LINDSAY PRADELLE, membre de la rédaction
Rencontre avec « Le Fromager de Pékin »
LINDSAY PRADELLE, membre de la rédaction
Liu Yang, « Le Fromager de Pékin ».
Tout a commencé par
un caprice de femme enceinte : du fromage, il me fallait du vrai fromage français, ici à Beijing, et maintenant ! Après quelques recherches, je me suis retrouvée dans un bus, convaincue, direction le quartier de Huilongguan dans le nord de Beijing, pour rencontrer le génie qui a ô combien exhaussé mon souhait, un pionnier chinois à l’histoire exceptionnelle.
En 2001, le jeune étudiant Liu Yang part pour la France afin d’y suivre un cursus en management à l’université d’Auvergne, dans la ville de Clermont-Ferrand. C’est alors que sans le savoir, il se retrouve, pour la première fois, face à son destin, à l’occasion du buffet d’accueil des nouveaux étudiants chinois organisé par l’université. Une large panoplie de fromages y était proposée, et Liu Yang ressenti un profond intérêt à les goûter tous. Plus tard, il part terminer ses études en Corse. C’est en dégustant les fromages artisanaux d’un paysan et en s’inscrivant à un cours de fabrication du fromage auprès des localement renommés frères Césari que les fondations de son succès se sont édifiées. De ses six années passées en France, il a rapporté un précieux savoir-faire, mais aussi une solide formation de gestion faisant de lui un entrepreneur résolu.
En novembre 2007, de retour en Chine, Liu Yang cherche sa voie et décide, pour notre plus grand bonheur, de se lancer et de devenir « Le Fromager de Pékin ». Il a commencé par essayer de produire des fromages seul, dans sa cuisine. Au fil du temps, sa technique s’est affinée et sa passion n’a pas faibli. Fin 2008, il était prêt à passer à la vitesse supérieure : il organise alors une dégustation officielle au Centre culturel français, puis une autre au Little Saigon, un restaurant vietnamien. Chacun de ces événements a su combler le public, aussi avisé soit-il. Mi-2009, il décide donc de poursuivre son projet fou et d’ouvrir son laboratoire de fabrication dans le quartier de Huilongguan. Ses locaux sont neufs et rigoureusement entretenus. En témoigne mon rhume le lendemain de ma visite, le fromage bénéficie d’un environnement frais à toute épreuve. Pour ma part, ne diton pas que la gourmandise est un vilain défaut ?
Liu Yang s’évertue à conserver le caractère artisanal de son travail. Il a pour principal objectif la qualité et il semble que le produit soit incontestablement à l’image de l’amour qu’il lui porte. L’entrepreneur a importé son matériel et ses techniques de France, mais le lait qu’il utilise pour la production de ses fromages, lui, est local. Son lait de vache provient désormais d’une petite ferme locale répondant à ses critères de qualité. Il a fait l’acquisition de ses propres chèvres, qui pâturent paisiblement l’herbe entourant le temple Dajue dans les montagnes de l’Ouest de Beijing, et plus récemment, il a commencé à produire de façon saisonnière des fromages à base de lait de yak provenant directement d’une petite ferme au Tibet. Aujourd’hui, sa carte propose une palette de 22 fromages différents, dont le dernier en date est le « Rouge de Pékin », un fromage à pâte molle et à la croûte lavée, très proche d’un « maroilles » ou d’un « munster ». Mais Liu Yang poursuit sa course à l’innovation, et nous aurons bientôt le plaisir de goûter à sa prochaine création, une tomme aux truffes noires du Yunnan ! Comme toute bonne chose se mérite, le produit nécessite trois mois d’affinage et sera prêt juste à temps pour notre menu de Noël. En attendant, nous pouvons profiter du « vieux Gris de Pékin » qui est en promotion à 30 yuans, mais aussi des bleus, camemberts, chèvres, fromages aux herbes, pyramides de Valençay, tommes ou encore de la ricotta. Les légères différences avec les fromages français sont tout simplement dues à des variétés moins importantes de lait, mais aussi à la taille des moules utilisés, parfois différente.
Pour déguster les délices du « Fromager de Pékin », là aussi, un large choix s’offre à nous. Hormis son atelier de fabricationsitué près de la station de métro Huoying, il possède son point de vente principal en centre-ville dans l’arrondissement Chaoyang, au marché de Sanyuanli. Pour les plus paresseux, ses services de livraison à domicile sont disponibles sur la plate-forme d’achat en ligne de Taobao, sur WeChat ou encore en le contactant directement par son site internet www.lefromagerdepekin.com. Le prix moyen des produits se situe entre 30 et 60 yuans. Les commandes vers toutes les grandes villes de la Chine seront entre vos mains impatientes en moins de 24 heures. Les fromages de Liu Yang sont également en vente dans les magasins de la chaîne April Gourmet, la boucherie allemande Schindlers dans le quartier de Sanlitun ou encore à la boucherie Chez Gérard dans le hutong Jianchang, entre les temples de Lama et de Confucius. Marque de reconnaissance et de confiance, de nombreux restaurants français ou haut de gamme se fournissent également auprès de Liu Yang. À Beijing, Capital M, TRB (Temple Restaurant Beijing), Brasserie Flo et les restaurants des hotels Four Seasons, The Opposite House et Raffles proposent sur leurs cartes les fromages de Liu Yang, tandis que la nouvelle s’est répandue dans d’autres villes chinoises où des restaurants de renom se fournissent chez « Le Fromager de Pékin » : The Kitchen à Shenzhen, le restaurant français Xiamen Xiamen dans le Fujian, le bar à vin français Le Parisien à Suzhou ou bien Pastis à Yantai dans la province du Shandong.
L’activité et les accomplissements de Liu Yang dissimulent sa foi en un développement de la culture de consommation du fromage en Chine. À ce jour, des familles modernes chinoises initient déjà leurs enfants au goût du fromage, et ses « mini crottins de chèvre » connaissent une certaine popularité parmi les enfants chinois. « Les propriétés riches en calcium et en protéines du fromage en font un produit de bonne réputation. Ainsi de plus en plus de parents en achètent pour leurs enfants pour qui les goûts ne sont pas encore formatés », observe Liu Yang. Les chiffres sont probants, selon l’entrepreneur, « Au commencement (en 2009), au moins 95 % de ma clientèle était des expatriés, avec une majorité de français. Aujourd’hui, plus de 50 % de mes clients sont Chinois ! Et ce n’est pas tout, au début, je fabriquais 100 kg de fromage par mois. Désormais, j’en produis 500 kg. » Selon le fromager, cette impressionnante progression est due au fait que « de plus en plus de Chinois s’intéressent aux mets étrangers. Qui plus est, nos séances de présentation et d’initiation à la culture du fromage sont de plus en plus demandées. » Les fromages les plus prisés par la clientèle chinoise sont la ricotta qui a un goût doux, et le populaire « Gris de Pékin ». Beaucoup d’amateurs de vin s’intéressent désormais à l’association de la boisson avec un plateau de fromages, « à la française ».
Une employée au travail dans le laboratoire de Liu Yang.
Ainsi les produits de Liu Yang font non seulement le bonheur des Chinois et des Français expatriés en Chine, mais ils ont aussi été dignement remarqués outre mesure. En effet, en juin 2015, l’entrepreneur a participé en tant qu’exposant au salon du Mondial du Fromage et des Produits Laitiers à Tour, en France. Parmi les quelque 600 produits laitiers présentés et soumis aux votes de 80 juges professionnels, il a remporté deux médailles d’or au Concours International Produits. L’une récompense son « Bleu de Pékin », et l’autre son « fromage de yak ». Ce concours, rassemblant plus de vingt nationalités, est un rendez-vous attendu des professionnels car il est l’occasion d’évaluer un savoir-faire, un respect des traditions, de viser l’excellence et de faire preuve de créativité et d’innovation.
Il a également eu l’honneur d’être intronisé « Chevalier » par la Commanderie du fromage de Sainte-Maure de Tourraine en juin 2015. Par ailleurs, Liu Yang est désormais « Compagnon d’honneur » de la Guilde internationale des fromagers, s’évertuant à présenter la culture du fromage et à transmettre le savoir-faire artisanal de sa fabrication. Il a assisté au premier chapitre du club Chine l’année passée à Shanghai, et plus récemment à un deuxième grand événement de la guilde à Beijing même en juin dernier. L’année prochaine, le rendez-vous du prestigieux club se tiendra à Harbin. Enfin,la spécialiste et auteur du World Cheese Book aux éditions DK, Juliet Harbutt, a référencé dans son ouvrage deux produits de Liu Yang : sa tomme, et son « Rouge de Pékin ».
En Chine, Liu Yang multiplie les efforts pour promouvoir la culture du fromage. Pour renforcer son influence, il participe régulièrement à des évènements de coopération culturelle sinofrançaise, avec des organismes tels que ClubFrance, réseau desanciens étudiants chinois revenus de France, ou l’Alliance française où il est régulièrement invité à animer des dégustations. En 2013, invité à partager son expérience à un séminaire visant à encourager et accompagner les anciens étudiants du réseau à se lancer dans l’entrepreneuriat, Nicolas Wable, ancien coordinateur national de Campus FranceChine, l’a décrit comme un exemple de réussite commerciale basée sur les échanges culturels sino-français qui pourrait inspirer de jeunes entrepreneurs. « Les étudiants servent de pont et de lien entre les deux cultures et économies », poursuit-il. En dehors de ces institutions, il dispense des présentations formant à la culture du fromage accompagnées de séances de dégustation de ses produits pour le personnel de SOPEXA, mais aussi pour de plus en plus d’individuels au travers de sa plate-forme dédiée sur l’application mobile chinoise Zaihang. À noter que ses fromages ont été servis à des repas de chefs internationaux réunis à Beijing, dont Bernard Vaussion, chef du Palais de l’Élysée, faisait par exemple partie.
Avec un tel succès, il n’est pas surprenant que l’entrepreneur ait d’autres projets en chemin. Pour notre plus grand bonheur, il nous a fait part de l’ouverture prochaine de « la Pizzeria du Fromager de Pékin », où « tous les légumes et la farine utilisés sont des produits biologiques ». Il va sans dire que la spécialité de la maison est... la pizza « Quatre fromages de Pékin » ! La pizzeria se situe dans l’arrondissement de Chaoyang, dans la nouvelle aire de restauration internationale The Crib qui doit ouvrir ses portes début octobre.
Lorsqu’on interroge Liu Yang sur ses projets d’avenir à long terme, il pense à de nouvelles innovations tels que des bars à fromages, spécialisés dans la dégustation du produit, ou bien à développer davantage la formation à son savoir-faire artisanal. On n’arrête pas un entrepreneur à l’énergie novatrice, ce qui ne déplaira pas à nos papilles impatientes de voir comment va évoluer ce joli savoir-faire français dans une culture lointaine d’une grande richesse. Et puisqu'il faut bien une petite tâche sur le tableau, quand on demande a Liu Yang s'il a converti son jeune enfant au goût du fromage, il rit avec un air dépité que « non, pas encore ». On dit bien que les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés !