Urbanisme à la chinoise : la ville verticale

2016-09-06 09:11FranceCHRISTOPHETRONTIN
今日中国·法文版 2016年8期

(France) CHRISTOPHE TRONTIN



Urbanisme à la chinoise : la ville verticale

(France) CHRISTOPHE TRONTIN

U n architecte français expliquait récemment : « Les Chinois ont un complexe architectural. Leur architecture a atteint une sorte de perfection voici 300 ans. Palais, siheyuan, bâtiments grands ou petits, ont été construits sur ce modèle qui n’a pas changé jusqu’aux années Mao. Il n’a pas changé parce qu’il n’y avait rien à y changer : bon marché, simples et solides, les charpentes tenaient des siècles. Les briques poreuses sont un bon isolant. Le temple du Ciel est debout depuis 600 ans. Certains siheyuan aussi. Mais avec la fondation de la Chine nouvelle, ils ont soudain pris conscience que leur architecture était vieille, et ils en ont conclu qu’elle était dépassée. »

Cette tendance s’essoufflerait-elle ? La globalisation joue les vases communicants. À mesure que le monde délocalise, la Chine relocalise ! On voit désormais les architectes chinois reprendre le flambeau… Et ils ont appris, eux aussi, à sortir des sentiers battus, déclenchant les quolibets d’une presse internationale toujours à l’affût.

Des pistes adaptées au contexte chinois

Alors, bulle immobilière prête à éclater ou réponse strictement calibrée aux contraintes du développement ? Le malentendu vient peut-être du contexte historique chinois, très différent de celui qui a cours dans d’autres parties du monde.

Premièrement, l’exode rural, qui n’est pas terminé en Chine : ces prochaines années, ce sont cinq à dix millions de paysans qui voudront se fixer en ville chaque année. Deuxièmement, au-delà de cette migration intérieure, l’enrichissement relatif des citoyens conduit à un accroissement vertigineux des surfaces habitables par personne. Troisièmement, l’inquiétude des autorités vis-à-vis du gaspillage des terres agricoles qui se réduisent comme peau de chagrin devant la poussée des banlieues et des parkings de centres commerciaux, et qui les pousse à prendre des mesures destinées à ménager les surfaces cultivées.

Les villes existantes, malgré la mise en service de millions de mètres carrés par an, craquent de partout. Des quartiers entiers y sortent quotidiennement de terre, sans parvenir à endiguer l’afflux de nouveaux-venus qui gonfle à proportion. De partout, on voit des chantiers.

Ce n’est plus par quartiers, mais par villes entières qu’on se met à la tâche. Pour répondre à ces contraintes, il est prévu de construire autour de 200 villes d’un à 1,5 million d’habitants : un défi majeur,d’autant plus que ces cités nouvelles devront intégrer des contraintes écologiques nouvelles.

Les villes préfabriquées ne sont pas encore en service qu’on étudie déjà la solution suivante. Les urbanistes chinois disent : construire une ville d’un million d’habitants, c’est possible, mais c’est cher et compliqué. Il faut dix ans de travaux, de transports en commun et autres infrastructures qui ne marchent pas, etc. Dix ans pendant lesquels on a, au choix, une ville chaotique ou une ville fantôme. Gel, pluie, entretien réduit : malgré les précautions, malgré les personnels déjà mis en place, ça se dégrade et ça vieillit avant d’avoir servi ; la ville n’est pas encore en service qu’il faut déjà changer certains équipements. Le fait est que ça prend trop longtemps : dix ans pour héberger un million de personnes, alors que ce sont plusieurs millions par an qu’il faudrait !

D’où la nouvelle piste matérialisée par le projet de tour la plus haute du monde à Changsha dans le Hunan. Encore une fois, les esprits chagrins en prennent prétexte pour annoncer la fin du miracle chinois. Il y a bien sûr la fierté de dépasser (de dix petits mètres seulement) la tour actuellement la plus haute du monde ; mais c’est aussi une somme d’idées assez innovantes. Par exemple, l’idée de ses promoteurs qui consiste à préfabriquer tous les éléments de la tour à l’avance, pour les assembler, en neuf mois seulement, sur place. Après bien des atermoiements, il semble que le départ est donné. Des tours de ce type, mais plus petites, sont assemblées un peu partout dans le pays, à une vitesse vertigineuse. Leur structure métallique est étudiée pour résister à des séismes de force 9 sur l’échelle de Richter.

L’architecte Xian Ming, auteur du spectaculaire projet de la tour de Changsha, s’explique : « La Chine n’est pas l’Europe ou les USA ; notre géographie et notre démographie nous poussent à innover, ce n’est pas en recyclant des solutions venues d’ailleurs qu’on s’en sortira. Ce ‘bâtiment pragmatique’ c’est avant tout une ville de 100 000 personnes sans une seule voiture… ».

Il s’agira d’un immeuble innovant tous azimuts : par sa taille, certes, avec 1 million de m² de bureaux, habitations,boutiques et salles de sport. Mais aussi rapidité de construction, 100 fois moins de surface au sol que pour un habitat classique, autonomie énergétique (on annonce une consommation électrique par personne inférieure de 5 fois à celle d’un immeuble classique).

Pourquoi préfabriquer ? C’est la volonté de minimiser les nuisances d’un chantier monstrueux : cinq ans pour le Burj Khalifat à Dubai, neuf mois seulement prévus pour Changsha. Chaque mois gagné est précieux. Une tour d’un kilomètre de haut, c’est une ville de cent mille habitants : des bureaux, des hôtels, des habitations, des commerces, des cinémas, empilés. Pas de bouchons, pas de pollution : des ascenseurs (c’est-à-dire des métros, verticaux). Des économies de chauffage (les étages empilés se chauffent les uns les autres), mais des contraintes nouvelles aussi : une grande partie de ces locaux ne voient jamais la lumière dujour. Cent mille habitants, ce sont vingt ou trente mille wc, vingt mille appartements qui produisent des ordures ménagères, des dizaines de milliers de voitures qui veulent se garer à proximité, etc. Quid de la sécurité ? Police, pompiers, ambulanciers seront confrontés à des problèmes inédits. C’est Changsha et sa Sky city qui nous fourniront la réponse.

Construisez dix tours comme ça en cercle, mettez à côté un aéroport et au milieu une gare, remplissez le reste de vastes parcs paysagés : voilà une ville d’un million d’habitants, un village planétaire. C’est compact, on économise l’énergie, on préserve les écosystèmes (la ville verticale occupe beaucoup moins de surface au sol), et on loge et met au travail un million de personnes.

Urbanisme de ville, urbanisme de campagne

Mais l’urbanisme ne concerne pas que les grandes villes. Il suffit pour s’en convaincre de visiter le Yunnan ou le Sichuan, régions des confins et de la diversité ethnique et festival architectural permanent. Les petites villes touristiques, qui ont eu la chance de traverser sans trop de destructions la Révolution culturelle, jouent de leur pouvoir d’attraction touristique. Et ce qui n’est pas possible dans les grandes villes l’est ici : le développement de la ville moderne se fait hors du centre-ville historique.

L’architecture est un condensé d’histoire-géo. Matières, climat, apports technologiques et destructions périodiques (guerres ou catastrophes naturelles) façonnent, par une logique darwinienne d’essais, d’erreurs et d’ajustements, l’architecture de chaque région.

Dans ces petites villes à fort potentiel touristique, les grandes avenues, la gare, les voitures, le McDonald’s réglementaire, tout ça se regroupe autour d’un centre neuf, tandis que les petites ruelles étroites continuent de zigzaguer entre les belles maisons anciennes aux murs décrépits ou parfois recrépis.

Admirez-moi ces charpentes, ces toitures, ces portails ! Comme à Beijing on trouve le système des petits jardinets intérieurs entourés de chambres ; on a aussi les toitures aux coins qui remontent. En revanche ici on pratique le second voire le troisième étage. En général les fondations sont en pierre, et la structure en bois. Les murs ne sont que du remplissage, ils ne sont pas porteurs. N’oublions pas que, adossé au Tibet et à l’Himalaya, le Yunnan est une région à risque sismique élevé.

Autres lieux, autres mœurs : à Lijiang, même si l’architecture est en gros la même, c’est l’urbanisme qui diffère. La rivière qui traverse la ville, source d’approvisionnement en eau et d’énergie pour les moulins, a façonné un plan d’aménagement tortueux et étiré en longueur. Mais comme à Dali, la gare et les quartiers modernes ont eu le bon goût de rester hors du périmètre historique.

Reconstruction du temple de Confucius sur son ancien emplacement à Kunming, le 6 juillet 2016.

Et dans les deux villes, le touriste est ravi de pouvoir flâner dans des rues exclusivement piétonnes, assez semblables à ce qu’elles pouvaient être à l’époque de l’Empire, même si la plupart des bâtiments sont de facture récente. À tous les coins de rue, on rase et on reconstruit. Mais attention : dans les zones historiques, c’est entièrement avec les matériaux et les techniques d’antan. On démolit ce qui est trop délabré, tout en recyclant toutes les poutres, les pierres de taille et les tuiles qu’on peut récupérer. Ensuite, on reconstruit en suivant le même plan original : structure porteuse en bois, remplissage des murs, tuiles par-dessus, laque sur les portes et les boiseries extérieures.

La Chine dispose encore d’une pléthore de petits artisans qui perpétuent les traditions de taille du bois, de gravure, etc. Ce qui chez nous relève de l’archéoarchitecture réservée à quelques spécialistes payés les yeux de la tête se fait ici tout naturellement.

En ce moment même, loin des records de hauteur de Shanghai, loin des projets pharaoniques d’infrastructures énergétiques, à l’abri des pantagruéliques monstruosités de béton armé et des tartines de macadam, lentement, sereinement, on reconstruit le Yunnan avec les techniques et les matériaux d’antan. Patiemment mais avec détermination. Sans se presser mais sans perdre de temps. On assiste à la modernisation de tous les petits villages touristiques et à l’émergence d’une force de frappe touristique inégalée.