les investissements par les transporteurs. Selon une analyse réalisée par Seabury Group, une entreprise mondiale de conseil et de services professionnels basée aux États-Unis, les compagnies aériennes africaines ont fait 39 commandes d’avions commerciaux en 2016, à Boeing comme à Airbus. Le tiers a été commandé par Ethiopian Airlines. Étant donné que seules quatre grandes compagnies aériennes (Ethiopian Airlines, Kenya Airways, South African Airways et EgyptAir) font partie d’alliances mondiales, le groupe prévoit davantage de partenariats dans le transport aérien, en particulier entre les grands et les petits opérateurs.
« Le besoin en infrastructures aéroportuaires modernes est plus fort qu’auparavant. L’Afrique se développe et les gens ont besoin de se déplacer plus rapidement pour leur travail, indépendamment de leur origine », a déclaré à CHINAFRIQUE Alexandre Mbiam, conseiller stratégique et financier à Ashdown Advisory, cabinet de conseil. « Cette croissance implique que l’investissement dans les infrastructures n’est plus optionnel mais obligatoire pour les pays africains », a-t-il ajouté.
Pour Mbiam, économiste camerounais, l’urbanisation rapide du continent implique qu’à l’avenir, de plus en plus de gens voyageront par les airs. L’Association pour le transport aérien international (IATA en anglais) affirme que 70 millions de personnes ont voyagé par les aéroports africains en 2015, créant environ 7 millions d’emplois tant directs qu’indirects et soutenant une croissance annuelle dans l’aviation de 5 %. Ces investissements, a-t-il ajouté, sont nécessaires pour remplacer les infrastructures archaïques communes en Afrique ainsi que pour améliorer la sécurité des transports sur le continent, considérée comme la pire au monde.
L’Afrique compte déjà certains des aéroports les plus fréquentés. L’Afrique du Sud, l’Égypte, le Nigéria, le Kenya, le Maroc et la Tunisie ont un total combiné de plus de 100 millions de passagers chaque année selon l’IATA. Pour le fret, les principaux aéroports de Nairobi, Le Caire, Addis-Abeba, Johannesburg et Lagos transportent un poids combiné de 1,24 million de tonnes. Ces pays sont parmi les premiers signataires de la déclaration de Yamoussoukro en 1991 pour libéraliser l’espace aérien comme moyen de développer l’industrie aérienne. Connu sous le nom de Marché unique de l’aviation, 44 pays d’Afrique ont signé le traité pour éliminer les obstacles au transport aérien et défini des normes communes pour la sécurité aérienne.
Lors d’un discours adressé à l’Union africaine (UA), Nkosazana-Dlamini Zuma, alors présidente de la commission de l’UA, a rendu un hommage particulier au Rwanda, à l’Éthiopie, à l’Afrique du Sud, au Nigéria et au Kenya pour avoir ouvert la voie de l’aviation, et a déclaré que davantage de pays devaient participer à cette croissance. « Nous devons encourager d’autres pays à se joindre à l’UA afin d’ouvrir leurs espaces aériens à tous les pays africains », a-t-elle déclaré.
Selon les données de la Banque mondiale, le marché du transport aérien intra-Afrique reste largement sous-desservi. À 32 %, l’Afrique traverse l’Europe (51 %), l’Amérique du Nord (66 %) et l’Asie (68 %). En effet, cinq transporteurs africains d’Éthiopie, d’Égypte, du Maroc, d’Afrique du Sud et du Kenya transportent les deux tiers des passagers en Afrique depuis 54 pays, selon l’analyse du groupe financier Ascend. Cela rend le transport aérien cher par rapport à d’autres endroits.
« Nous manquons toujours d’installations modernes en Afrique. Le transport aérien est toujours sous-développé. Partout en Afrique, un problème de manque d’installations spécialisées persiste, pour transporter des marchandises sensibles, par exemple. Dans certains endroits, il n’y a même pas assez de places de parking pour les voyageurs », a déploré Sanjeev Gadhia, PDG d’Astral Aviation Ltd., un transporteur de fret basé à l›aéroport international Jomo Kenyatta de Nairobi.
En effet, les compagnies aériennes africaines attendaient une perte combinée de 500 millions de dollars en 2016, selon l’IATA. Kenya Airways, par exemple, accumule les pertes depuis 2014. En 2016, une perte de 258 millions de dollars a été annoncée, selon les données de l’entreprise. Pour Gadhia, les améliorations soutenues actuelles de l’infrastructure permettront au transport aérien en Afrique de décoller. Mais il recommande également une formation suffisante du personnel des aéroports, des partenariats public-privé pour alléger les coûts, ainsi que ce qu’il appelle une « interface » entre le transport aérien et les autres modes de transport. CA
(Reportage du Kenya)