PENG SHUYI*
G20 : nouvelles perspectives pour la coopération sino-française
PENG SHUYI*
Cette année, c’était au tour de la Chine d’accueillir le Sommet du G20, événement symbolique de la concertation entre les pays. À cette occasion, le président Xi Jinping a émis un certain nombre de propositions, qui ne seront pas sans répercussions sur la coopération sino-française. Analyse.
C’est dans le contexte d’un ralentissement économique mondial, d’une croissance atone et d’un avenir incertain que s’est tenu, les 4 et 5 septembre 2016, le Sommet des dirigeants du G20 dans la ville chinoise de Hangzhou, célèbre pour ses paysages pittoresques. Sachant que les pays du G20 représentent plus des deux tiers de la population, de la production économique et de la valeur des échanges commerciaux dans le monde, il va sans dire que cette rencontre revêtait une importance majeure pour l’économie mondiale.
Lors de ce sommet, le président chinois Xi Jinping a donné un discours, articulé autour de quatre points, à savoir : le « développement inclusif et interactif », la « croissance par l’innovation », la « gouvernance économique et financière mondiale plus efficace » et « le renforcement des investissements à l’étranger et le commerce international ». Ce faisant, il a prescrit une ordonnance pour traiter les symptômes affectant l’économie mondiale et la remettre sur pied. De ces recommandations, la Chine et la France pourraient bien tirer des opportunités de coopération.
Ces dernières années, les pays occidentaux ont tenté de faire face à la morosité de l’économie mondiale en ajustant leur politique monétaire, c’est-à-dire par le biais d’incitations financières. Toutefois,les résultats n’ont pas été à la hauteur des espérances, pour diverses raisons. D’une part, il est impossible d’injecter de grosses sommes d’argent à volonté dans les secteurs de la production et de la consommation, secteurs les plus aptes à relever l’économie ; d’autre part, renflouer le secteur boursier sème l’agitation sur les marchés des capitaux. Cette année, la Chine a profité de son statut de pays à la présidence du G20 pour dresser une feuille de route visant à dynamiser l’économie mondiale et à poursuivre un développement économique durable : dans les grandes lignes, il s’agit de réaliser des percées dans l’économie numérique, l’économie verte et l’économie bas carbone, afin d’exploiter les dynamiques de croissance, tout en favorisant la « croissance par l’innovation » et en promouvant les réformes structurelles.
Outre sa détermination à recourir à l’innovation plutôt qu’à des instruments financiers pour porter la croissance, la Chine a souligné vouloir un développement à la fois « ouvert, inclusif et interactif ». En d’autres termes, il convient d’examiner équitablement les besoins de chaque pays dans le monde, notamment ceux en développement, pour leur offrir des chances de développement égales et les aider à lutter contre la pauvreté, de telle sorte qu’ils puissent finalement intégrer le système économique mondial et partager les fruits du progrès. À l’heure où la Terre se transforme en un « village planétaire » de par le haut degré d’interdépendance économique qui existe entre les nations, le devenir de chacun des pays est lié au sort de l’humanité toute entière. Ce n’est qu’en combinant les efforts et en recherchant des solutions globales que le bien-être collectif pourra être assuré. C’est dans cette optique que le nombre de pays en développement invités au Sommet du G20 a battu son record.
Par ailleurs, pour un développement ouvert, il est nécessaire de veiller à écarter toute forme de protectionnisme commercial. À cet effet, la Chine prend l’initiative de participer et de renforcer le système commercial multilatéral, en vue d’encourager l’interconnexion des économies nationales pour être mutuellement bénéfiques, plutôt que de rechercher uniquement un intérêt national ou régional sous l’égide du protectionnisme. Par ailleurs, compte tenu de la volatilité et de la vulnérabilité des marchés financiers dans le monde, la Chine a proposé de durcir la surveillance financière par la voie de la coopération et d’élever le niveau de sécurité financière,pour éviter qu’une trop forte volatilité des marchés financiers ne débouche sur un nouveau cycle de crise financière. La Chine a également avancé le concept innovant de la « finance verte ». L’objectif est d’encourager les institutions financières à orienter leurs activités vers les industries et les entreprises engagées dans la stratégie bas carbone et le respect de l’environnement, en ajustant (à la hausseou à la baisse) les coûts et le taux de rendement par exemple. À l’inverse, les flux d’investissement à destination des industries énergivores et hautement polluantes seront enrayés. En d’autres termes, il s’agit de donner le feu vert au financement des projets verts, en défaveur du financement des projets étant source de pollution. Ce sera, de surcroît, un moyen institutionnel de sensibiliser l’ensemble de la société aux questions environnementales et d’encourager un développement économique et social durable. Ce concept de « finance verte » dérive du concept de « développement vert » que s’est fixé la Chine ces dernières années,signe de la volonté du pays de transformer son mode de développement.
L’ordonnance de « médecine chinoise » prescrite par Xi Jinping pour rétablir l’économie a été très bien accueillie par les représentants des pays participants. Des experts français, avant même le sommet, avaient écrit qu’ils espéraient voir la Chine jouer le rôle de leader dans le domaine de l’économie verte et sur la question climatique.
Le président chinois Xi Jinping rencontre son homologue français François Hollande.
Le président François Hollande, en tant que représentant de la France, a assisté au Sommet du G20 et s’est entretenu avec son homologue chinois Xi Jinping. M. Hollande a approuvé les principaux sujets abordés dans l’allocution de Xi Jinping et s’est vivement félicité du haut niveau des relations sinofrançaises et de la coopération bilatérale. Les diverses propositions émises par Xi Jinping au Sommet du G20 seront, pour la Chine et la France, autant de nouvelles opportunités d’approfondir et d’élargir leur coopération.
Les deux chefs d’État ont convenu qu’il fallait saisir cette occasion pour promouvoir vigoureusement une collaboration pragmatique entre les deux pays, dans de nombreux domaines. Et j’attire votre attention sur le mot « pragmatique ». Comme vous le savez sans doute, la France est la première puissance occidentale à avoir établi des relations diplomatiques avec la Chine ; dès 1997, les deux pays ont décidé de consolider ces relations autour d’un partenariat stratégique global. À l’exception de quelques périodes, la France et la Chine ont toujours entretenu globalement des liens très étroits. La France voit la Chine comme un pays ami et la soutient bien plus que certains autres pays occidentaux en ce qui concerne, par exemple, le transfert technologique et le statut d’économie de marché de la Chine. Toutefois, les relations bilatérales ont toujours eu un impact limité : par rapport aux échanges politiques prospères, la coopération dans le domaine économique semble dérisoire. En bref, une diplomatie chaleureuse, mais des retombées économiques tièdes… Plus précisément, la partie française estime ne pas tirer assez d’avantages de ces relations sinofrançaises si étroites, au vu des chiffres associés à la coopération sino-allemande par exemple. Mais la raison fondamentale à cet écart réside dans le fait que l’économie française est actuellement moins attractive que l’économie allemande. Ces dernières années, la Chine et la France se sont efforcées d’améliorer ce déséquilibre en resserrant leurs liens à la fois « au sommet » et « à la base ». Pour que les relations bilatérales se développent en bénéficiant d’un soutien élargi de la part des peuples chinois et français, les échanges non gouvernementaux se sont multipliés, encore une fois dans une optique de « coopération pragmatique » mise en avant par les présidents Xi Jinping et François Hollande.
Les projets exposés par la Chine dans le cadre du G20 créeront sans doute des occasions en or pour approfondir et élargir la coopération pragmatique des deux pays. Les perspectives sont nombreuses et radieuses. D’un côté, la Chine, actuellement dans une phase d’urbanisation et d’industrialisation rapide, se heurte à des problèmes environnementaux, les mêmes qu’avaient rencontrés plus tôt les pays développés. Elle ressent le besoin urgent d’opérer une transition vers l’économie verte, afin d’assurer le caractère durable du développement. Rappelons que, bien avant la tenue de ce Sommet du G20, le gouvernement chinois avait déjà rédigé son XIIIePlan quinquennal, structuré autour des mots clés « protection de l’environnement », « écologie », « projetvert » ou encore « bas carbone ». De l’autre côté, la France est un leader mondial dans les énergies propres (nucléaire, éolienne et solaire) et dans la construction de « villes intelligentes » plus écologiques, démontrant à ce compte-là un avantage concurrentiel certain. Par conséquent, on peut dire qu’au regard de l’offre et de la demande, la France et la Chine forment un duo de choc. Par ailleurs, le changement climatique et le développement durable constituent un enjeu majeur auquel fait face le monde entier, une préoccupation de toute l’humanité. Ainsi, les deux grands pays que sont la Chine et la France travaillent main dans la main dans des domaines où ils sont complémentaires, non seulement au profit de leur peuple respectif, mais également pour le bénéfice de tous les hommes, en cela qu’ils donnent l’exemple aux autres pays.
En réalité, la coopération bilatérale dans les domaines pertinents a déjà commencé. Citons l’exemple classique du nucléaire civil. Les deux pays coopèrent dans ce secteur depuis trente ans maintenant, ce qui a sans doute jeté les bases au progrès futur de leur collaboration. Désormais, tout en continuant de construire en commun des centrales nucléaires, les deux pays joignent leurs forces également sur la question du traitement des déchets nucléaires. La coopération dans les autres énergies propres, comme l’éolien, le solaire, ainsi que dans des ouvrages hydroélectriques respectueux de l’environnement, est en expansion. En résumé, dans la sphère de l’environnement, la coopération sino-française s’accélère et s’approfondit. Les deux parties ont également signé un certain nombre de projets propres à la conservation de l’eau, au traitement des eaux usées, au diagnostic de la pollution des sols ou encore au contrôle de la qualité de l’air.
Le 20 juin dernier, l’Institut sinofrançais de l’énergie nucléaire (IFCEN), implanté au sein de l’université Sun Yatsen, a organisé sa première cérémonie de remise des diplômes pour les étudiants de second cycle. 79 étudiants au total ont reçu le fameux diplôme de master ainsi qu’un certificat d’ingénieur nucléaire officiellement reconnu par le gouvernement français. Cet établissement, certifié l’année dernière par la Commission des titres d’ingénieur (CTI), s’inspire du modèle français pour former des ingénieurs en six ans. Parmi les diplômés, la plupart ont signé des contrats d’embauche chez China General Nuclear Power Corporation, mais une partie a été recrutée par des groupes français comme EDF et Areva. L’ambassadeur de France en Chine, Maurice Gourdault-Montagne, a indiqué que la France en était déjà à sa troisième génération de réacteurs nucléaires et qu’une quatrième génération verrait bientôt le jour. La Chine participe également à la recherche et au développement pour cette quatrième génération de technologies nucléaires. La France espère prochainement, en association avec la Chine, exporter la technologie du réacteur Hualong 1 dans des pays tiers.
Autre point majeur dans la coopération sino-française, outre l’économie verte : le « développement urbain durable ». La Chine lance actuellement un nouveau cycle d’urbanisation qui met l’accent sur la protection de l’environnement et le bien-être en milieu urbain, avec des projets tels que des « éco-cités », des « villes intelligentes » ou encore des « villes vertes ». La France déploie une multitude de concepts avancés et possède des technologies matures dont la Chine pourrait s’inspirer dans certains secteurs, notamment l’aménagement de l’espace urbain, la construction de réseaux de canalisations souterrains, le traitement des déchets dans les villes, la conservation des villages traditionnels, la protection et la restauration des vieux bâtiments, la gestion des ressources hydrauliques et le traitement des eaux usées. La coopération dans ces domaines promet d’être importante et certains projets-pilotes bilatéraux ont déjà vu le jour. Des parcs écologiques sino-français ont été bâtis à Chengdu, à Chongqing, à Shenyang, à Wuhan et dans d’autres villes chinoises ; de même, des projets d’épuration d’eau, d’assainissement des boues et des eaux usées ont été lancés notamment à Yangzhou, Suzhou, Panjin et Changshu.
En outre, comme la France est un grand pays agricole ainsi qu’un grand producteur de lait, et que la préoccupation numéro une de la population chinoise de nos jours est la recherche d’une alimentation saine et sans risque, la coopération bilatérale dans le secteur des produits agricoles et des aliments verra certainement s’ouvrir des perspectives alléchantes.
Le 5 septembre dernier, lors d’une conférence de presse organisée à Hangzhou, le président Hollande a déclaré que les champs de coopération entre la Chine et la France étaient étendus dans l’économie et le commerce ou encore l’énergie. Il espère que cette coopération « bénéficiera d’un nouvel essor dans le cadre de la promotion du projet sino-franco-britannique de la centrale nucléaire de Hinkley Point en Grande-Bretagne ». Par ailleurs, M. Hollande souhaite renforcer la coopération scellée entre la Chine et la France dans la lutte contre le terrorisme, en mettant en œuvre le partage des informations et l’échange des expériences et en démantelant de façon coordonnée les canaux de financement des groupes terroristes.
En outre, la proposition de la Chine au Sommet du G20 de suivre un « développement inclusif et interactif » ouvrira de vastes perspectives pour la coopération sino-française sur le marché africain. Prenons l’exemple de l’industrie photovoltaïque. Dans ce domaine, la Chine présente l’avantage de fabriquer à prix bas, tandis que la France bénéficie d’un avantage lié à l’investissement. Leur complémentarité peut servir trois objectifs : premièrement, la Chine et la France pourront aider les pays africains à initier sans tarder un processus d’industrialisation de haute qualité et à faible coût ; deuxièmement, cette démarche soutiendra la Chine dans son processus de restructuration industrielle ; troisièmement, les exportations françaises seront stimulées et l’emploi rebondira dans l’Hexagone.
En conclusion, le Sommet du G20 à Hangzhou pourrait non seulement marquer un tournant dans les mécanismes de gouvernance mondiale, mais aussi, inévitablement, faire franchir un nouveau palier à la coopération sino-française et à l’amitié traditionnelle qui lie la Chine et la France.
*PENG SHUYI est chercheur associé à l’Institut
d’études européennes de l’Académie des sciences sociales de Chine.