GONG HAN, membre de la rédaction
Zhuzhuet sa bibliothèque de campagne
GONG HAN, membre de la rédaction
Wu Lizhu (Zhuzhu) qui avait travaillé depuis une dizaine d’années en ville, est retournée il y a deux ans sur sa terre natale, le village de Lanbiao du district de Huilai, appartenant à la ville de Jieyang dans la province du Guangdong,afin de créer une bibliothèque gratuite pour les enfants du village.
Elle avait travaillé pendant 4 ans dans un établissement d’intérêt public à Beijing,chargée des affaires concernant l’école pour les enfants des travailleurs migrants et la coopérative des employées. « Quand je retourne à mon village, dit Zhuzhu, j’ai le cœur brisé en voyant les enfants qui vont travailler très jeune en ville comme moi. »
La bibliothèque de Zhuzhu, avec une superficie de 60 m2, se trouve dans une maison à deux étages. Des albums et d’autres livres pour enfants sont rangés sur des étagères simples. À son arrivée, la maison était vieille, Zhuzhu l’a nettoyée avec quelques enfants, a peint le mur et fait des petits travaux pour la remettre en état.
Cette année, pendant les vacances d’été,quelques enfants attendent à la porte avant l’ouverture de la bibliothèque dans l’aprèsmidi. Certains parmi eux viennent se renseigner sur la date du camp d’été : une organisation d’intérêt public travaillant à l’amélioration du niveau de lecture et d’écriture des enfants dans les régions sous-développées amènera les enfants du village à s’approcher des us et coutumes locales à travers des visites d’artisans et la découverte de la culture du village.
Les 30 000 habitants du village de Lanbiao ont l’habitude de donner naissance à plusieurs enfants sans faire attention à leur éducation. Parmi les jeunes du même âge que Zhuzhu, la plupart a 4 ou 5 frères et sœurs, voire même 7 à 8. Seulement un peu plus d’une moitié des élèves poursuivent. Leurs études après avoir obtenu un diplôme de fin d’études secondaires de 1ercycle. Leurs parents sont généralement des travailleurs migrants. Les autres enfants vont travailler à l’extérieur.
Zhuzhu faisait aussi partie de ces derniers. En 2013, à moins de 15 ans, elle a suspendu ses études pour aller travailler dans la ville. Cela est tout à fait normal dans la région de Shantou-Chaozhou où l’on favorise les garçons par rapport aux filles. « À cette époque-là, dit Zhuzhu, les parents croyaient que c’était suffisant pour une fille de lire un peu, de savoir prendre le bus sans risquer de se tromper. »
Elle a travaillé d’abord dans une usine de plastique, puis comme vendeuse dans un magasin, ensuite elle a vendu des vêtements à Dongguan et enfin travaillé dans un restaurant à Guangzhou. Ces expériences ont étendu la sphère de ses connaissances mais ont aussi engendré une confusion quant à savoir que faire.
En 2009, en apprenant l’existence d’un établissement d’intérêt public fondé par des travailleurs migrants à Beijing, qui œuvrait pour fournir des formations professionnelles et des services de vie aux travailleurs migrants, Zhuzhu est allée à Beijing pour travailler d’abord comme bénévole, et a reçu une formation professionnelle six mois plus tard. Après avoir terminé ses études, elle y est restée, chargée des affaires liées à l’école des enfants de travailleurs migrants et à la coopérative des employées.
« Cette expérience m’a beaucoup influencée, dit Zhuzhu, j’avais un sentiment d’infériorité avant mon arrivée. Mais découvrir que les travailleurs migrants ont aussi leur valeur dans la ville m’a encouragée. »
À son retour au village, Zhuzhu a travaillé comme bénévole pour faire des analyses de cas et fournir une éducation sexuelle aux enfants sur la base de la formation qu’elle avait reçue. « Dans la classe d’éducation sexuelle, certains baissaient la tête, certains riaient en se sentant gênés. On m’avait initialement appelé“grande sœur”, mais après cette classe,j’étais devenue “enseignante anormale”. Certains trouvaient le cours anormal mais une dizaine de lycéens ont demandé à suivre ce cours. »
Grâce à sa franchise, Zhuzhu a maintenu un lien intime avec les enfants, qui venaient lui demander conseil après une dispute avec leurs parents, la déscolarisation ou un chagrin d’amour. Zhuzhu a trouvé les enfants issus de la région de Shantou-Chaozhou intelligents et dynamiques, mais leur vie hors de l’école monotone, soit ils regardaient la télé chez eux,soit ils allaient à la salle de jeux vidéos. Ceux issus de familles relativement aisées s’enlisaient dans des applications de jeux.
Zhuzhu a donc réaffirmé sa volonté de créer une bibliothèque gratuite qui sera un espace public dans son village.
À part deux cartes de crédit, Zhuzhu n’a pas d’argent. Comment faire alors pour créer une bibliothèque gratuite ?
Elle a d’abord partagé une publicationsur WeChat, et certains amis lui ont envoyé des livres. Un villageois travaillant à l’extérieur après avoir terminé ses études au collège, en entendant parler de sa volonté,lui a offert le loyer de la maison pour la première année. Il avait pensé l’école inutile, mais désirait donner sa contribution aux enfants du village, notamment dans la culture et l’éducation, après avoir connu le monde extérieur.
Le président de l’école du village de Lanbiao a fourni des tables et des chaises. Les enseignants de l’université Zhongshan ont apporté avec eux deux étagères et des livres pour enfants. Un fonds à Guangzhou lui a envoyé plus de 800 livres.
Pendant cette période, Zhuzhu n’avait pas de revenus, mais elle devait payer les frais tout seule, outre ses frais de subsistance. Elle avait un crédit bancaire de quelques dizaines de milliers de yuans. Elle était donc obligée de prendre à Pierre pour donner à Paul, mais elle était toujours capable de tout arranger. Chaque mois,avant la date de remboursement, tout semblait perdu et le miracle se produisait.
La plus grande pression était l’opposition de sa famille et les doutes des villageois. Les jeunes gens de son âge travaillent à l’extérieur pour gagner de l’argent ou sont déjà mariés. L’œuvre de Zhuzhu est considérée anormale par les locaux. Issue d’une famille pauvre, elle n’a pas gagné la confiance des villageois. Qui travaillerait pour rien ? Une jeune femme peut-elle accomplir cette œuvre ? Qui va à la bibliothèque dans ce petit village ?
Zhuzhu n’a pas prêté attention à ces doutes. Les enfants qui la soutenaient ont formé un « foyer » pour l’aider à trouver un endroit approprié, à faire des achats,à faire du bricolage, à élaborer les règlements de la bibliothèque et à inviter leurs compagnons. Petit à petit, de plus en plus d’enfants venaient à la bibliothèque.
Une fois, la bibliothèque a reçu une centaine d’enfants, qui y ont fait leurs devoirs après l’école, ou ont lu des livres dans la soirée. Pendant le weekend, on y organise des moments pour raconter des histoires,des cours de peinture, ou des séances de cinéma dans la soirée. Avec l’amélioration de la bibliothèque, certains établissements d’intérêt public s’engageant dans l’éducation dans les campagnes se sont mis en contact avec Zhuzhu pour y mener des activités. Zhuzhu, d’un caractère sociable,reçoit souvent des amis venus de loin. Elle organise un salon lors duquel ses amis racontent leurs expériences et des anecdotes du monde extérieur aux enfants et à leurs parents.
« À part de la lecture et des devoirs,j’espère que les enfants viennent pour se soulager quand ils sont victimes d’une injustice. S’ils préfèrent s’assoir silencieusement, je n’irai pas les déranger. S’ils désirent parler avec moi, je serai joyeuse. Ce que je voudrais leur offrir, c’est justement un espace de liberté. »
Lorsque de plus en plus d’enfants entrent dans cette bibliothèque, le village connaît des changements subtils.
Un jour, une mère entre dans la bibliothèque et demande à Zhuzhu timidement : « Avez-vous du temps ? Je voudrais parler avec vous de mon enfant. Elle m’ignore complètement depuis des jours. » Zhuzhu lui donne des conseils et elle part satisfaite.
Des écoliers lisent ensemble avec un bénévole.
Les enfants peuvent essayer des cours variés.
Petit à petit, de plus en plus de mères viennent parler avec Zhuzhu. Suite à leur proposition, Zhuzhu organise une classe pour les mères ouverte le lundi, le mercredi et le vendredi. Certaines mères qui ont leur propre boutique regardaient la télé ou jouaient aux cartes dans la soirée ; certaines qui travaillaient au chantier étaient fatiguées après leur travail. Mais tous s’intéressent désormais à ce club de femmes et viennent malgré la pluie.
La majorité de ces mères étant des analphabètes, Zhuzhu leur apprend à lire. Une mère dit à Zhuzhu avec joie que l’on s’entend mieux dans sa famille depuis son alphabétisation. Quand elle ne sait pas faire les devoirs donnés par Zhuzhu, son enfant vient l’aider, son mari l’aide aussi bien qu’il la considère stupide.
Zhuzhu donne des cours de yoga. « En fait, je suis une débutante en yoga. Mais elles sont contentes même si nous parlons simplement entre nous dans la classe. »
Zhuzhu donne aussi des cours sur l’éducation sexuelle. « Certaines mères se sentent gênées quand elles en parlent avec leurs enfants. Les mères partagent entre elles leurs incertitudes dans ce domaine durant leur jeunesse. Je leur donne des méthodes pour en parler avec leurs enfants. » Zhuzhu encourage les mères à amener leurs enfants à jouir d’un temps intime ensemble. Elle a de nombreuses idées pour passer ce moment : demander aux enfants de séparer les poids rouges,verts et noirs qui sont mélangés et aux parents de les aider.
En voyant des inconnus qui ont donné des livres à leurs propres enfants, certains parents apportent eux-mêmes des livres,certaines mères apportent aussi du poisson et de l’igname sautés.
Zhuzhu dit souvent aux enfants qu’elle n’est pas contre le travail à l’extérieur du village, mais cela n’est pas aussi beau qu’ils le croient. Elle leur présente des diapos sur Powerpoint en leur faisant découvrir des endroits où les travailleurs migrants habitent et travaillent.
Zhuzhu estime avoir réalisé des rêves grâce au travail à l’extérieur. Par exemple,elle souhaitait habiter dans un bâtiment : le dortoir de son usine se situait au 5eétage. Autrefois, les nouilles instantanées étant rares et chères, sa grand-mère ne lui donnait qu’une moitié, elle se disait vouloir en manger toute sa vie. « Cependant,après 12 heures de travail par jour, j’étais épuisée une fois montée au 5eétage. Quand je n’avais plus d’argent vers la fin du mois, j’étais obligée de manger des nouilles instantanées tous les jours, et je n’en voulais plus. »
Zhuzhu a demandé à un établissement d’intérêt public un prêt de 50 000 yuans,qui a été accepté en mai. Cet argent est suffisant pour son salaire et les dépenses courantes de la bibliothèque. Mais elle n’a pas mentionné le loyer lorsqu’elle a présenté la demande.
« Dans le passé, les mères proposaient de me payer un peu lorsqu’elles venaient pour les cours, mais j’ai refusé. Ces villageois soutiennent la bibliothèque volontairement, mais je ne crois pas que le paiement est approprié. »
Le 11 juin 2016, Zhuzhu a partagé une publication sur WeChat dans la soirée,« Bien que je ne sache pas si je peux collecter les 2 500 yuans pour le loyer, je souhaite essayer... Cette fois-ci, j’espère que tous les villageois y participeront,quelle que soit la somme pourvu qu’ils participent. » Le lendemain à midi, elle a reçu 2 651,98 yuans.
Zhuzhu veut créer un groupe sur WeChat,qui intègre tous ceux qui reconnaissent son œuvre. Les 100 membres donnent chacun 50 yuans vers la fin du mois. Zhuzhu fait tout le temps un rapport sur l’utilisation de ce fonds et informe sur les activités de la bibliothèque. Par rapport au financement participatif en vogue, cette méthode consiste plutôt à relier tout le monde.
Zhuzhu souhaite toujours réunir les parents, par la classe pour les mères comme par les diverses activités, afin de changer l’idée des villageois qui ignorent que l’éducation commence par les parents. Quand ceux-ci changent leur vision, ils peuvent la transmettre à leurs enfants.
Outre la bibliothèque, Zhuzhu aide les élèves issus de familles démunies qui interrompent souvent leurs études. Grâce à ses efforts, une société de Beijing a promis un don à 11 élèves. Mais Zhuzhu préfère une aide au sein des villageois. Elle est prudente dans la sélection des donateurs. « Il faut que ce soient des personnes fiables, qui n’exaltent pas leur promesse,ce qui porterait atteinte aux enfants. » Actuellement, des villageois ont promis des aides à 9 enfants.
D’après Zhuzhu, ce qu’elle entend le plus depuis son retour au village pour créer la bibliothèque, c’est « vous m’avez aidé à réaliser mon rêve ». Ce sont principalement des villageois qui travaillent à l’extérieur, des bénévoles d’établissements d’intérêt public et des particuliers qui l’ont aidée. Tous considèrent la création d’une bibliothèque de campagne comme une belle œuvre pleine de joie et d’espoir pour les enfants.