LI YING, membre de la rédaction
Un trésor culturel: les peintures rupestres le long de la rivière Zuojiang
LI YING, membre de la rédaction
L e massif montagneux Huashan, qui s’est constitué sur une faille de pics et de gorges, longe les bords de la rivière Mingjiang, à 25 km environ au sud-ouest de la ville de Chongzuo, dans le Guangxi. Des falaises du mont Huashan dominent la rivière pour former une muraille concave. Pendant les 7 siècles situés entre le Vesiècle av. J.-C. et le IIesiècle de notre ère, le peuple luoyue a vécu dans cette zone qu’il a marquée de son empreinte sous la forme de peintures sur les hautes falaises bordant les méandres de la rivière. Ces immenses pétroglyphes d’un rouge ocre dépeignent les cérémonies sacrificielles que l’on dédiait aux dieux et aux ancêtres voici 2 000 ans. Ces peintures rupestres, les falaises, la rivière Mingjiang et la plaine qui s’étend de l’autre côté composent un paysage culturel d’une singularité fascinante. Nous nous trouvons ici au cœur des mondialement célèbres peintures du mont Huashan.
Les falaises couvertes de peintures rupestres.
Ceux qui ont visité le mont Huashan admirent son caractère majestueux, mais sont plus impressionnés encore par ses peintures : comment le peuple luoyue est-il parvenu à appliquer des peintures sur ces vertigineux versants à pic voici deux mille ans, et avec quels équipements rudimentaires ? Pourquoi les peintres risquèrent-ils leur vie pour faire cela ? Quel type de pigments a pu ainsi résisterà l’usure du temps en dépit du vent et de la pluie, pendant des millénaires ? Le charme magique et l’énigme éternelle de ces peintures rupestres ont attiré une multitude de scientifiques et de visiteurs,chinois ou étrangers, désireux de voir de leurs propres yeux cette magnificence.
On trouve des falaises peintes tout le long de la vallée de la rivière Zuojiang qui traverse le Guangxi dans les environs de Ningming, Longzhou, Chongzuo et d’autres villes et districts. Les peintures sont présentes principalement sur les falaises larges, lisses et verticales au détour d’un méandre de rivière, et le mont Huashan en est sans doute l’un des meilleurs exemples. C’est la peinture rupestre la plus grande et la mieux conservée à ce jour en Chine.
Les peintures du mont Huashan témoignent des traditions de sorcellerie qui avaient cours dans le peuple luoyue qui, ancêtre de l’ethnie zhuang, habitait le bassin de la rivière Zuojiang depuis la période des Royaumes combattants (475-221 av. J.-C.) jusqu’à la dynastie Han de l’Est (25-220).
Les peintures rupestres se faisaient par moulage à plat, soit par une projection préliminaire des motifs monochromes qui étaient peints par la suite. La falaise du mont Huashan s’élève à 345 m au-dessus du niveau de la mer et surplombe la rivière Mingjiang. Cette falaise longue de 221 m et haute de 140 m porte 11 groupes de fresques, avec un total de 1 900 motifs parmi lesquels le plus fréquent est la silhouette humaine, représentée 1 300 fois. Ces images présentent par ailleurs des tambours de bronze, des couteaux, des épées, des cloches de moutons et divers animaux.
Le motif principal de l’image représente des formes humaines naïves, à demi-accroupies, levant les bras. La plus grande de ces silhouettes est haute de 3 m, la plus petite de 20 cm. Certaines figures sont représentées de face, d’autres de profil.
Chaque groupe d’images comporte un chef de taille immense qui se tient au centre du groupe, portant un manteau en peau de tigre et souvent avec des épées à la ceinture bouclée sur le côté. Il est debout, majestueux, sur une bête qui ressemble à un chien, ce qui forme une silhouette assez ressemblante à une grenouille vue de face. Les personnages vus de profil sont les plus nombreux, certains à demi-nus, d’autres entièrement nus. On y trouve des hommes et des femmes dans des poses vivantes. Un grand nombre de figures plus petites semblent battre les tambours ou ramer sur des canoës faits de troncs évidés, ou encore cueillent des fruits sur les bords de la rivière et entourent leurs chefs. L’agencement des motifs ressemble à des constellations d’étoiles entourant la lune, ou à des armées qui se rejoignent ou encore à des groupes de personnes se rassemblant pour une fête ou une célébration. Certaines figures humaines sont entourées de contours colorés faits d’une ou deux couches, dans d’autres on voit des motifs faits de cercles. Certaines de ces silhouettes présentent une ambiance mystique faites de lunes et de soleils.
La peinture est de couleur ocre, et à distance on croirait voir des taches de sang sur la surface de la falaise. De plus près, on constate que les peintures sont constellées d’une épaisseur d’éléments mélangés qui produisent une impression d’animation mystique. L’ensemble forme une fresque historique qui illustre le pouvoir et la dignité des anciens Luoyue. Elle constitue l’essence de l’art de la peinture Lingnan et son héritage.
Pendant des siècles, les peintures rupestres du mont Huashan ont attiré des foules de visiteurs chinois et d’experts venus des quatre coins du monde pour effectuer des recherches susceptibles de résoudre l’énigme de leur charisme artistique ou simplement pour s’émerveiller de leur inestimable valeur archéologique. Cependant, à ce jour, l’énigme qu’elles représentent reste couverte d’un réseau de paradoxes qui s’enchevêtrent en un mystère impénétrable : pourquoi les anciens Luoyue peignaient-ils sur des falaises surplombant des rivières ? Comment ces multiples peintres différents sont-ils parvenus à conserver un style uniforme au travers des siècles qu’ils ont passé à peindre ces images ? Quels pigments utilisaient ces artistes pour qu’elles conservent leur couleur rouge bien nette en dépit des millénaires d’exposition au vent, à la pluie et aux rayons solaires ? Quelle était la signification de ces images mystérieuses et variées ? Comment les ancêtres des Zhuang peignaient-ils à de telles hauteurs ? Ce sont là quelques-unes des nombreuses énigmes qu’il reste à résoudre.
C’est l’origine des fresques du mont Huashan qui demeure le plus grand point d’interrogation. Il a donné naissance à de nombreuses légendes romantiques, dont la plus connue est celle du fameux Meng Da de l’Antiquité, dont on raconte qu’il avait, dans sa jeunesse, un appétit insatiable ainsi qu’une force et une agilité hors du commun. Après une année de troubles et de guerres chaotiques, les membres de la cour se sont mis à piller les biens des habitants du royaume, les laissant au bord de la famine. Meng Da était indigné de cette oppression et déterminé à se battre pour défendre son peuple, mais il manquait de soldats, de chevaux et d’armes pour faire face. Alors que l’on était occupé à couper du bois de chauffage sur la colline, on le voyait souvent assis sur des galets, perdu dans ses pensées, le regard dans le vague.
Un jour, un ancien dont la tête était ornée de cheveux blancs est venu voirMeng Da pour lui remettre un rouleau de papier et un pinceau, en lui chuchotant ces mots : « Peins les soldats, les chevaux et les armes dont tu as besoin sur ces morceaux de papier, et 100 jours plus tard, ils deviendront réels. Mais tu ne pourras jamais révéler ce secret à quiconque. » Ce vieillard s’évapora alors comme un esprit. Meng Da obéit et s’enferma dans sa chambre pour peindre, jour après jour, totalement accaparé par sa tâche. Inquiète, sa mère lui demandait à travers la porte ce qu’il faisait, et il répondait à chaque fois : « Tu le sauras dans 100 jours. » Le 99ejour, sa mère perdit patience et se dit : « Il ne reste qu’un jour, je peux bien jeter un œil sur ses peintures. » Elle entra donc dans la chambre de Meng Da alors qu’il était absent et ouvrit sa boîte de peintures. À cet instant même, toutes les esquisses de soldats et d’armes se matérialisèrent et s’échappèrent de la chambre pour aller s’écraser sur la falaise devant le village, se transformant en peintures sur les rochers. Ce mythe ajoute bien sûr un côté mystique à ces peintures rupestres mais n’explique pas son origine.
Des archéologues supposent que ces peintures datent d’avant la période des Printemps et Automnes (770-476 av. J.-C.) et des Royaumes combattants, et qu’elles ont donc plus de 2 000 ans. Il a fallu 700 ans pour les peindre, et les artistes luoyue ont consacré à cette tâche la plus grande partie des richesses et des ressources humaines de leur royaume. Cet effort immense destiné à réaliser un tel chef-d’œuvre était clairement destiné à un objectif bien déterminé, et on suppose qu’il s’agissait de transmettre ces peintures à travers les siècles pour provoquer l’admiration dans les cœurs de tous ceux qui les verront.
Le sujet de ces peintures est une autre charade sans réponse. En raison de leur ancienneté et de l’absence de documents écrits de l’époque, les experts ne peuvent baser leurs recherches que sur les peintures elles-mêmes et sur les reliques culturelles qu’on a pu excaver. Il semble que les peintures représentent une grande scène de sacrifice ou la célébration d’un festival.
La plupart des figures humaines sur ces peintures étendent leurs bras de part et d’autre, leurs coudes pliés vers le haut, dans une position semi-accroupie. On dirait qu’elles miment la position d’une grenouille, et il se trouve que le culte de la grenouille est effectivement une ancienne tradition des Zhuang, qui pratiquent jusqu’à aujourd’hui la danse de la grenouille. Les tambours en bronze qui semblent apparaître sur les fresques étaient des récipients importants pour les sacrifices. Certaines figures humaines montrent des signes distinctifs de genre marqués, notamment des femmes enceintes et des groupes d’enfants. C’est pourquoi certains pensent qu’elles participent à un culte de la fertilité qu’aurait pratiqué le peuple luoyue.
On peut déduire de ces attributs que les peintures expriment la joie, la solennité et le respect. S’il ne s’agit pas d’une cérémonie sacrificielle, on doit bien y voir quelque forme de célébration. Les anciens Luoyue tenaient de grandes fêtes et des célébrations qui s’accompagnaient simultanément avec des cérémonies sacrificielles, au cours desquelles on battait les tambours de bronze et on exécutait des danses de la grenouille. Certains experts suggèrent que cela constituait une sorte de culte païen célébrant la victoire contre une invasion étrangère. D’autres y voient plutôt une prière pour une armée puissante et une société prospère. Il y en a enfin qui considèrent qu’on voit là la manière qu’avait le peuple luoyue d’effrayer les monstres de la rivière et de prier pour de bonnes récoltes. Différentes personnes émettent différentes hypothèses, mais la réponse reste un mystère pour tous.
Une chose est certaine : le corridor rocheux orné de fresques au bord de la rivière Zuojiang et sur le mont Huashan est une œuvre rarissime aussi bien en Chine que dans le reste du monde, en raison de la difficulté qu’il y a à réaliser des peintures d’une telle qualité et d’une telle beauté. Les accents artistiques profonds et leur valeur archéologique est inestimable, quelque soit le motif réel de ces peintures, puisqu’elles représentent des scènes de la vie de l’ancienne civilisation luoyue. Elles expriment aussi le respect des gens pour leurs héros et leurs dirigeants, leur souhait de prospérité et d’une météo clémente. Les peintures rupestres nous montrent non seulement l’incroyable savoir-faire artistique des anciens Luoyue, ancêtres des Zhuang d’aujourd’hui, mais aussi la richesse de leur vie sociale il y a des millénaires de cela. Elles prouvent leur ardeur au travail, leur courage et leur ténacité.
Ce que l’on a pu déterminer avec certitude, en revanche, c’est la composition des pigments utilisés dans le mont Huashan. Pendant des années, des experts de l’Administration d’État du patrimoine culturel ont employé des moyens scientifiques pour analyser ces pigments. Ils sont parvenus à isoler le minerai naturel de l’hématite qui en est le composant principal. Une matière adhésive doit avoir été ajoutée à la poudre d’hématite, sans laquelle les peintures n’auraient pas pu s’appliquer sur ces falaises dures, lisses et abruptes. Une analyse plus poussée a révélé que des agents adhésifs étaient effectivement mêlés aux pigments. Mais d’où venaient-ils ? S’agissait-il d’une matière animale ou végétale? Comment les Luoyue les ont-ils concoctés avec les méthodes primitives qui étaient à leur disposition, pour extraire, purifier et concentrer ces substances ? Comment parvenaient-ils à confectionner les adhésifs mêlés à l’hématite ? De nombreux mystères restent entiers. La formule du pigment, qui n’a pas changé au cours des millénaires, peut avoir été le fruit d’un hasard. Mais comment ces anciens ont-ils pu voler dans les airs pour réaliser ces peintures sur des falaises hautes de 140 m? Ces questions sont insolubles aujourd’hui.
La méthode de datation au carbone 14 conduit à placer la réalisation des fresques du mont Huashan entre 1 680 et 4 200 ans en arrière. Elles ont donc dû passer par des étapes de perfectionnement depuis la période des Royaumes combattants jusqu’à la dynastie Han de l’Ouest et de l’Est, date à laquelle ce chef-d’œuvre fut finalement achevé. Après des millénaires d’érosion géologique, la couleur de nombreuses peintures parmi les plus exposées a commencé à se faner, à se ternir et parfois à s’écailler.
Ces dernières années, la préservation et la protection des peintures du mont Huashan ont fait l’objet de toutes les attentions. En 1988, elles sont entrées au Registre du Conseil des affaires d’État des sites historiques et culturels majeurs sous la protection de l’État de niveaunational. En 1998, le site touristique du mont Huashan et les peintures rupestres qu’il contient ont obtenu le statut de site d’importance nationale. Le gouvernement du district de Ningming s’en tient au principe de « Protection d’abord, exploitation ensuite » pour prévenir des dommages d’origine humaine et dus à la pollution. L’administration locale conduit un programme scientifique de protection du mont Huashan. Chaque année, elle organise des campagnes de reboisement sur les deux rives de la rivière Mingjiang et au pied du mont Huashan pour reverdir et améliorer l’environnement.
Concernant l’industrie touristique et les programmes de visites qui pourraient profiter de ce site unique, elle s’en tient strictement au principe de protection et a révoqué tous les projets qui pourraient mettre en danger les fresques. Grâce à une large campagne de sensibilisation et d’éducation, le public local est parfaitement conscient de l’importance qu’il y a à protéger le patrimoine culturel et entretient un sentiment de fierté d’être les héritiers de ces œuvres. Les citoyens de la zone se sont par conséquent prononcés en faveur de la candidature du mont Huashan à la liste du patrimoine mondial.
En décembre 2006, les fresques du mont Huashan ont été inscrites au registre préparatoire par l’Administration d’État du patrimoine culturel (SACH). En janvier 2015, la SACH a annoncé officiellement leur statut de seul projet déclaré au registre du patrimoine culturel mondial (WHC) en 2016 et posé la candidature du site au secrétariat du Centre du patrimoine mondial afin de recevoir l’évaluation sur site par les experts du WHC.
En juillet 2016, les peintures rupestres du mont Huashan ont été officiellement inscrites sur la liste du patrimoine mondiale de l’UNESCO sous l’appellation « Paysages culturel de l’art rupestre de Zuojiang Huashan ». Par ailleurs, 16 projets de protection et de recherche ont été lancés afin de trouver une nouvelle façon de combiner la protection et la gestion à long terme. Les fresques du mont Huashan, trésor culturel du peuple luoyue, sont donc entre de bonnes mains, protégées et préservées par les fils et les filles du mont Huashan.