MICHAEL ZÁRATE, membre de la rédaction
« Le Mexique a besoin des capitaux chinois »
- Interview exclusive accordée par le premier ambassadeur mexicain en Chine
MICHAEL ZÁRATE, membre de la rédaction
Le président Mao Zedong rencontre Eugenio Anguiano Roch.
L orsque Eugenio Anguiano Roch est arrivé pour la première fois à Beijing, la Chine n’était pas celle d’aujourd’hui. Il est l’un des rares diplomates à avoir rencontré Mao Zedong. Ses expériences sont riches : il a été deux fois ambassadeur en Chine (1972-1976, 1982-1987) et a ainsi été témoin du développement du pays. Ses vues sur la Chine nous sont précieuses.
Eugenio Anguiano et le chercheur italien Ugo Pipitone ont rédigé conjointement les livres La Chine : de la dynastie des Xia à la République populaire de Chine et La République populaire de Chine : de l’utopie au marché. Neuf ans après l’achèvement de son deuxième mandat, il est retourné en Chine. Grâce à l’aide du bureau de l’UNAM en Chine, il a réalisé une série de conférences à l’Université des langues étrangères de Beijing et à l’université Renmin.
La Chine au présent : En 1972, vous êtes arrivé en Chine en tant que premier ambassadeur mexicain en Chine, mais les relations diplomatiques entre les deux pays avaient été établies plus tôt.
Eugenio Anguino (EA) : Les relations initiales politiques et économiques entre la Chine et le Mexique datent de la rencontre en 1899 du représentant plénipotentiaire de l’empereur Guangxu et du général Porfirio Díaz. En 1903, la première légation de notre pays a été installée en Chine sous le régime impérial. Depuis, hormis quelques périodes d’interruption, le Mexique a toujours gardé un représentant en Chine. Pendant la guerre froide, la Chine et le Mexique ont tenté de se rapprocher par la voie du commerce. Par exemple, en 1960, certaines associations mexicaines de l’amitié ont ouvert des librairies pour vendre Beijing Information et China Pictorial, etc. Ces associations sont devenues les premiers ambassadeurs culturels.
La Chine au présent : Quels sont vos souvenirs d’ambassadeur ?
EA : En octobre 1972, l’ambassadeur de Chine au Mexique et moi avons remis nos lettres de créance le même jour. J’ai eu l’honneur de remettre ma lettre de créance à M. Dong Biwu, l’un des fondateurs du Parti communiste chinois. À l’époque, j’avais 34 ans, Dong Biwu en avait 86. Il m’a prêté une grande attention. Notre rencontre a été courtoise, un interprète nous accompagnait. Notre entretien devait durer une demi-heure, mais nous avons finalement parlé pendant une heure et demie. M. Dong m’a demandé de lui raconter pourquoi j’étais venu ici. Notre conversation a été très agréable.
La Chine au présent : Et lorsque Luis Echeverría a été le premier président mexicain à visiter la Chine en 1973 ?
EA : En avril 1973, le président Echeverría a effectué une visite d’État en Chine et a rencontré le président Mao. Cette rencontre était très importante, parce que le président Mao a parlé de politique internationale. Il a évoqué les États-Unis, l’URSS, l’Europe, l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine. Au lieu d’appeler l’Asie, l’Afrique et l’Amérique-latine le tiers monde, il les a qualifiés de troisième pôle. Pour Beijing,le Mexique était un poste important pour l’étude de l’Amérique latine. Pour cette raison, la Chine s’est ouverte pour la première fois à un diplomate mexicain. J’ai eu l’occasion de rencontrer le président Mao, mais aussi le premier ministre Zhou Enlai à sept reprises.
La Chine au présent : Quelle a été votreimpression de Zhou Enlai ?
EA : Ce qui m’a le plus impressionné, c’est son charme et son intelligence exceptionnels. C’est un grand personnage, il était capable de séduire tous les étrangers. Cette génération de dirigeants chinois a mené une révolution en Chine et a gagné la guerre civile avant de fonder la République populaire de Chine.
La Chine au présent : Lorsqu’en 1982, vous avez été nommé à nouveau ambassadeur du Mexique en Chine, avez-vous découvert des différences entre la Chine d’alors et la Chine des années 1970 ?
EA : La Chine a connu des changements considérables entre mes deux mandats. Lorsque je suis parti à la fin de 1975, Mao Zedong, Zhou Enlai et Zhu De étaient encore là. Le séisme de Tangshan ne s’était pas produit. La « Bande de Quatre » était encore au pouvoir. Lorsque je suis revenu, le premier ministre était Zhao Ziyang et l’année suivante, le président de la RPC était Li Xiannian. Cependant, c’est sous la direction de Deng Xiaoping que la Chine a commencé sa réforme et son ouverture.
Lorsque je suis arrivé en 1972 pour la première fois, il n’y avait pas de produits importés, même dans les hôtels où séjournaient les étrangers. Quand je suis revenu dix ans plus tard, les premiers hôtels à capitaux mixtes ouvraient leurs portes. En 1982, les zones économiques spéciales ont été créées. Nous avons été autorisés à visiter Shenzhen. Je m’y étais rendu en 1972, il n’y avait que quelques villages et des champs. En mai 1985, Shenzhen avait complètement changé, avec des gratte-ciel partout. Un train direct reliait la ville de Beijing et Hong Kong.
La Chine au présent : Oui, il y a eu des changements profonds.
EA : Oui, c’est vraiment le cas. Mais j’aimais la Chine des années 1970. Les voitures n’étaient pas si nombreuses, nous circulions à vélo. Toute ma famille prenait le vélo pour sortir. Bien sûr, le progrès n’a pas été décidé par une personne, il y a eu un progrès global pour les Chinois. Aujourd’hui, plusieurs milliers de Chinois voyagent à l’étranger, c’est un autre changement important. Mon intérêt personnel n’a pas de sens par rapport aux changements radicaux qu’a connus la Chine.
La Chine au présent : D’après vous, quels sont les domaines prioritaires dans les relations sino-mexicaines ?
EA : Il est difficile d’expliquer en quelques mots les points de vue des Mexicains sur la Chine. Je pense qu’une grande partie des Mexicains sait que la Chine est un grand pays très important. Que devonsnous faire ? Nous devons approfondir nos dialogues économiques. Nous devons attirer les capitaux chinois en associant des investissements chinois et des investissements mexicains. Nous devons accroître nos connaissances dans le domaine des services. Le Mexique doit renforcer ses infrastructures pour attirer les touristes chinois. Enfin, nous devons renforcer la coopération académique, scientifique et technique entre le Mexique et la Chine. Dans ce domaine, le Brésil, et même la Bolivie, nous dépassent. Ces deux pays ont signé des accords avec la Chine pour lancer les satellites météorologiques. Le Mexique n’en est pas encore là.
La Chine au présent : Quel est l’espace d’élargissement de la coopération académique entre nos deux pays ?
Eugenio Anguiano Roch avec un ami chinois.
EA : L’espace de coopération entre nos deux pays présente encore un grand potentiel. Certains disent que le Mexique n’a pas fait suffisamment, mais je propose de ne pas tirer de conclusions à la hâte. Les échanges académiques ne peuvent pas surgir du jour au lendemain. Le Mexique et la République populaire de Chine ont établi des relations diplomatiques il y a 40 ans. Quarante ans, ce n’est qu’un clin d’œil dans l’Histoire.
Rapprocher les relations entre les peuples mexicain et chinois est une tâche difficile. Les Chinois et les Mexicains nourrissent des sentiments de fierté nationale. Il ne leur est pas facile de se confier. Cela est complexe, mais nous devons le faire. Je pense que nos deux pays ont la détermination de faire progresser les échanges entre les peuples et les cultures. Malgré les défis, nous devons redoubler d’efforts pour y parvenir.
La Chine au présent : Comment améliorer les relations entre l’Amérique latine et la Chine ?
EA : L’Amérique latine doit réajuster ses relations commerciales avec la Chine. Cela peut se faire en suivant les décisions rendues l’an dernier par le gouvernement chinois à l’égard de la Communauté d’États latino-américains et caraïbes. La solution est d’introduire plus d’investissements chinois et de stimuler la construction d’infrastructures en Amérique latine, afin de diversifier les investissements et le développement économique dans chaque pays de la région. Je pense que cela est la voie du changement. En somme, une bonne méthode serait de continuer de promouvoir le développement culturel et l’interconnexion. Cette méthode ne peut pas porter ses fruits tout de suite, mais elle contribuera à améliorer la compréhension mutuelle.
La Chine au présent : Après 40 ans d’observations sur la Chine, qu’est-ce qui vous impressionne le plus ?
EA : Ce qui m’impressionne le plus, c’est l’esprit pragmatique des Chinois. De plus, je fais attention à certaines nuances dans le langage diplomatique. « Le rêve chinois » est devenu une nouvelle expression clé.