(France) SÉBASTIEN ROUSSILLAT
Ça chineen Chine
(France) SÉBASTIEN ROUSSILLAT
Jusqu’à présent, le verbe « chiner » n’avait rien à voir avec la Chine. Pourtant, aujourd’hui, cela redevient à la mode, et pas seulement dans les magasins rétro ou les brocantes, mais aussi sur Internet et les smartphones… Partons saisir les occasions…
Des entreprises de vente de véhicules d’occasion sont élues « entreprises innovantes de l’année » lors du Sommet des nouveaux médias en 2015.
Il faut tout d’abord replacer le sujet dans son contexte. En Chine, jusqu’à encore très récemment, acheter du seconde main, du vieux, était encore mal vu, voire inimaginable pour beaucoup de Chinois, dont la génération ayant vécu sous Mao. Habituée aux pénuries et à une vie rudimentaire où le matériel était au second plan, l’idéologie occupant tout l’espace, celle-ci n’avait que faire de la fièvre acheteuse. À notre époque, pour beaucoup de Chinois, « le neuf » rime avec « bonne qualité » , « rang social », tandis que « le seconde main » rime avec « pauvreté » et « mauvaise qualité ».
Une autre raison de ce désintérêt des Chinois pour les occasions se trouve aussi dans le prix des objets neufs vendus en Chine. En effet, ceux-ci sont bon marché et on préfèrera acheter du neuf pas cher plutôt que du « déjà-utilisé » moins cher. Ainsi, un consommateur chinois favorisera l’achat d’un portable d’une marque chinoise moins chère plutôt que d’un iPhone de seconde main. Il y a aussi une part de fierté dans le fait d’acheter du neuf,car cela donne de la « face », du prestige.
Mais une autre raison peut également expliquer pourquoi les Chinois se tournent souvent vers le neuf : il existe un réel problème de manque de confiance des consommateurs envers les objets de seconde main. Ceux-ci peuvent être abîmés, cassés, et servir d’appât à des vendeurs peu scrupuleux qui essaient de refiler de la marchandise hors d’usage ou de mauvaise qualité à celui qui essaie de faire des économies.
Tout cela explique que pendant des années et jusqu’à récemment, les Chinois ne se sont presque pas intéressés aux occasions et achetaient exclusivement que du neuf, que ce soit pour la maison ou pour la voiture, en passant par les meubles et autres objets électroménagers ou électroniques. À tel point que les vieux meubles des années 1970 sont aujourd’hui systématiquement recyclés et broyés pour faire du contreplaqué. L’électroménager est, lui, récupéré pour faire des pièces détachées. Il est rarement revendu.
Jusqu’à il y a peu, seulement deux grands sites Internet d’achats et de services en ligne : 58.com et Ganji vendaient des occasions sans y être totalement consacrés.
Mais aujourd’hui, on observe un changement des mentalités chez certains Chinois, notamment dans les grandes villes : le consumérisme n’est plus le mode de vie rêvé et l’envie de ne plus gaspiller, d’économiser, s’est ancrée chez les gens. On peut même parfois parler, dans le cas de certains qui décident de vivre dans le minimalisme par exemple, d’une véritable prise de conscience.
Derrière ces noms barbares, se cachent les nouvelles « braderies » chinoises de l’ère Internet et de l’e-commerce. Uniquement consacrés aux ventes d’occasions, Zhuanzhuan et Xianyu sont en compétition sur tout ce qui est électronique, électroménager et objets courants. Youxinpai, Cheyipai sont des sites d’enchères sur les voitures d’occasions et autres, Cheyipai étant uniquement consacré aux voitures d’occasion.
Zhuanzhuan et Xianyu, sont les deux derniers nés du genre. Zhuanzhuan appartient à 58.com et est une plate-forme où l’on peut acheter de la téléphonie mobile et des objets électroménagers de secondemain. Zhuanzhuan comptait près de 3 millions d’utilisateurs en août dernier.
Xianyu est un produit du groupe Alibaba. Il est destiné uniquement aux occasions. Comme son concurrent Zhuanzhuan, on y trouve de la téléphonie mobile, de l’électroménager et des objets de la vie courante. Près de 170 millions d’objets ont été échangés sur Xianyu en mars de cette année.
Kongkonghu est dédié au seconde main vestimentaire pour les femmes. L’année dernière, il a reçu un financement à hauteur de 18 millions de dollars.
Ces trois plateformes de vente d’occasions possèdent toutes en commun le fait de fonctionner comme un réseau social. Zhuanzhuan, Xianyu ou encore Kongkonghu existent toutes sous forme d’application mobile et permettent aux acheteurs de liker et de commenter les articles vendus dessus, un peu à la manière d’Instagram. Des groupes peuvent être créés autour d’un centre d’intérêt et acheter n’est alors plus « individuel », mais « social » puisqu’on partage ce que l’on a chiné et les autres peuvent donner leurs commentaires et leurs conseils, une petite touche qui fait la différence avec 58.com ou encore
Ganji qui étaient conçus comme des sites basiques de vente en ligne.
L’engouement des investisseurs pour ces plateformes montrent que celles-ci, en dehors d’un phénomène de mode, tendent à se pérenniser et à devenir le mode de consommation de beaucoup de Chinois.
Xianyu, une plate-forme de vente d’articles d’occasion sur Internet.
Paipai, de Jingdong, a été fermé en avril 2016 à cause des contrefaçons et autres objets en mauvais état vendus dessus. Un problème qui ne simplifie pas la tâche des plateformes de vente d’occasion. Si le consommateur n’a pas confiance en la qualité de l’objet qui lui est vendu, pourquoi l’achèterait-il ?
C’est là tout le défi de ces plateformes. Ganji avait été obligé en 2012 de mettre en place un service après-vente des occasions pour rembourser les acheteurs. Ceux qui avaient découvert que la photo de l’objet qu’ils avaient achetée n’était pas contractuelle étaient remboursés jusqu’au dernier centime des frais de port. Aujourd’hui, Ganji a été racheté par son concurrent 58.com qui a créé une plate-forme spécialement dédiée aux objets d’occasions : Zhuanzhuan. Ce qui montre peut-être une amélioration à ce niveau.
Prenons donc l’exemple de Zhuanzhuan. Sur la page d’accueil de la plateforme, la première chose à faire est de s’identifier. Une authentification, valable autant pour le vendeur que pour l’acheteur, est nécessaire avant de pouvoir faire des affaires sur la plateforme. C’est un premier gage de garantie pour éviter les arnaques.
Pour l’achat, Zhuanzhuan fonctionne avec un système de garantie. Le vendeur met son objet en ligne avec des photos. Contrairement à d’autres sites, les photos doivent être nombreuses et montrer l’objet sous toutes ces coutures. L’acheteur, après avoir examiné l’objet, lu les commentaires et analysé le nombre de likes, le paye. L’argent est placé « en garantie » puis l’objet envoyé à l’acheteur qui valide ou non l’achat. Si l’objet lui paraît abîmé, en mauvais état de marche, il peut le renvoyer et son argent lui est rendu. Sinon, il valide l’achat et l’argent placé en sécurité est alors versé au vendeur. Un moyen de garantir la qualité des objets vendus et d’éviter les arnaques.
Pour encourager les utilisateurs à acheter et leur donner confiance, Xianyu, qui signifie « poisson au repos » en chinois, a créé des « points pêche » qui sont comme de petits forums basés sur des centres d’intérêt où les utilisateurs peuvent échanger sur leurs hobbies et faire des affaires en entrant en lien par dialogue interposé sur des forums de discussion.
Cheyipai, spécialisée dans les ventes aux enchères de voitures d’occasion, a trouvé le moyen de rassurer ses clients en mettant en place un service aprèsvente doté d’une équipe d’inspection de 1 500 membres en 2015 qui vont tester les voitures sur place pour l’acheteur.
Une autre plateforme : Aihuishou (J’aime recycler) utilise une approche innovante. Au lieu d’être un dépôt où les utilisateurs vendent eux-mêmes leurs objets, elle les rachète, les répare et les revend elle-même. Celle-ci a d’ailleurs reçu 60 millions de dollars d’investissement notamment de la part de Jingdong, dont la plateforme Paipai a été fermée en avril dernier. Une manière de se « recycler » dans ce marché niche qui est en train de prendre de l’ampleur.
Certes, il y a toujours des Chinois réticents à acheter des occasions et ce marché se concentre surtout sur les trentenaires des grandes villes, mais la mode sucite l’enthousiasme, en témoignent les investissements sur les nouvelles plateformes d’échange de seconde main. D’après une source Tencent, la plateforme Xianyu devrait même devenir indépendante pour pouvoir recevoir des investissements extérieurs.
Faire du neuf avec l’ancien, c’est ce que sont en train de faire les plateformes chinoises de ventes d’occasions en ligne. Prise de conscience écologique, changement des modes de vie ou simple mode, cet engouement pour l’échange et le seconde-main semble montrer une nouvelle tendance : le consommateur chinois se met à l’économie et au recyclage.