XIE FEIJUN*
Le cadre du village diplôméde Yale
XIE FEIJUN*
D epuis qu’il a obtenu son diplôme au département d’économie de l’université de Yale il y a cinq ans, Qin Yuefei a repris un poste dans son petit village où son salaire mensuel s’élève à 1 450 yuans.
L’année dernière, il a créé une organisation à but non lucratif visant à améliorer la situation des zones rurales. « Je voudrais que tous les Chinois ordinaires, comme le sont mes parents, mènent une vie heureuse », déclare-t-il.
Qin Yuefei (à dr.).
Qin Yuefei est premier secrétaire de la cellule du PCC du village de Baiyun. Depuis le district de Hengshan dans le Hunan, il faut plus de 30 minutes de route pour rejoindre ce village, par une voie si étroite qu’elle ne permet la circulation que dans un sens.
« À son arrivée, Qin Yuefei ne comprenait pas notre dialecte. Mais il a surmonté cet obstacle linguistique en trois mois », dit Fang Juhua, responsable des affaires des femmes dans le village, qui tient manifestement ce jeune homme en très haute estime.
Un mois après son entrée en fonction, Qin Yuefei avait déjà visité les 258 foyers du village et avait mémorisé la situation, les demandes et les questions de chaque famille. D’autre part il excelle à résoudre les problèmes concrets. Depuis longtemps, les élèves du village perdaient beaucoup de temps pour aller à l’école à pied. Plus de 3 heures pour ceux des hameaux les plus éloignés. Grâce aux efforts de Qin Yuefei, dix autocars de ramassage scolaire ont été mis en place pour véhiculer les enfants des villages avoisinants.
Qin Yuefei porte toujours sur lui un petit flacon d’huile de camélia, un produit qui,à ses yeux, est équivalent à l’huile d’olive. Il est produit par un projet de coopérative professionnelle des agriculteurs du village de Baiyun. Autrefois, cette huile était extraite en petites quantités par les villageois, et il est question désormais de récolter et de traiter les graines de camélia de manière collective et sur une plus grande échelle, pour créer leur propre marque.
Avant d’accepter ce poste, Qin Yuefei a travaillé pendant trois ans dans le village de Hejiashan, à 30 km d’ici. « Quand j’étais à Hejiashan, je suivais de près les préoccupations des habitants et j’entrais en action tout de suite, avec beaucoup d’enthousiasme, raconte Qin Yuefei. Hormis la construction des routes, l’installation des lampadaires et les travaux d’irrigation, je me préoccupais des personnes âgées sans famille, je proposais d’établir une maison de retraite, j’achetais aux étudiants des ordinateurs par des appels aux dons. Je tournais tous les jours comme une toupie. »
Un jour, Qin Yuefei se rendit compte qu’une simple aide venant de l’extérieur ne pouvait constituer une stratégie sur le long terme. Il s’interrogea alors : si je quitte mes fonctions, que se passera-t-il ? Existet-il une solution durable ? Peut-on reproduire ces solutions dans les innombrables autres villages ?
« Le président Xi Jinping a prononcé une phase dont le sens général est ‘si l’on s’engage dans une grande œuvre, on doit garder à l’esprit que l’exploit ne provient pas nécessairement de soi-même’. Je n’ai compris le sens de cette phrase que plus tard. Tout comme les camélias que nous plantons, il nous a fallu cinq ans pour récolter leurs fruits », explique-t-il.
Selon lui, les zones rurales offrent un immense espace de développement à l’entrepreneuriat et à l’innovation pour tous que promeut le gouvernement. « De plus en plus de jeunes villageois reviennent à leurs racines ces dernières années. Par rapport à la génération qui les a précédés, ils connaissent mieux le monde et peuvent exercer leurs talents dans des domaines plus variés, remarque Qin Yuefei. On ne peut pas imaginer le marché et le potentiel de développement des régions rurales avant d’y avoir séjourné. Par exemple, la couverture logistique ne touche que les chefs-lieux de district dans les campagnes ; il y a de fortes chances que le développement l’amènera jusque dans chaque foyer du village. »
On compte à peu près 600 000 villagesadministratifs en Chine, mais seuls 200 000 cadres de village possèdent un diplôme universitaire. Avec plus de ressources, ces jeunes pourront donner toute leur mesure. C’est là l’intention de Qin Yuefei qui a créé l’organisation à but non lucratif baptisée Servir la Chine.
« On me rappelle parfois que j’aurais plus de facilités à faire ce que je veux faire avec un rang administratif plus élevé, mais je ne peux pas m’y résoudre, car ma connaissance des zones rurales n’est pas suffisamment approfondie, et je n’ai pas mené à bien mon travail actuel », dit Qin Yuefei. Ce travail dont il parle consiste justement à servir la Chine, c’est-à-dire à aider les jeunes cadres du village et ceux qui veulent créer une entreprise en zone rurale.
« Si les conditions de travail et de logement sont satisfaisantes, s’il existe des perspectives d’avenir bien claires, plus d’excellents diplômés viendront travailler dans les villages », affirme Qin Yuefei, qui se rend bien compte qu’il faudra pour cela plus de contacts entre les jeunes cadres du village et les ressources sociales locales.
Le premier projet de l’association de financement participatif Servir la Chine concernait l’apiculture. Avec son équipe, Qin Yuefei a mené des enquêtes et des recherches à Pinggou l’été dernier, un village qiang de la province du Sichuan, pour aider le secrétaire de la cellule du PCC du village à réunir 50 000 yuans pour développer la production de miel locale. Sur les trois mois qui ont suivi ce financement, cette production a rapporté au village près de 300 000 yuans de recettes.
Qin Yuefei participe à la construction des installations hydrauliques.
« Depuis le mois de juillet de l’année dernière, nous avons réalisé une dizaine de projets de financement participatif. Nous voudrions, par ce modèle d’intégration des ressources, changer progressivement l’apparence des campagnes chinoises », explique Qin Yuefei. Parmi les vingt membres actuels de l’organisation, une moitié sont cadres diplômés ou entrepreneurs dans des régions rurales, tandis que l’autre moitié qui ne sont pas cadres sont diplômés d’universités mondialement connues tels que l’université de Beijing, l’université Tsinghua ou celle de Yale.
Les relations entre cadres du village très diplômés et cadres locaux du village sont parfois délicates. En effet, nombreux sont les jeunes diplômés qui ne s’adaptent pas, au début, au format des contacts interpersonnels dans le village.
Qin Yuefei n’a pas ménagé ses efforts pour s’intégrer. Son WeChat comprend un groupe baptisé « la grande famille du village de Baiyun », qui comprend 211 membres, c’est-à-dire l’ensemble des villageois qui utilisent WeChat. Par ailleurs, le village possède un compte officiel sur cette appli, où sont publiées des informations telles que la publication intégrale des comptes du village, accessibles à ceux qui travaillent hors du village. Par Wechat, les opinions et les réactions des habitants sont recueillies en temps réel, et les villageois travaillant dans d’autres régions sont au courant des nouvelles du village.
« Lorsqu’on sait ce que l’on veut, lorsqu’on a pensé aux différentes situations que l’on peut rencontrer, on arrive à tout », affirme Qin Yuefei. Aujourd’hui, il est à l’aise dans les villages, il garde son calme face à toutes les situations, qu’il s’agisse d’une chaise sale ou d’une tasse de thé contenant un insecte. Pour rencontrer aussi vite que possible tous les jeunes villageois, il a passé la fête du Printemps dans le village l’an dernier.
« En plus d’un petit peu de talent, c’est surtout un cœur ouvert qui est nécessaire pour mener à bien les affaires des villageois », explique Qin Yuefei qui aime que sa vie actuelle soit remplie d’activités chaque jour.
« On comptait, il y a une centaine d’années, de nombreux étudiants chinois à Yale qui sont restés attachés à leur patrie. Citons entre autres Yung Wing (premier étudiant chinois diplômé d’une université américaine), Jeme Tien Yow (ingénieur ferroviaire) et Ma Yinchu (économiste et pédagogue). Il s’agit d’une tradition forte parmi les étudiants chinois », remarque Qin Yuefei, qui assumait les fonctions de président de l’union des étudiants chinois de l’université de Yale. Il a organisé une visite dans les archives de la bibliothèque, pour faire découvrir les dossiers des étudiants chinois d’il y a un siècle dans leur université.
« Aujourd’hui, nous voulons, nous aussi, assister et participer au progrès de la Chine, tout comme les générations précédentes », conclut-il.
*XIE FEIJUN est journaliste pour le quotidien Jiefang Daily.