XING WEN, membre de la rédaction
La quatrième révolution industrielle est là
XING WEN, membre de la rédaction
B ig data, impression en 3D, intelligence artificielle : des termes nouveaux qui entrent dans notre vocabulaire alors que les PME innovantes bourgeonnent. Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, la quatrième révolution industrielle, basée sur l’industrialisation intégrée et l’informatisation, est là.
Notre avenir dépend de notre capacité à comprendre et à former dans un sens positif cette révolution afin qu’elle serve l’humanité dans son ensemble. Telle était formulée la thématique principale de la 10eRencontre annuelle des nouveaux champions (plus connue sous son appellation Forum d’été de Davos), qui s’est tenue à Tianjin en juin, proposant des discussions entre représentants des sphères politiques, économiques et académiques.
« Dans l’histoire jusqu’ici, une stagnation économique s’accompagnait souvent d’une explosion de l’innovation », expliquait le vice-ministre de l’Industrie et de l’Informatisation Feng Fei. Si l’on s’en tient à cette interprétation, la quatrième révolution industrielle s’est produite après la crise financière de 2008, grâce à la fusion en profondeur entre les technologies de l’information et celles de l’industrie.
Cette révolution devrait accroître sensiblement la productivité et donner une forme nouvelle aux mécanismes économiques du futur. Le sur mesure à grande échelle viendra remplacer la fabrication de masse, et le cycle de vie d’une entreprise, la période pendant laquelle elle peut dominer un marché, vont inéluctablement se réduire. En même temps, cela offre une opportunité à l’économie globalisée de changer de mode de développement. Grâce à l’effet des technologies, mais aussi d’outils et de matériaux révolutionnaires, les industries traditionnelles doivent maintenant se moderniser et quitter un modèle trop dépendant des ressources naturelles vers un autre modèle propulsé par les ressources humaines et l’innovation.
« La Chine a autrefois compté sur son dividende démographique et sur la production de masse. Cependant, ce modèle ne peut plus répondre de façon adaptée à l’émergence de nouveaux défis », prévient Ma Weihua, président du conseil du Clubdes entrepreneurs chinois. Stimulée par la nouvelle révolution industrielle, on assiste à une intégration accélérée des moteurs de croissance anciens et nouveaux de l’économie chinoise. Des industries traditionnelles ont révélé leurs limites en termes de capacité à entraîner une croissance forte. Avec leurs coûts qui s’accroissent, les industries en perte de compétitivité doivent maintenant prendre rapidement et en douceur la porte de la sortie, pour permettre à de nouvelles industries plus prometteuses de se développer. La mise au rancart des capacités de production obsolètes et le traitement des problèmes de surcapacités est dès lors un élément inévitable au cœur du processus de transformation économique. Même s’il ne s’agit pas d’une opération facile, elle pourrait libérer des formes de consommation autrefois réprimées et créer de nouveaux marchés, comme le suppose le Pr. Huang Yiping de l’École nationale de développement au sein de l’université de Beijing.
Aux yeux de Ma Weihua, le talon d’Achile de la Chine réside dans sa faible capacité d’innovation technologique et de commercialisation qui obère sa transformation et sa montée en grade. Une opinion qui est partagée par Long Guoqiang, vice-président du Centre de recherches sur le développement du Conseil des affaires d’État. M. Long pense que la transformation des industries traditionnelles par des technologies nouvelles est la solution alors que la quatrième révolution industrielle progresse, et que les sociétés chinoises devraient se diriger vers des secteurs plus demandeurs de capitaux et de technologies.
Apporter un soutien robuste à la transition économique va nécessiter la poursuite de la mise en pratique de la stratégie chinoise de développement basé sur l’innovation. Le moteur principal du développement qu’est l’innovation est encouragé aussi bien par la nouvelle économie que par les industries traditionnelles. Ces dernières années, le gouvernement chinois a lancé un appel fort en faveur de l’innovation technologique et institutionnelle, mettant en place des incitations fiscales pour soutenir l’innovation et le développement d’industries nouvelles. Entre-temps, le lancement de politiques sectorielles différenciées a permis de promouvoir aussi bien la transformation d’industries traditionnelles que le progrès de secteurs nouveaux. Propulsés par des plans d’action, notamment visant l’entreprenariat et l’innovation pour tous, Internet+ ou Made in China 2025, des secteurs variés ont suivi un mouvement constant d’intégration, donnant naissance à des industries nouvelles, à de nouvelles formes d’entreprise et à de nouveaux modèles économiques.
Le lancement des nouveaux produits Xiaomi, le 10 mai 2016.
Afin de survivre dans cette nouvelle révolution industrielle, toute entreprise doit s’efforcer d’avancer vers une innovation technologique permanente et doit répondre rapidement aux différents changements qui se produisent à l’ère d’Internet. Les facteurs clés d’une transformation réussie résident dans des modes de production sur mesure et flexibles permettant de répondre au plus près aux différents besoins des consommateurs, dans l’amélioration constante des modes de production, de gestion et de marketing, ainsi que dans la refonte des chaînes industrielles, d’approvisionnement et de valeur. La technologie Internet a rendu possible la circulation de masses considérables d’informations entre l’offre et la demande. Par ailleurs, elle facilite la coopération entre les entreprises et le partage des coûts de recherche-développement aussi bien que ceux de l’expertise et des savoir-faire professionnels. En outre, Internet permet de regrouper les ressources intellectuelles mondiales et d’offrir des solutions à toutes sortes de problèmes.
La société chinoise Xiaomi Corp. est un bon exemple de l’usage qui peut être fait de l’Internet dans la production de matériel et de logiciels. Lei Jun, fondateur et PDG de la société, attribue les progrès de Xiaomi depuis ses débuts en tant que fabricant de smartphones jusqu’à son statut actuel de troisième société d’e-commerce du pays à « la combinaison de l’économie Internet et de celle du réel. » Par différentes innovations telles que la production et les stocks en commun, Xiaomi a établi un écosystème de production d’équipements dont les produits comprennent désormais des smartphones, des postes de TV, des autocuiseurs, entre autres. En mêmetemps, ses investissements dans diverses plateformes en ligne ont permis à la société de construire un autre écosystème, logiciel celui-là, qui offre une richesse de contenus et d’applications à ses équipements. De plus, Xiaomi simplifie la chaîne d’approvisionnement grâce aux technologies Internet, offrant aux consommateurs des produits qui présentent un meilleur rapport coût/performance. M. Lei a exprimé sa volonté d’aider d’autres entreprises à s’inspirer du mode Xiaomi, une approche qui, selon lui, conduira à des progrès dans tous les secteurs.
Inévitablement, la montée en gamme d’un secteur produit des effets sur d’autres secteurs, et provoque la naissance d’autres secteurs. Dans un sens, la nouvelle révolution industrielle ne représente pas nécessairement une calamité pour les industries traditionnelles. Travis Kalanick, PDG et fondateur d’Uber Technologies, a souligné ce point : l’économie du partage produite par la quatrième révolution industrielle a effectivement créé un écosystème entrepreneurial. Si l’on prend pour exemple sa société, basée sur la théorie de l’économie du partage, cette plateforme Internet de partage des trajets a permis à des personnes de travailler suivant leurs propres contraintes de temps grâce à une mise en rapport efficace entre l’offre et la demande des conducteurs et des clients. Plutôt que des employés soumis à un régime de travail rigide, chacun de nous a aujourd’hui le droit de fonctionner sur un mode plus flexible et de s’aventurer jusqu’à un certain point dans l’entreprenariat. M. Kalanick fait remarquer l’écosystème qui s’est formé sous le mode « Internet plus transport ». Il s’est également félicité de l’attitude du gouvernement qui embrasse et encourage l’entrepreneuriat et l’innovation, plaçant la Chine aux tous premiers rangs des écosystèmes entrepreneuriaux.
Alors qu’elles s’ajustent et s’adaptent en permanence à de nouveaux modes de développement, les sociétés influencent en même temps d’autres secteurs traditionnels. Liu Zhen, responsable de la stratégie à Uber Chine, a remarqué la croissance du nombre des nouveaux usagers de sa plateforme de transport qui est en train de modifier le secteur de la construction automobile, mais aussi celui de la conception des routes, des assurances, des modes de paiement, pour n’en nommer que quelques-uns.
Les entreprises chinoises des secteurs traditionnels se modernisent, de nouvelles sociétés se développent, lançant des défis sans précédent à la croissance des multinationales en Chine.
Les nouveaux moteurs de croissance jouent un rôle vital dans la modernisation des secteurs traditionnels. Si l’on en croit Feng Fei, plusieurs scénarios favorables ont été observés. Par exemple, l’industrie intelligente a désormais sa place dans la sidérurgie et le mode sur mesure s’applique au textile et aux vêtements. La ville hôte du forum cette année présente elle aussi des perspectives prometteuses en termes de transformation et de modernisation. Tianjin est depuis longtemps l’une des principales bases industrielles chinoises, et elle s’est développée pendant des décennies sur des secteurs traditionnels. Ces dernières années, cependant, ses moteurs de croissance sont en train de se transformer dans un sens qui inclut les matériaux nouveaux et les nouvelles énergies, comme les biotechnologies et les véhicules électriques. En même temps, Tianjin investit plus dans les industries de pointe à l’étranger que dans les secteurs traditionnels et s’est reconvertie, passant des acquisitions de ressources vers des acquisitions de technologies.
Les entreprises chinoises des secteurs traditionnels se modernisent, de nouvelles sociétés se développent, lançant des défis sans précédent à la croissance des multinationales en Chine. Et pourtant, ces développements ne semblent pas entamer leur confiance dans le marché chinois. L’étude conduite par Accenture Strategy et FT Intelligence sur les stratégies des entreprises en septembre 2015 a révélé que 71 % des 119 personnes interrogées, parmi lesquelles des hauts dirigeants de sociétés transnationales installées en Chine, prévoient d’accroître leurs investissements en Chine ces prochaines années. Dans son dialogue avec certains chefs d’entreprises participant au forum du mois de juin, le premier ministre Li Keqiang a souligné que l’engagement de sociétés étrangères est une des clés de la modernisation industrielle de la Chine grâce aux nouvelles technologies et à l’expérience managériale qu’elles apportent et qui peut servir aux entreprises chinoises. En outre, écouter et adopter les desiderata de ces entreprises peut aider le gouvernement chinois à améliorer ses institutions et à leur proposer de meilleurs services. « La Chine reste le marché le plus prometteur au monde pour les investissements étrangers et devrait rester la destination d’investissement la plus profitable », a affirmé le premier ministre.
Pour faire face à un marché changeant au milieu de la nouvelle révolution industrielle, les entreprises multinatio-nales devront porter toute leur attention au marketing de précision et à l’esprit d’innovation, deux facteurs clés si elles veulent réussir sur le marché chinois. En même temps, l’importance de la collaboration avec les entreprises locales ne devrait jamais être sous-estimée. Jaguar Land Rover, par exemple, a créé une joint venture avec le constructeur automobile chinois Chery afin de mieux s’adapter aux exigences des consommateurs locaux. Par ailleurs, Uber a exprimé son intérêt pour une coopération avec les PME chinoises, afin de mieux contribuer à la transformation économique du pays.
L’arrivée d’Uber à Kunming (Yunnan), le 27 juin 2016.
Bien qu’elle se trouve engagée dans une transition difficile, la Chine est confiante des avantages bien à elle. Mio Takaoka, directeur exécutif du Bureau de planification des nouvelles entreprises du groupe japonais Monex, est convaincu que la Chine dépasse ses concurrents en termes d’environnement favorable à l’innovation, de professionnels dotés de perspectives globales et de pionniers au solide esprit d’entreprise, ainsi que par le nombre considérable de clients qui accueillent à bras ouverts les nouveaux produits et services. Feike Sijbesma, président de la société multinationale néerlandaise Royal DSM et l’un des conférenciers principaux de la rencontre de cette année a également exprimé sa confiance dans le marché chinois. D’après lui, les fondamentaux de l’économie chinoise restent positifs. Par ailleurs, le pays possède d’excellentes infrastructures et une classe moyenne en pleine croissance. Partageant l’expérience de Royal DSM, qui s’est transformée depuis ses origines de société houillère vers un conglomérat actif dans les secteurs de la santé, de la nutrition et des matériaux, M. Sijbesma a suggéré que les sociétés chinoises devraient continuer d’étudier diverses philosophies de développement au moment où elles cherchent à se débarrasser de leurs produits en fin de vie et à s’aventurer vers de nouveaux horizons.
Alors que la technologie avance à une allure aussi rapide, un sentiment d’incertitude pour l’avenir est perceptible dans le monde entier. La clé, si l’on veut profiter de l’explosion des technologies nouvelles, est de vaincre ses craintes et de s’engager dans la coopération, d’accepter les échecs temporaires. « Le pardon devrait faire partie des valeurs fondamentales de la condition humaine si l’on veut que les gens surmontent leurs peurs. C’est-à-dire que nous devons pardonner aux gens leurs erreurs si nous voulons les encourager à innover, » affirme R. May Lee, doyen de l’École d’entrepreneuriat et de gestion de l’université ShanghaiTech. De plus, un excellent leadership se révèle également très important pour permettre de surmonter les craintes dans des périodes de volatilité importante des marchés. « Les dirigeants doivent être bien plus clairs et affirmatifs lorsqu’ils expliquent leur vision du futur », observe Marc R. Benioff, président de Salesforce. À ses yeux, alors que le pays fait face aux défis de la transformation de son économie au milieu des pressions à la baisse, les dirigeants chinois ont proposé une vision du long terme séduisante.
Malgré tout, les défis ne devraient pas assombrir le tableau ni cacher les profits qu’apporte la révolution aux hommes. Nav deep Bains, ministre de l’Innovation, de la Science et du Développement économique du Canada, un autre des conférenciers principaux de la rencontre, ne considère pas l’émergence de cette quatrième révolution industrielle comme un défi, mais plutôt comme un appel à ce que ses fruits bénéficient à la majorité et non pas à une petite minorité. Les plateformes du Cloud sont un exemple de technologie nouvelle qui a rassemblé diverses voix, inspiré des idées importantes, et finalement reflète l’opinion publique par les décisions qui ont été prises pour mettre en place ce système.
Maintenant que la quatrième révolution industrielle est là, il pourrait être sage de jeter l’ancre, de se focaliser sur le long terme et de profiter de l’instant en le partageant, ce qui est la meilleure façon d’accueillir l’avenir.