GONG HAN, membre de la rédaction
Créer de nouveaux médicaments de fabrication chinoise
GONG HAN, membre de la rédaction
Yu Dechao.
Yu Dechao ne débarque pas sur le marché : il est à la fois spécialiste de la pharmacie biologique et expert reconnu, engagé par le gouvernement chinois dans le cadre du « Programme des Mille talents ». Il est aussi l’un des principaux découvreurs de l’Oncorine, le premier médicament anti-virus tumoral au monde, et c’est à lui que nous devons Conbercept, le premier médicament anticorps monoclonal breveté dans le monde entier. Ce dernier s’emploie principalement dans le cadre d’injections ophtalmiques qui visent à rallumer la lumière dans les yeux qui souffrent, du fait de l’âge, d’une dégénérescence maculaire ou de troubles liés au diabète. En février 2014, lors de la réunion annuelle de l’institut Palmer Eye, Conbercept fut nommé premier médicament biologique haut de gamme développé hors des États-Unis.
En 2006, M. Yu a démissionné de son emploi grassement rémunéré pour rentrer en Chine où il a fondé Innovent Biologics à Suzhou en 2011, avec pour objectif affiché de mettre des biomédicaments de qualité à la portée de toutes les bourses.
Entrant dans la salle de réunion, Dr Yu, un peu grisonnant, porte un T-shirt frappé du logo de son entreprise. On ne s’attend pas à voir un scientifique et entrepreneur du plus haut niveau dans le domaine des médicaments biologiques vêtu aussi simplement.
Né au pied des montagnes Tiantai, dans la province du Zhejiang, M. Yu a dû partager ses études avec les travaux de coupe de bois et de garde des vaches qui étaient le lot de sa famille. En 1982, il fut admis à l’institut de sylviculture du Zhejiang où il a obtenu son diplôme d’économie forestière, qui fit de lui le premier diplômé d’études supérieures de son village.
En 1989, il s’est lancé dans des études de doctorat en génétique moléculaire à l’Académie chinoise des sciences. Il a ensuite enchaîné, à partir de 1993, des recherches post-doctorales en chimie médicale à l’Université de Californie. Une fois tous les diplômes et titres possibles obtenus, il s’est payé le luxe de refuser une invitation de l’Université de Harvard pour aller travailler dans toute une série d’entreprises parmi les plus prestigieuses en biopharmaceutique, comme Cell Genesis et Applied Genetics.
La biopharmacie développe de nouveaux médicaments à l’aide des méthodes d’ingénierie génétique les plus modernes. Ces produits sont censés apporter une substance active produisant un meilleur résultat médical tout en imposant moins de toxines et d’effets secondaires au patient, et c’est pourquoi on les emploie largement dans le traitement des tumeurs, du diabète et des maladies du sang, ce qui en fait les vedettes actuelles du marché pharmaceutique mondial.
Le premier médicament anti-tumeur virale Oncorine, développé par le Dr. Yu, représente une première mondiale. Comparé à la chimiothérapie, cette approche médicamenteuse réduit les effets secondaires de façon significative.
En 2006, Dr. Yu a démissionné de son poste de cadre supérieur aux États-Unis pour rentrer au pays où il a décidé de se consacrer à la pharmacie biologique nationale. Après sept années de recherches et d’expériences, il a développé Conbercept en 2013, un médicament qui permet aux aveugles atteints de maladie de rétine de retrouver la vue en 24 heures.
La maladie du fond de l’oeil est l’une des trois principales maladies causant la cécité dans le monde. Avec le vieillissement rapide de la population chinoise, ce sont des dizaines de millions de patients âgés qui souffrent de dégénérescence maculaire et de pathologies rétiniennes liées au diabète. Avant le développement de Conbercept, ces patients n’avaient pas d’autre alternative que les médicaments américains vendus à prix d’or.
« Les personnes qui jouissent d’une vision normale ne peuvent pas s’imaginer le besoin terrible de revoir la lumière qu’ont les aveugles, en particulier les personnes atteintes de cécité à un stade avancé de leur vie » explique le Dr Yu. « En plus de la perte de vision, ils perdent leur indépendance et leur capacité à vivre en autonomie, ce qui entraîne la dépression pour un tiers environ d’entre eux », ajoutet-il ayant assisté en direct aux souffrances d’un grand nombre d’aveugles.
Des comparaisons cliniques effectuéespar des professionnels de la santé, il ressort que Conbercept offre des effets plus durables et plus efficaces que les médicaments du même type proposés par Novartis, alors que son prix est quatre fois inférieur à celui des médicaments américains, ce qui permet de réduire d’autant la pression financière sur les familles des patients. En raison de cette concurrence, Novartis a été contraint de réduire le prix de ses médicaments de 2 000 yuans par dose sur le marché chinois.
Pour Dr Yu, les joies qu’il retire de sa carrière sont relativement simples. Un appel téléphonique d’un ophtalmologiste lui annonçant qu’un de ses patients pouvait désormais se déplacer seul grâce à ce médicament. « Mon médicament a transformé la vie de nombreuses personnes. La joie que cela me procure ne peut pas être décrite avec des mots ni quantifiée en yuans », affirme-t-il.
En raison de ses effets thérapeutiques remarquables, Conbercept est considéré comme l’une des découvertes ophtalmologiques chinoises les plus importantes de ces 50 dernières années, et ce médicament innovant est celui qui apporte le plus de valeur ajoutée médicale. À ce jour, c’est le seul médicament d’origine chinoise recommandé par le Comité de nomenclature des médicaments de l’OMS.
Le laboratoire d’Innovent Biologics.
Le Dr Yu ne se voile pas la face et comprend parfaitement les problèmes qui sont ceux de l’industrie biopharmaceutique chinoise. C’est ainsi qu’il a révélé à La Chine au présent que si la part des biomédicaments sur le marché mondial représente 32 % du total, cette part est inférieure à 5 % sur le marché chinois.
« On compte huit produits biopharmaceutiques parmi les dix médicaments les plus vendus dans le monde, mais aucun d’entre eux n’est sur la liste des plus vendus en Chine. » explique le Dr Yu.
Dans les comparaisons internationales, on emploie souvent comme indicateur le volume disponible de bio-réacteurs dédiés aux cellules mammifères pour mesurer le potentiel de l’industrie biopharmaceutique des pays. Si cet indicateur dépasse 1,3 million de litres aux États-Unis et tourne autour de 670 000 litres en Corée du Sud, il ne représente que 30 000 litres en Chine. « Cette échelle réduite conduit bien sûr à des coûts plus élevés, et les prix excessifs qui en découlent rendront plus difficile la diffusion de ces médicaments parmi les patients à faible revenu, les privant des fruits du progrès de l’industrie biopharmaceutique moderne », explique le Dr Yu.
Il ajoute que, en raison des prix excessifs, seuls 4 000 des 500 000 malades du cancer du sein que compte la Chine peut se permettre d’employer le meilleur médicament connu, un produit importé des États-Unis.
Le Dr Yu raconte que s’il est rentré en Chine, c’était d’une part pour tenter sa chance en lançant sa propre entreprise, mais aussi parce qu’il trouvait malheureux que la Chine qui parvient à produire à peu près tout et n’importe quoi ne soit pas en mesure de développer un médicament qui soit reconnu dans le monde entier, en particulier dans le secteur de la biopharmacie avancée.
En vue de contribuer au développement de l’industrie pharmaceutique dans son ensemble, le Dr Yu a participé au travail législatif et à la mise au point des lois et des standards qui s’appliquent à ce secteur. En outre, il a lancé des sessions de formation destinées aux employés de plus de 500 entreprises dans ce domaine qu’il a aidés à comprendre et à mettre en application les standards nécessaires.
« J’espère que tous les acteurs de ce marché pourront finalement coopérer afin de créer des médicaments plus sûrs, plus efficaces et aussi abordables que possible pour la majorité des patients dans notre pays. Faire des médicaments, ce n’est pas la même chose que mettre au point des té-léphones portables ou des meubles : c’est un test pour notre conscience » affirme le Dr Yu.
Dans son village natal, il a vu plusieurs de ses voisins souffrant d’hypertension ou de diabète contracter de graves maladies suivies de séquelles telles que l’hémiplégie, simplement parce qu’ils n’ont pas pu bénéficier des meilleurs médicaments adaptés à leur cas. « Mon vœu le plus cher est qu’un jour ils puissent être soignés avec des médicaments efficaces et abordables et qu’il soit mis un terme à leurs inquiétudes » s’enthousiasme-t-il.
De son point de vue, afin d’accélérer l’innovation pharmaceutique en Chine, des efforts doivent être consentis dans trois domaines principaux, qui sont la R&D, l’évaluation médicale et le système de financement. « L’argent nécessaire à la recherche et au développement représente des investissements énormes, des risques importants et surtout une longue période de retour sur investissement. Les entreprises ne pourront se lancer que lorsqu’elles auront constaté que des bénéfices substantiels sont au rendez-vous au bout du chemin grâce à la vente des médicaments. C’est ainsi qu’elles sortiront du système actuel qui consiste à se contenter d’investissements modestes pour produire des médicaments génériques. » Ces dix dernières années qu’il a passées en Chine, le Dr Yu a pu constater une évolution dans le secteur biopharmaceutique chinois qui s’est développé à toute vitesse. La Chine rattrape son retard sur les pays développés. « Ça va dans le bon sens, mais il reste un long chemin à parcourir », constate-t-il.
« Le gouvernement chinois s’est mis à accorder une importance accrue à l’innovation. Maisil se concentre surtout sur la mise en application de plans d’innovation. C’est pourquoi les règles sont aujourd’hui définies de façon plus précise dans l’application des technologies innovantes et les personnels de recherche scientifique sont autorisés à acquérir des actions dans leur entreprise », explique le Dr Yu.
L’atelier de fabrication d’Innovent Biologics.
En mars et en octobre 2015, Innovent a signé deux accords de collaboration stratégique avec Eli Lilly, une entreprise américaine en bonne place dans la liste Fortune 500 des plus importantes corporations. Ces accords portent sur le développement et la commercialisation conjoints de six médicaments anticorps au cours de la prochaine décennie. En comptant les avances et les versements prévus ultérieurement, cette transaction représente pour Innovent un investissement qui pourrait atteindre jusqu’à 3,3 milliards de dollars. C’est la première fois qu’un médicament biopharmaceutique développé en Chine par une société chinoise bénéficie d’une reconnaissance telle qu’il a pu être racheté sur le marché international. C’est aussi la plus importante coopération internationale en termes d’investissement alloué dans le secteur biopharmaceutique chinois.
En outre, Eli Lily versera à Innovent un pourcentage sur les ventes égal à 10 % voire plus. Ce qui gonfle encore davantage la fierté du Dr Yu, c’est que cette coopération a modifié durablement le modèle de fonctionnement du secteur pharmaceutique chinois.
Si dans le passé, les entreprises pharmaceutiques chinoises étaient souvent contraintes à effectuer de lourds investissements pendant la première décennie, pour un médicament qui n’allait pouvoir être mis sur le marché qu’ensuite, retardant d’autant le retour sur investissement, cette fois-ci l’entreprise chinoise vend un droit de propriété intellectuelle et peut obtenir des fonds simplement en permettant à des entreprises partenaires de développer et de commercialiser ces produits hors des frontières chinoises.
Le Dr Yu a confié à La Chine au présent que, bien sûr, de nombreux investisseurs de par le monde se sont déclarés intéressés et attirés par l’immense marché pharmaceutique chinois et ses perspectives de développement infinies. Pour illustrer ses propos il cite une histoire qui remonte à juin 2015. Innovent a été sélectionné comme exemple de réussite d’entreprise innovante en Chine et Dr Yu fut donc invité par le Conseil des affaires d’État à assister à la sixième édition du Dialogue Chine-États-Unis sur l’innovation qui se tenait à Washington, où il a pu prononcer un discours sur l’innovation pharmaceutique en Chine.
« Alors que je participais à ce dialogue, un représentant américain a affirmé que personne ne s’attendait à ce que les États-Unis acquièrent des médicaments développés par les Chinois. Pourtant, tous les participants s’accordaient à penser que c’était très positif que les deux parties puissent coopérer et que cette coopération bénéficie à des millions de patients dans le monde entier », raconte le Dr Yu.
M. Yu a développé à ce jour environ 70 inventions brevetables et il continue de travailler dur dans ce sens. « À chaque fois que je peux trouver une inspiration je m’atèle à la recherche pour avancer plus loin. Tous ceux qui veulent développer de nouveaux médicaments fonctionnent de cette manière. Souvent, nous étudions le processus d’évolution de différentes maladies en espérant trouver des moyens de les réduire et de les guérir. C’est la curiosité scientifique qui nous pousse sur de nouveaux chemins », conclut-il