« La Ceinture et la Route » sera source de changements majeurs en Afrique- Interview de M. Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement

2018-10-18 00:58WANGLIN
今日中国·法文版 2018年10期

WANG LIN*

Le 2 septembre dernier,Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement, était en Chine pour participer au Sommet de Beijing du Forum sur la coopération sino-africaine. Dans l’interview exclusive qu’il a accordée à China Business Network, il a affirmé que l’Afrique n’était pas embourbée dans une crise de la dette, comme certains le prétendent.

C’est la deuxième visite en Chine qu’effectuait M. Adesina depuis 2016,année où il a pris la présidence de la Banque africaine de développement(BAD). Cet organisme d’envergure régionale est la plus grande institution intergouvernementale de financement du développement en Afrique. Elle rassemble 80 membres : 54 pays d’Afrique (appelés pays membres régionaux) et 26 pays d’autres continents (appelés pays membres non régionaux). Sa mission consiste à accorder des prêts principalement à la première catégorie, les pays membres régionaux,afin de soutenir le développement de l’agriculture, des transports et des télécommunications, de l’industrie,des infrastructures, de l’éducation, de la santé et du secteur privé.

Au cours de l’interview, M. Adesina a précisé que la BAD est favorable à l’initiative « la Ceinture et la Route » et invitera activement ses membres à y prendre part, estimant que la Chine contribue au développement de l’Afrique. D’ailleurs, il souhaite qu’à l’avenir,la Chine participe à l’industrialisation agricole sur le continent africain.

Le développement africain stimulé par des fonds chinois

Nous avons abordé le sujet de la crise de la dette en Afrique avec M. Adesina. Pour traiter de cette question, il a d’abord évalué les faits, en s’appuyant sur des exemples de dettes dont sont redevables certains pays africains en proportion de leur PIB.

Il a souligné qu’à l’échelle de l’Afrique, la dette représentait 22 %du PIB en 2010, et 37 % en 2017. Ce pourcentage connaît donc une hausse.Toutefois, cette dette par rapport au PIB est bien plus faible en Afrique que dans les pays développés, où elle peut grimper jusqu’à 150 % pour certains.Même dans les économies émergentes, ce chiffre est toujours supérieur à 50 %.

En outre, pour M. Adesina, il est important de considérer ce que les pays emprunteurs financent grâce à l’argent emprunté. En d’autres termes, il convient de se demander de quelle nature est la dette, quel est son contenu?

« La plupart des pays africains émettent des euroobligations sur le marché international pour pallier leur manque d’infrastructures. Face à la croissance démographique et à l’urbanisation galopante, il est urgent de répondre aux besoins de l’industrialisation. Ainsi, les pays africains empruntent de l’argent, non dans le but de consommer, mais d’investir dans les infrastructures, ce qui est une façon intelligente d’utiliser la dette. Ce n’est pas toujours le cas dans le monde. Toutes les dettes ne servent pas les mêmes intérêts », a signalé M. Adesina.

D’après les calculs de la BAD, la dette contractée par les pays africains est investie à plus de 70 % dans les infrastructures. M. Adesina a affirmé : « Les infrastructures sont des vecteurs de croissance. S’ensuivra une vague de développement qui donnera aux pays concernés la capacité de rembourser leur dû. »

Certains journalistes font parfois l’amalgame entre la dette en Afrique et l’influence de la Chine sur ce continent. Selon M. Adesina, la Chine n’est pas du tout à l’origine de la prétendue crise de la dette africaine. Au contraire, elle aide l’Afrique à se développer.

« La Chine offre à l’Afrique une aide financière pour la concrétisation de grands projets d’infrastructures. Parmi eux, citons la ligne ferroviaire allant d’Addis-Abeba (capitale de l’Éthiopie) à Djibouti,qui a coûté 14 milliards de dollars mais a engendré quantité d’opportunités commerciales. La Chine a également aidé le Kenya à construire la ligne de chemin de fer Mombasa–Nairobi. La priorité est véritablement donnée à l’extension et à la connectivité des réseaux de transport. Pour réaliser l’intégration régionale visée, les infrastructures, notamment ferroviaires, sont indispensables. Elles permettront à des pays comme le Kenya et l’Éthiopie de se lancer dans l’export », a affirmé M. Adesina.

M. Adesina a évoqué un autre projet qui a été en partie financé par la BAD et dont il est particulièrement fier : une autoroute de 1 400 km, reliant Addis-Abeba(en Éthiopie) à Mombasa (au Kenya), en passant par Nairobi (capitale du Kenya). Précisons que cette autoroute rejoint la ligne de chemin de fer financée par la Chine que nous avons mentionnée plus haut.

Comme l’a souligné M. Adesina, quatre pays africains, à savoir le Sénégal, le Rwanda, Djibouti et l’Éthiopie, ont enregistré dernièrement un développement dynamique en mettant pleinement à profit les fonds chinois dont ils ont bénéficié. « Les investissements chinois en Éthiopie soutiennent la construction de parcs industriels. Aujourd’hui, l’Éthiopie s’est taillé une place sur les marchés de la chaussure et du textile.Elle est même le pays d’Afrique le plus compétitif dans l’exportation de chaussures. »

M. Adesina a insisté sur le fait que personne n’est en droit de prendre des décisions à la place de l’Afrique.Les pays africains sont conscients de leurs besoins respectifs et sont capables de regarder leurs problèmes en face et d’y répondre, et les contrats de dette ne font pas exception. Néanmoins, la BAD aide les pays africains à mieux gérer les accords de prêt et les situations d’endettement.

Les bienfaits de « la Ceinture et la Route »

Revenant sur sa participation au Sommet de Beijing du Forum sur la coopération sino-africaine (FCSA),M. Adesina a commenté : « Je suis très reconnaissant de l’intérêt que porte le président chinois Xi Jinping à la coopération Chine-Afrique et des efforts qu’il déploie à cet égard. Savez-vous pourquoi j’apprécie tant le FCSA ? Parce que ce forum ne se résume pas à de simples discours et discussions, mais cible des actions concrètes. En effet, le FCSA se doit d’être un mécanisme efficace qui aide l’Afrique à se développer plus rapidement. C’est le plus important. »

Comment mettre en œuvre, concrètement, certains projets de coopération ? Comment soutenir davantage le développement économique de l’Afrique ? Comment pousser les entreprises chinoises à investir plus largement et plus massivement en Afrique, en particulier dans les domaines de l’énergie et des infrastructures ?Telles sont les questions auxquelles le sommet doit apporter des réponses, selon M. Adesina.

Pour l’heure, M. Adesina est d’avis que l’initiative« la Ceinture et la Route » proposée par le président Xi Jinping changera la donne en Afrique en matière de développement des infrastructures et de connectivité des réseaux de transport, espérant voir de nouveaux projets se concrétiser à l’avenir.

Par ailleurs, il fait le vœu qu’un nombre croissant de sociétés privées chinoises investissent davantage en Afrique. Pour cela, il convient de leur offrir des services de développement de projets et des mécanismes de prévention des risques appropriés.

En outre, M. Adesina invite les entreprises chinoises à participer au Forum de l’investissement africain organisé par la BAD à Johannesburg (en Afrique du Sud), les 7 et 8 novembre prochains. Ce forum se définit comme une plate-forme de coopération diversifiée et pluridisciplinaire qui vise à promouvoir le développement économique et le progrès social sur le continent africain. « Ce forum ne parlera que de commerce, sans prendre des allures de débat télévisé »,a-t-il précisé.

Le Forum de l’investissement africain a pour objectif fondamental de faciliter les transactions, s’engageant à améliorer la faisabilité financière des projets, à lever des financements pour la réalisation de ces projets et à accélérer la mise à disposition des fonds.

En conclusion, d’après M. Adesina, le Forum de l’investissement africain et la Chine visent trois intérêts communs. Premièrement, le forum développe et promeut des projets susceptibles de plaire aux investisseurs. Pour l’heure, la BAD, via cette plate-forme,a développé des projets « bancables » pour un total estimé à 92 milliards de dollars. Deuxièmement, la BAD et ses partenaires ont mis en place un système de mutualisation et de partage des risques, afin d’atténuer spécifiquement les risques liés au projet en soi,les risques découlant du marché, les risques financiers et les risques d’ordre politique. Troisièmement, ce forum encouragera les échanges et le dialogue entre les pays africains et le secteur privé afin de faire progresser l’environnement commercial et réglementaire en Afrique.