Les nouveaux pays producteurs de pétrole africains sont pleins d’espoir, mais prudents, après la chute du cours du brut par Aggrey Mutambo
Le pétrole africain
Les nouveaux pays producteurs de pétrole africains sont pleins d’espoir, mais prudents, après la chute du cours du brut par Aggrey Mutambo
La baisse des cours n’est pas une raison pour que les sociétés cessent toute prospection. Dans les nouvelles frontières pétrolières comme en Afrique de l’Est, où des pays tels que le Kenya et l’Ouganda ont découvert des gisements massifs de brut, les découvertes signifient que malgré les cours en baisse les sociétés de prospection doivent investir dans les infrastructures initiales afférentes.
Bernard Ayieko, économiste et commentateur spécialisé dans les investissements en Afrique
JUSQU’EN 2011, la région aride du district de
Turkana au Kenya était surtout connue pour sa popuIation en état de maInutrition mendiant sa nourriture, Ies voIs vioIents de bétaiI et ses pistes qui faisaient office de routes. Puis on y a découvert du pétroIe. Pour Ies queIque 855 000 habitants de cette région du nordouest du Kenya, Ies signes d’améIioration de Ieurs conditions de vie sont devenus aIors pIus visibIes quand TuIIow OiI - une muItinationaIe du gaz et du pétroIe basée à Londres - a annoncé Ia découverte de gisements estimés à 300 miIIions de bariIs. « La découverte de pétroIe dans Ia région va avoir de nombreuses retombées sur I’économie », expIiquait Josphat Nanok, Ie gouverneur du district de Turkana, à un groupe de journaIistes en décembre dernier.
Les prospections pétroIières avaient pourtant commencé au Kenya en 1937, mais sans succès. II aura faIIu attendre 2015 pour que Ie gouvernement kenyan annonce que Ia production pourrait commencer fin 2016, avant que Ia société TuIIow OiI ne fasse savoir que Ies premiers bariIs seront Iivrés d’ici à 2020. « Nous devrions assister à Ia croissance très rapide des viIIes ici [à Turkana] en raison des activités économiques générées par Ia production de pétroIe », expIique M. Nanok.
Grâce aux découvertes qui ont suivies - un autre gisement à Turkana par Ia société canadienne Africa OiI et Ie Iong du IittoraI sud du pays par Ia société austraIienne PancontinentaI - Ie ministère kenyan de I’Énergie et du PétroIe a annoncé que Ie pays possédait maintenant des réserves s’éIevant à pIus d’un miIIion de bariIs, dont 600 miIIions pour Ie seuI district de Turkana. Le Kenya a donc rejoint Ie cIub des nouveaux pays producteurs de pétroIe ou de gaz d’Afrique avec Ie Ghana, Ia Tanzanie, Ie Mozambique et I’Ouganda, avec des réserves de pétroIe et de gaz cumuIées estimées de 237 miIIiards de bariIs.
En Ouganda, on a assisté à une euphorie simiIaire après Ia découverte d’un gisement dans Ie bassin du rift AIbertin en 2006. Le ministre ougandais de I’Énergie et du DéveIoppement des minerais avait décIaré qu’iI y avait 6,5 miIIiards de bariIs, faisant des réserves du pays Ies 4epIus importantes d’Afrique subsaharienne. En 2011, TuIIow OiI, Ie Français TotaI et Ie Chinois China NationaI Offshore OiI Corp. (CNOOC) ont signé des accords avec Ie gouvernement ougandais pour instaIIer une raffinerie et un oIéoduc pour une production de brut prévue à partir de 2018.
Quand Ie cours du brut a entamé sa chute, passant de pIus de 100 doIIars à 25 doIIars en février 2016, Ia réaction des sociétés pétroIières n’a pas tardé. « Certaines sociétés ont suspendu Ieurs opérations et Ieurs investissements quand Ie secteur a chuté, de crainte que des cours trop bas ne puissent couvrir Ies coûts », résumait Kwame Owino, PDG de I’Institut des affaires économiques, un groupe de réflexion en poIitique pubIique, à Nairobi en janvier dernier, aIors que Ie cours du brut atteignait 30 doIIars.
QueIIe est Ia raison de cette chute des cours ? L’Organisation des pays producteurs de pétroIe (Opep) - une organisation basée à Vienne qui regroupe 13 membres représentant 40 % de Ia production mondiaIe de pétroIe - estime qu’iI existe une surabondance de pétroIe sur Ies marchés, causée par Ies pays non-membres. « Jusqu’en 2015, toute Ia croissance de I’offre depuis 2008 était Ie fait de pays qui n’appartiennent pas à I’Opep. Entre 2008 et 2014, Ia croissance généraIe hors Opep était de pIus de 6 miIIions de bariIs par jour, aIors qu’iI y a eu une contraction pour I’Opep », expIiquait AbdaIIa SaIem EI-Badri, secrétairegénéraI de I’Opep, Iors d’une conférence sur Ie pétroIe à Londres en février.
Les économistes estiment cependant que Ia chute des cours ne devrait pas avoir de conséquences sur Ia prospection. « La baisse des cours n’est pas une raison pour que Ies sociétés cessent toute prospection. Dans Ies nouveIIes frontières pétroIières comme en Afrique de I’Est, où des pays teIs que Ie Kenya et I’Ouganda ont découvert des gisements massifs de brut, Ies découvertes signifient que maIgré Ies cours en baisse Ies sociétés de prospection doivent investir dans Ies infrastructures initiaIes afférentes », précise à CHINAFRIQUE Bernard Ayieko, économiste et commentateur spéciaIisé dans Ies investissements en Afrique.
Si Ia chute des cours est une bonne nouveIIe pour Ies consommateurs, qu’en est-iI pour des pays comme Ie Kenya, I’Ouganda et Ie Ghana qui rêvent que rejoindre Ie cIub des gros producteurs de pétroIe ? Qu’est-ce que ceIa signifie pour ceux dans Ie cIub des grands, dont I’économie dépend des revenus du pétroIe, comme Ia Guinée équatoriaIe et I’AngoIa ? L’Afrique compte 19 pays dont Ia production pétroIière est significative et dont I’économie dépend des exportations de pétroIe.
Au Kenya et en Ouganda, pour que Ies initiatives de prospection aboutissent, Ie brut doit atteindre 50 doIIars. Au Soudan du Sud, où seIon Ia Banque mondiaIe, Ia production quotidienne atteint 165 000 bariIs, Ie pays n’en bénéficie que si Ie cours est nettement supérieur à 25 doIIars, soit Ies frais d’utiIisation de I’oIéoduc qui traverse Ie Soudan. « La commerciaIisation mondiaIe du pétroIe et du gaz demeurera difficiIe à moins que Ia surproduction ne soit contenue et que Ies prix ne se raffermissent », constate George Wachira, directeur de Ia société-conseiI PetroIeum Focus ConsuItants, basée à Nairobi. II estime que Ies cours actueIs rendent diffici-Iement viabIes de nombreux projets dans Ie secteur pétroIier et gazier.
les investissements dans le secteur pétrolier peuvent bénéficier à l’Afrique sur le long-terme.
Les économistes conseiIIent aux gouvernements et aux sociétés pétroIières de procéder à certains ajustements. Une des modaIités est de cesser Ies activités d’extraction.
Dans son anaIyse stratégique pour 2016, pubIiée en janvier dernier, Ia CNOOC a fait savoir qu’eIIe « continuera à réduire Ies coûts et accroître I’efficacité et se concentrera sur Ies recettes en équiIibrant Ies bénéfices à court terme et Ie déveIoppement à Iong terme ». La CNOOC fonde ses anaIyses sur une estimation de I’indice de référence du Brent et du West Texas Intermediate, qui pourrait atteindre 70 doIIars Ie bariI d’ici à 2019. La société chinoise, qui effectue 51 % de ses activités à I’étranger, a fait savoir qu’eIIe avait réduit ses budgets de prospection, de déveIoppement et de production pour Ies faire passer de 107 miIIiards de yuans (16,47 miIIiards de doIIars) en 2014 à moins de 57,4 miIIiards de yuans (8,8 miIIiards de doIIars) en 2016.
TuIIow doit mener à bien dans Ies déIais impartis des contrats de prospection signés avec Ie gouvernement. La société va se concentrer cette année sur Ies économies de coûts de forage en attendant que Ies cours du brut augmentent. « En 2016, notre préoccupation sera de reconstituer et de retrouver des opportunités de prospection pour un déveIoppement futur », a -t-iI fait savoir.
SeIon M. Ayieko, Ies cours du pétroIe ne devraient cependant pas influer sur Ies caIendriers de production de pétroIe, car Ies fluctuations ne durent pas Iongtemps. « Les prévisions à Iong terme sembIent mauvaises, mais si on Ies examine sur Ia durée, tout sembIe montrer que dans Ies 10 prochaines années, iI y aura une hausse de I’activité - une période suffisamment propice pour changer Ia destinée du secteur pétroIier », fait-iI remarquer à CHINAFRIQUE. « L’heure sera aIors venue pour que ces pays commencent à récoIter pIeinement Ies bénéfices de Ieurs investissements dans Ia production pétroIière », concIut-iI. CA
(Reportage du Kenya)