LU RUCAI, membre de la rédaction
Yang Guangwen : supercalculateurs au profit de la recherche scientifique
LU RUCAI, membre de la rédaction
Le professeur Yang Guangwen présente son système Sunway TaihuLight.
Lors de la Conférence internationale sur le supercomputing 2016, qui s’est tenue le 20 juin dernier à Frankfort en Allemagne, le site TOP500.org a publié le dernier classement des 500 supercalculateurs les plus puissants de la planète, où le supercalculateur chinois sunway TaihuLight figure en tête.
La Chine occupe la première place du TOP500 pour la septième fois consécutive. Le Tianhe-2, en tête du classement précédent, est relégué à la seconde place. « En tant que premier supercalculateur qui s’appuie sur un processeur 100 % chinois,le Sunway TaihuLight témoigne des grands progrès qu’a réalisés la Chine dans la conception et la fabrication d’ordinateurs de haute performance. Comparé aux pays développés, tels que les États-Unis et le Japon, le niveau de la recherche et de la fabrication de la Chine en la matière se situe au premier rang mondial », a déclaré Yang Guangwen, professeur à l’université Tsinghua et directeur du National Supercomputing Center (NSCC) de Wuxi, lors de l’interview.
Avant le dévoilement du Sunway TaihuLight, personne n’était autorisé à visiter le NSCC de Wuxi. Mais cette interdiction a été levée au moment de notre interview. En suivant le professeur Yang et en passant les portes protégées par empreintes digitales, notre journaliste en uniforme portant les caractères chinois pour « Sunway » et « NSCC de Wuxi » a acquis des connaissances sur ce supercalculateur, le plus puissant du monde.
Né en 1963, Yang Guangwen a l’apparence typique d’un savant : maigre et passionné de sciences. Bien qu’il côtoie le calcul de haute performance (sigle anglais HPC) depuis 1994, il a fallu attendre l’année 2002, lorsqu’il est devenu expert du Programme 863, pour qu’il puisse s’y consacrer entièrement.
Le Programme 863, appelé aussi le « Programme chinois du développement des hautes technologies », a pris son nom du fait qu’il a été lancé en mars 1986. Ce programme qui met l’accent sur la R&D de hautes technologies avancées vise à améliorer la capacité d’innovation autonome du pays. En 1983, trois ans avant le lancement du programme, la Chine avait développé son premier supercalculateur, Yinhe-1, d’une puissance de calcul de 100 mégaFLOPS (soit 106 opérations à virgule flottante par seconde), ce qui a véritablement marqué l’entrée de la Chine dans le domaine du HPC, en dépit d’un écart énorme avec les pays développés. En 2009, sur la base du Tianhe-1, l’Université nationale de technologies de défense de Chine a mis au point le Tianhe-1A, capable de soutenir une vitesse de calcul de 2,57 petaFLOPS et une vitesse de calcul en pointe de 4,7 petaFLOPS, ce qui lui a permis d’arriver en tête dans la 36eédition du classement du TOP500 des supercalculateurs, signant une percée historique. Depuis lors, le Tianhe-2 a été classé pre-mier dans le monde six fois consécutives jusqu’à son remplacement par le Sunway TaihuLight.
« Bien que nous n’ayons mis que deux ans à la R&D du Sunway TaihuLight, cela se base sur l’accumulation de nombreuses années dans le domaine des supercalculateurs, a indiqué Yang Guangwen. L’atout du Sunway TaihuLight réside dans son autonomie contrôlable. Des puces à la mise en application en passant par la recherche et la fabrication des logiciels, ce superordinateur est doté de techniques 100 % chinoises. En outre, sa consommation d’énergie est très faible. »
En tant que premier superordinateur franchissant la barre des 100 petaFLOPS, le pic théorique du Sunway TaihuLight peut atteindre 125,4 petaFLOPS avec une performance Linpack de 93 péta-FLOPS (soit près de trois fois plus que le Tianhe-2), et un rendement de 6,051 gigaFLOPS/watt. « Même sans aucune connaissance, on peut voir, en comparaison avec les meilleurs systèmes des États-Unis et du Japon, que celui des États-Unis est d’environ 2G et celui du Japon est de 1G. Ainsi notre rapport de consommation d’énergie est trois fois supérieur à celui des États-Unis », a expliqué Fu Haohuan, professeur adjoint for Earth System Science de l’université Tsinghua et vice-directeur du NSCC de Wuxi, qui a participé à la conférence à Frankfort. « L’architecture du Sunway TaihuLight est composée de quelque 40 000 puces contenant chacune 260 cœurs, ce qui représente un total de plus de 10 millions de cœurs pour une seule machine. Ces cœurs travaillent ensemble au sein d’un même système, il s’agit d’une innovation. Une grande amélioration a aussi été apportée quant au taux de consommation énergétique. Ce qui explique la raison pour laquelle de nombreux experts venus d’autres pays étaient tous très impressionés », a-t-il expliqué.
Et d’ajouter : « Pour l’ensemble du système du Sunway TaihuLight, nous avons investi 1,8 milliards de yuans. Cela semble beaucoup, mais les experts étrangers estiment que la Chine a dépensé extrêmement peu pour un tel système, il s’agit d’un autre choc pour eux. »
Selon Yang Guangwen, depuis le lancement du Programme 863, l’État a toujours accordé la priorité à la R&D des supercalculteurs de haute performance . « Le projet des supercalculateurs est partie intégrante d’une stratégie nationale, qu’il rapporte de l’argent ou non, a révélé M. Yang. À mon avis, si le pays soutient ce projet, c’est pour briser le blocus des autres pays. Auparavant, les machines que nous avons importées des États-Unis ne pouvaient être utilisées qu’à des fins déterminées et sous leur surveillance. Nous nous sommes sentis honteux. »
L’année dernière, le Tianhe-2, qui avait été fabriqué sur la base de processeurs Intel, a fait l’objet d’un embargo de la part des États-Unis. Comme il n’était pas possible d’améliorer la performance des supercalculateurs sur le système initial, la Chine a été obligée de changer la ligne établie au sein de la R&D. Dès le début du programme, le Sunway TaihuLight, dont l’approbation a eu lieu dans la même période que le Tianhe-2, suit la nouvelle directive de la R&D quant à l’utilisation de systèmes indépendants. « L’État encourage l’innovation, notamment le développement de nos propres technologies. Dans le domaine des supercalculateurs, il a mis en œuvre des dispositions en soutenant différentes voies de développement. Grâce à ces dispositions bien arrêtées, nous sommes à même de briser les barrières technologiques des États-Unis », a dit M. Yang, non sans fierté.
Le 15 juillet, le Livre Guinness des Records a annoncé officiellement que le Sunway TaihuLight est l’ordinateur le plus rapide au monde. Rowan Simons, président de la zone Greater China, a décerné un certificat de record à Yang Guangwen et a déclaré : « Il s’agit d’une percée historique de la Chine dans le domaine des supercalculateurs. »
L’équipe du National Supercomputing Center (NSCC) de Wuxi a participé à la Conférence internationale sur le supercomputing 2016 qui se déroulait à Francfort, en Allemagne.
Selon M. Yang, il y a une bonne demande pour le HPC en Chine à l’heure actuelle. À l’université Tsinghua, il se charge de la gestion d’un supercalculateur, que partagent quelque 200 groupes scientifiques répartis dans 35 facultés et départements, et qui soutient chaque année la publication d’une centaine de thèses de premier ordre. À son avis, les demandes seront de plus en plus grandes dans les secteurs tels que la sécurité dans le cadre de la défense nationale, l’aéronautique et l’aérospatiale, la météorologie, l’industrie, ainsi que l’invention et la fabrication de nouveaux médicaments, ce qui est l’une des raisons pour laquelle la Chine a accru ses investis-sements dans la recherche du HPC.
Fin 2010, son cursus à l’université Stanford terminé, Fu Haohuan commence à enseigner à l’université Tsinghua. Il se souvient clairement qu’à ce moment-là, le Tianhe-1A venait de prendre la place de numéro un mondial. « Un professeur de l’université Tsinghua qui étudie la météorologie avait assisté à la conférence. Après la révélation de la machine, un homologue américain lui a demandé immédiatement : “Votre machine a remporté la première place et alors, comment la mettre en application ? Êtes-vous capables de l’utiliser en Chine ?” Il s’agit de mettre en doute le HPC en Chine. En effet, les CPU et les puces ont été importés des États-Unis. Ainsi, cela démontre seulement la capacité d’intégration de la Chine et on doit prêter une grande attention à l’application et à la solution des problèmes scientifiques », a-t-il exprimé.
Selon Yang Guangwen, c’est dans cet optique que le NSCC de Wuxi insiste sur sa mise en application au même rythme que le test de la machine, dès la recherche sur le prototype du système et sa fabrication. Par conséquent, depuis son opération d’essai en décembre 2015, des scientifiques venant de 19 secteurs tels que la météorologie, l’aéronautique et l’aérospatiale, l’environnement marin, la biomédecine, la construction navale, les nouveaux matériaux, de même que la manufacture avancée, ont profité de ce système avant de réaliser plus de 60 conquêtes par son application. Il est à noter que trois projets de recherches ont été sélectionnés cette année comme candidats au prix Gordon Bell.
Ce prix, établi en 1987, est la plus haute distinction dans l’application du HPC. Selon Fu Haohuan, durant les 20 premières années, seules les équipes de recherche américaines ont obtenu ce prix. Il a fallu attendre l’année 2002 pour que cette règle soit rompue avec l’invention japonaise du « Earth Simulator ». Par la suite, ce prix a été monopolisé par des instituts de recherche américains, japonais et gagné occasionnellement par les européens. « Auparavant, la Chine n’avait jamais été nomminée pour ce prix. Même à l’époque où le Tianhe-2 a conservé la première place pendant six années consécutives, aucune idée des équipes de recherche chinoises n’a été retenue. Cependant, en 2016, on compte au total six projets de recherche sélectionnés comme candidats, dont trois appartiennent à la Chine, plus précisément trois applications utilisant le Sunway TaihuLight. Tout le monde est animé d’une joie débordante », a-t-il ajouté.
En ce qui concerne la capacité de calcul du Sunway TaihuLight, les participants aux projets de recherche sur l’utilisation ont vécu des d’expériences majeures en la matière. Le National Laboratory for Computational Fluid Dynamics a complété en parallèle sur ce système des calculs massifs liés à la station spatiale Tiangong-1, en finissant la tâche de calcul régulier de 12 mois en seulement 20 jours. Le résultat du calcul correspond bien à celui des essais du tunnel aérodynamique. L’Institut 631 de China Aviation Industry Corporation a réalisé une simulation des valeurs numériques précises sur certaines caractéristiques relatives au C919, en transformant l’échelle de calcul de 10 millions de grilles en celle de 200 millions de grilles, réduisant le temps de calcul de dix heures et diminuant ainsi le nombre d’expérimentations pour le tunnel aérodynamique et le coût de conception.
Le Jiangsu est une grande province manufacturière de Chine. Selon Yang Guangwen, si l’on y a installé le centre du Sunway TaihuLight, c’est non seulement pour répondre aux principaux besoins nationaux, mais aussi pour promouvoir la transformation industrielle de la province. Avec une superficie qui ne représente que 1 % du territoire chinois, cette province a pourtant contribué pour 10 % au PIB national. La transformation de son industrie manufacturière servira d’exemple au reste du pays. Par conséquent, la province du Jiangsu et la ville de Wuxi ont chacune débloqué 600 millions de yuans pour la construction du NsCC, en plus de confier à l’université Tsinghua les opérations de la période postérieure.
« L’essence de la stratégie dite “Fabriqué en Chine 2025” consiste à améliorer le niveau de conception. Après quoi, le niveau de manufacture sera plus élevé », a affirmé M. Yang. Le centre industriel du Jiangsu porte sur l’activité de manufacture, alors que la simulation de conception avant la fabrication dépend du supercalculateur. « Nous comptons donc créer une base industrielle consacrée à l’innovation technologique dans ce domaine. »
Cependant, M. Yang a également reconnu qu’ il n’est pas facile de concrétiser cette idée : « En fait, actuellement, de nombreuses entreprises se livrent à la conception, mais beaucoup d’entre elles le font manuellement ou sur un modèle. Quant aux logiciels de conception analogique, ils sont principalement dominés par les produits commerciaux étrangers. Ce que nous devons faire, c’est créer une multitude de conceptions analogiques. Prenons comme exemple la fabrication d’une automobile, il est primordial d’en assurer la sécurité, mais le test de collision pour contrôler la qualité des véhicules est un moyen destructeur. Grâce au HPC, on pourra procéder à la simulation des valeurs numériques afin de valider la conception en matière de sécurité. Sur cette base, on procédera au test de collision, ce qui permettra de réduire amplement les dégâts et de racourcir considérablement la période de R&D. Il en va de même pour la fabrication d’un avion et du suivi de ses performances. « À l’aide du HPC, on analysera les données envoyées par le capteur pour découvrir immédiatement les problèmes et les menaces potentiels en ce qui concerne les performances, ce qui permettra d’amoindrir la probabilité d’accidents. » Yang Guangwen espère que l’on pourra bien tirer profit de la capacité de calcul des supercalculateurs, dans le but de développer une chaîne industrielle complète jouissant de l’application du HPC, qui intègrera la conception, la fabrication et l’analyse des données. « En combinant le HPC et le Big Data, on parviendra à la gestion de l’ensemble de la durée d’un produit », a-t-il fait remarquer.
Actuellement, ce qui est urgent pour Yang Guangwen, c’est de chercher des utilisateurs qui auront une demande durable du Sunway TaihuLight pour soutenir les importants projets nationaux et la fabrication des matériaux et équipements essentiels des entreprises afin de promou-voir la R&D de nos propres logiciels clés d’opérations parallèles et de les mettre à la disposition de l’industrie manufacturière.
À l’heure actuelle, 167 supercalculateurs chinois ayant figuré sur le palmarès du TOP500, leur nombre a dépassé, pour la première fois, celui des États-Unis. « Nous sommes en tête du classement mondial par le nombre de nos supercalculateurs, mais au niveau de la mise en application, il existe encore un écart entre notre pays et les pays développés. Réduire ce fossé nécessitera une longue période de travail sur la solution des problèmes clés et il est aussi nécessaire de promouvoir l’utilisation des supercalculateurs dans les entreprises qui en ont besoin », a analysé M. Yang. À en juger par les expériences étrangères, deux tiers des scientifiques se consacrent à l’application du HPC, mais en Chine, la plupart sont composés de scientifiques spécialisés en ordinateur. En tant que l’un des six centres du HPC, le NSCC de Wuxi envisage de fonder un laboratoire avec des entreprises qui utilisent des supercalculateurs afin de résoudre la pénurie de personnels dans ce domaine. Le NSCC de Wuxi accordera des ressources, telles que des programmes et des modèles, afin d’élargir l’application du HPC.
« Les investissements dans la recherche scientifique en Chine ont même dépassé les États-Unis sur certains volets, ce qui explique le fait que beaucoup de chercheurs travaillant à l’étranger souhaitent revenir en Chine. En effet, grâce aux ressources, ils peuvent y concrétiser beaucoup de leurs projets de recherche impossibles à matérialiser à l’étranger », a souligné M. Fu. Le gouvernement chinois espère que la recherche scientifique appuiera davantage la croissance économique, il s’agit là d’une grande promotion du développement de la recherche scientifique.
« Nous pouvons fabriquer des TGV de très bonne qualité, mais la plupart des logiciels en matière de conception et simulation de la mécanique des fluides sont importés de l’étranger. Ainsi le supercalculateur le plus rapide du monde nous offre une bonne opportunité de réaliser la R&D de logiciels indépendants, n’est-il pas ? », a interrogé M. Fu. Ce cri du cœur qui illustre celui de nombreux scientifiques est la force motrice qui les encouragera à poursuivre leurs recherches.