LINDSAY PRADELLE, membre de la rédaction
Contrefaçon : la Chine contre-attaque et propulse une start-up
LINDSAY PRADELLE, membre de la rédaction
Chaque bout de papier a une microstructure unique, dont les données enregistrées dans le système de Cypheme servent de certificat d'authenticité.
Cypheme, une start-up basée à Shenzhen, cofondée par trois Français et deux Chinois, a reçu une subvention de 500 000 yuans de la part du gouvernement de Shenzhen cet été, en reconnaissance de son innovation en matière de technologie anti-contrefaçon. Cypheme utilise l’appareil photo de nos smartphones pour analyser la microstructure d’une simple étiquette papier sur un produit et comparer l’empreinte photographiée par l’utilisateur à celles enregistrées et stockées par Cypheme en base de données, dans l’objectif d’aider les gens à distinguer le vrai du faux. C’est une première mondiale qui révolutionne le milieu de la détection de contrefaçons.
La contrefaçon fait plus de morts chaque année que la malaria, mais aussi que les attaques à l’arme à feu ou les guerres, de par les hauts risques pour la santé que sa consommation représente. Voici les conclusions frappantes que l’on peut voir écrites sur la page d’accueil du site de Cypheme. Force est de constater que la contrefaçon est donc un problème d’importance capitale dans notre société. Pourtant, comme l’a déclaré Hugo Garcia-Cotte, PDG de Cypheme, tant qu’on y est pas personnellement confronté, on n’y prête qu’une mince attention. En subventionnant la start-up pour le développement de son innovation révolutionnaire en matière de détection de contrefaçon, la Chine démontre qu’elle se soucie d’un problème d’ampleur mondiale.
En effet, la Chine ne cesse de renouveler ses actions pour lutter contre ce démon, par exemple par la propagande anticontrefaçon, le démantèlement de réseaux, les contrôles de qualité sur les marchés organisés par le gouvernement, l’encouragement à communiquer toute information sur le sujet directement aux départements de contrôle de la qualité ou bien en appelant le 12315 ou le 12365, ou enfin en rendant accessible au public sur la Toile le nom de toute entreprise ayant déjà été condamnée pour un acte de fraude. À cette liste non exhaustive d’actions entreprises par le gouvernement chinois, vient s’ajouter la récente subvention accordée par le gouvernement de Shenzhen à la start-up sino-française et son système innovant de détection de contrefaçon au moyen d’un simple smartphone possédant un appareil photo. Pierre Guinaudeau, l’un des fondateurs de Cypheme et directeur technique de la société, nous explique avec passion cette découverte révolutionnaire.
Pierre Guinaudeau et Hugo Garcia-Cotte se sont connus au cours de leurs études d’ingénieur à l’école Supélec. Tous deux ont découvert la Chine dans le cadre d’un échange académique de deux ans avec l’université Tsinghua à Beijing, où ils ont obtenu un double diplôme d’école d’ingénieur en 2012 et de master en informatique en 2013. En été 2015, Hugo Garcia-Cotte, Diana Wang, cofondatrice et directrice commerciale Chine, et Charles Garcia, cofondateur et directeur marketing, ont participé au fameux programme accélérateur de start-ups « 500 start-ups » à la Silicon Valley avec pour projet de développer une technologie capable de protéger des documents papier, d’où le nom Cypheme qui fait référence à un texte cryptographié. Pierre Guinaudeau se rappelle : « Au cours du développement du projet, il y a eu un pivot avec une réalisation de l’ampleur du problème de la contrefaçon suite au grave souci de santé survenu après la consommation d’un alcool contrefait par un membre de la famille de Diana Wang. La société est donc passée de la protection de documents papiers à la protection de biens physiques. C’est à ce moment-là que Cypheme s’est relocalisé à Shenzhen et que Wang Min, co-fondateur de formation d’ingénieur et en charge du développement des serveurs, de l’application et de l’intégration de la technologie aux réseaux sociaux WeChat et Facebook, suivi de moi-même au poste de responsable du développement technique, avons rejoint la société. »
Pour vérifier l’authenticité d’un produit, il suffit donc d’avoir en sa possession un smartphone équipé d’un appareil photo, avec l’application WeChat ou Facebook, soit pour ainsi dire, des outils que la majorité de la population actuelle possède. Directement intégré au packaging du produit ou sur une étiquette collée àl’extérieur - et non dissimulé à l’intérieur, comme la plupart des QR codes, très faciles à copier et destinés à être scannés une seule fois pour authentifier un produit de manière unique -, se trouve un logo Cypheme édité sur du papier tout à fait ordinaire sans secret de fabrication. Nul besoin de télécharger une application, le simple envoi d’une photo de ce logo sur le système Cypheme intégré à WeChat ou Facebook permet de vérifier en temps réel l’authenticité du produit.
Alors comment cela est-il possible ? Comment fonctionne cette technologie étonnante qui vient révolutionner et apporter toutes les solutions aux techniques existantes de lutte contre la contrefaçon ? Pierre Guinaudeau nous explique : « L’innovation de notre technologie, c’est qu’elle est capable d’identifier de façon unique des morceaux de papier, même tirés d’une même feuille avec une impression identique. Aucun bout de papier n’a la même structure. Chaque étiquette est comme une empreinte digitale que l’on stocke en base de données et seules celles qui auront été enregistrées dans notre système seront des certificats valides d’authenticité. » Il poursuit : « Ce qui est révolutionnaire, c’est qu’il n’y a aucun secret de fabrication des étiquettes, c’est juste du papier standard dont la microstructure unique a été enregistrée dans notre système. » Pour ce faire, les marques soucieuses de protéger leur image auprès de leurs utilisateurs n’ont qu’à se manifester auprès de Cypheme par le formulaire ou à l’adresse électronique indiquée sur leur site Internet www.cypheme.com. « Le coût est moindre pour les clients et le retour sur investissement est très intéressant comparé aux autres technologies puisqu’aucun matériau spécial n’est utilisé dans la production des certificats. » Un scanner industriel est chargé d’enregistrer et d’envoyer les données de microstructure de chaque étiquette en papier imprimée à l’usine à la base de données de Cypheme pour validation du certificat. Pierre Guinaudeau partage avec enthousiasme les points clés de son innovation : « Outre le faible coût d’investissement, la sécurité est donc notre principal avantage. Impossible de créer des faux puisqu’on ne peut pas reproduire la structure même du papier. On peut copier ce qui est imprimé dessus mais pas sa microstructure, qui lui est propre. De plus, à la différence de certaines autres solutions sur le marché, l’étiquette papier, simple et peu coûteuse à produire, peut être scannée de multiples fois par tout acheteur potentiel à l’aide de son smartphone. Détecter une contrefaçon est donc ‘‘donné à tout le monde’’, pas de risque de copie du certificat, et pas besoin de l’œil d’un expert comme c’est le cas pour les technologies utilisant des hologrammes par exemple. »
Quatre des membres fondateurs de Cypheme.
« Il faut bien comprendre que les consommateurs chinois sont les premières victimes de la contrefaçon. Quand vous allez dans un magasin pour acheter du lait ou des médicaments pour votre enfant et que vous ne pouvez pas être certains que vous n’êtes pas en train de l’empoisonner, c’est un réel problème. Notre société manquait d’outils et c’est pourquoi nous avons consacré nos efforts au développement de ce système. Les entreprises chinoises sont aussi les premières touchées. Mon amie a acheté son téléphone dans une boutique officielle d’un célèbre fabricant d’appareils mobiles chinois et a fait la malheureuse découverte qu’il s’agissait d’une contrefaçon. Nous ne sommes donc qu’à moitié surpris du bon accueil de notre technologie ici, en Chine », déclare Pierre Guinaudeau.
En effet, la start-up a reçu en août dernier, un an après sa création, une subvention de 500 000 yuans de la part du gouvernement de Shenzhen pour encourager son développement. 142 start-ups ont reçu un soutien financier dans le cadre de ce programme, selon les déclarations du site officiel de la Commission des sciences et de l’innovation technologique de la ville. Dix ont obtenu une somme maximale de 600 000 yuans, 80 ont reçu la somme de 500 000 yuans et 52 se sont vues offrir 400 000 yuans. Pour Cypheme, cette aide fait partie d’une levée de fonds plus importante, visant à être utilisés pour son expansion en Chine en agrandissant l’équipe de Shenzhen et en concluant davantage de partenariats avec les marques.
Reconnaissant, Pierre Guinaudeau souhaite remercier son pays d’accueil : « Nous sommes très contents de voir que le gouvernement encourage les initiatives pour développer la technologie dans le domaine de l’anti-contrefaçon. » Pour ceux qui auraient des doutes, il ajoute : « Nous ne rencontrons absolument aucune interférence. Bien au contraire, à ce jour nous n’avons reçu que des encouragements, que ce soit par le soutien des gouvernements officiels ou par les entreprises chinoises. La contrefaçon leur déplait autant qu’à nous. » Il est évident qu’ils n’ont pas intérêt à mettre en danger la vie d’autrui. Pierre Guinaudeau poursuit : « La cible de notre lutte, c’est essentiellement la contrefaçon où le client final a vraiment un intérêt à vérifier l’authenticité du produit. Par exemple, en ce moment, nous nous focalisons sur les cosmétiques et l’électronique haut de gamme. Personne n’a envie de s’abîmer la peau ou d’avoir un téléphone qui peut lui exploser entre les mains. Mais de manière plus générale, notre produit concerne tous les domaines où la contrefaçon est un problème pour le consommateur, comme l’industrie pharmaceutique, l’industrie alimentaire, l’alcool, etc. Nous ne nous intéressons pas à la contrefaçon consistant à acheter à bas prix une copie de sac de marque haut de gamme, nous visons les contrefaçons oùil y a une réelle arnaque sur le produit, où le consommateur et la marque originale se font escroquer. »
En juin de cette année, Cypheme a reçu avec grande fierté le premier prix du concours d’entrepreneuriat Bosch Venture Forum organisé à Stuttgart en Allemagne, visant à présenter sa start-up et sa technologie innovante et à engager des relations commerciales avec le groupe Bosch en tant qu’investisseur, partenaire, ou client. Pierre Guinaudeau ajoute : « Aux cotés de dix autres start-ups en phase commerciale, nous avons été sélectionnés pour la 8epromotion de l’accélérateur Microsoft Ventures à Paris, où nous avons passé quelques mois dans le centre à nous former et nous focaliser sur le développement de notre réseau commercial. » Enfin, en Chine, la start-up a également été récompensée dans le cadre d’un concours national d’entrepreneuriat en innovation qui s’est déroulé à Shanghai en août dernier.
En un an, Cypheme a gagné les encouragements de nombreux organismes, accélérant ainsi sa croissance. À l’heure actuelle, Cypheme ne protège que quelques milliers d’unités, mais les fruits de ses multiples invitations et récompenses sont sur le point d’être savourés. En effet, la société est actuellement en cours d’aboutissement de discussions sérieuses avec un nombre important de grands groupes et entreprises séduits par cette technologie révolutionnaire dans le milieu de l’anti-contrefaçon.
Christopher Pradelle, entrepreneur français installé en Chine et directeur de la société d’import-export Keltazia Trading Co. Ltd, fait partie de ces entreprises enthousiasmés par le système. Importateur d’une marque de compléments alimentaires européenne dont il a l’exclusivité, il souhaite bénéficier des avantages de la technologie au niveau commercial et dans le cadre de sa stratégie marketing. « Mon complément alimentaire spécialisé pour les sportifs est une nouveauté sur le marché chinois, je souhaite le garantir dès sa première introduction. Non seulement la technologie développée par Cypheme me permettrait de protéger mes ventes et l’image de la marque en rendant impossible la copie puisque chaque produit vendu serait équipé d’une étiquette-certificat, mais elle me permettrait également de me démarquer avec un bon argument marketing en proposant à mes clients la sécurité d’acheter une marchandise certifiée authentique en toute confiance. En effet, à ce jour de nombreuses marques américaines, ainsi que quelques marques européennes et chinoises sont présentes sur le marché des compléments alimentaires, mais la plupart sont victimes de copies qui rendent le consommateur confus, incapable de s’assurer de l’authenticité des produits. » Sportif, l’entrepreneur a également été personnellement victime d’un de ces compléments alimentaires contrefaits. C’est pourquoi il se sent particulièrement concerné par le problème et souhaite protéger ses clients.
Pierre Guinaudeau nous confie : « Notre objectif à court terme est de concrétiser chacun de ces partenariats en cours de discussion et bien d’autres, afin de répandre la technologie et protéger sous peu des centaines de milliers d’unités par an. C’est l’objectif que nous pensons atteindre suite à la concrétisation de nos discussions actuelles. À long terme, ce qui nous ferait le plus plaisir, ce serait de contribuer à considérablement réduire les chiffres de la contrefaçon. » Ainsi, l’ordre du jour est au développement commercial autour de la technologie développée, pour lequel l’équipe consacre tous ses efforts. C’est donc à demi-mots que Pierre Guinaudeau parle du potentiel d’extension de son innovation : « À l’heure actuelle, nous nous contentons d’informer l’utilisateur de la présence d’une contrefaçon, nous n’avons pas de système de rapport aux autorités. Rien n’est encore déployé et nous sommes ici dans la simple hypothèse, mais on peut penser que mettre en place un système croisant les données des utilisateurs pour établir un rapport localisant les magasins où plusieurs contrefaçons ont été découvertes afin d’alarmer le consommateur et d’informer la police serait une bonne extension de notre technologie. Beaucoup de possibilités sont encore imaginables ! »
Ce programme de subvention de startups apportant des innovations pour améliorer l’avenir rentre le cadre des objectifs proposés par la Chine lors du G20 de Hangzhou dans le but de relancer la croissance mondiale à long terme. Nul doute qu’un recul de la contrefaçon contribuera à l’établissement d’un monde meilleur. Le programme démontre aussi la détermination constante de Shenzhen à attirer et fournir un cadre propice au développement des start-ups. En juin, Shenzhen a investi 111 millions de yuans pour soutenir le financement de 133 projets, 34 centres, 14 plates-formes de services et 2 incubateurs pour l’innovation et l’entrepreneuriat.