Mme Merkel et l’État de droit en Chine

2016-02-03 12:01FranceCHRISTOPHETRONTIN
今日中国·法文版 2016年8期

(France) CHRISTOPHE TRONTIN



Mme Merkel et l’État de droit en Chine

(France) CHRISTOPHE TRONTIN

Ce qui est drôle lorsqu’on vit en Chine, c’est voir à quelles contorsions la presse démocratique est prête à se livrer lorsqu’elle raconte ce pays. Pas de bonnes nouvelles de ce côté du globe, et toute info est systématiquement tordue dans le sens le plus pessimiste possible. Bien sûr, certains thèmes demandent plus d’agilité que d’autres et parfois, des prouesses sémantiques qui vous laissent pantois...

Comme à chaque fois qu’un dirigeant démocratique visite le pays, la presse internationale lui rédige une feuille de route qui précise les accusations et les reproches qu’il devra impérativement adresser aux représentants de la Chine. Le mois dernier c’était le tour de Mme Merkel, et la presse s’est empressée de soupeser chacune de ses déclarations sur l’État de droit en Chine.

RFI ouvre le feu sur son site en titrant « l’État de droit, tigre de papier », tandis que Le Monde s’en tient à un plus neutre « Mme Merkel plaide pour l’État de droit en Chine ». D’autres organismes démocratiques se déchaînent, soit comme les Échos sur le droit chinois « La Chine toujours loin d’un État de droit » ou le Nouvel Économiste qui affirme que « rien n’est plus étranger à l’histoire de la Chine que l’État de droit ». D’autres médias préfèrent souligner la difficulté de la tâche de Mme Merkel qui doit en même temps défendre les intérêts économiques de son pays et faire la leçon aux dirigeants chinois. « Toujours des épines dans le dialogue », affirme l’Agefi (quotidien de l’Agence économique de Genève), tandis que le Courrier International titre « Le jeu d’équilibriste d’Angela Merkel » qui doit « rappeler à Pékin de respecter les législations nationales et internationales, sans pour autant faire perdre la face » aux Chinois.

Dans cette déferlante, bien peu nombreuses sont les voix qui rappellent les évidences suivantes : l’État de droit n’a rien à voir avec la démocratie ; il consiste simplement en un système juridique et judiciaire dans lequel tous les citoyens, y compris les fonctionnaires les plus haut placés et les milliardaires les plus globalisés, sont égaux devant la loi. Il convient donc de bien garder à l’esprit qu’il s’agit d’un idéal à poursuivre et non d’une situation qui peut être acquise définitivement,que ce soit en Chine ou ailleurs.

Par ailleurs, l’évolution du droit s’est faite différemment en Orient et en Occident. Le chemin menant vers ces idéaux n’est pas le même ici et là. En Europe, on a eu des révolutions souvent violentes qui ont assis le droit des citoyens à une justice équitable ; en Chine, le Parti communiste a commencé par parer au plus pressé en rétablissant la paix civile, en assurant la sécurité alimentaire et en mettant en place une « petite prospérité », soit un environnement hors duquel l’État de droit ne serait qu’un slogan vide de sens. Il s’attaque désormais officiellement, depuis le 4eplénum du 18eComité central du PCC, à la réforme juridique. Enfin, la traduction de ces notions d’une langue à l’autre peut facilement prêter à confusion. Ce que nous appelons en Europe l’État de droit est une traduction de l’allemand Rechtsstaat, qui s’oppose au droit discrétionnaire du monarque. La Chine a évolué différemment, et on privilégie ici la notion de « droits et intérêts des citoyens », ce qui n’est pas exactement la même chose. Lorsque la chancelière allemande lance sa fameuse lapalissade « Au cœur de l’État de droit, prévaut la force du droit et non le droit du plus fort », les Chinois s’interrogent : « Les Allemands croient-ils vraiment que nous réglons nos différends à coups de massue ? ».

Comme l’a souligné Xi Jinping, « la justice est la dernière ligne de défense pour la justice sociale. Si elle reste défaillante, bien des gens douteront de la possibilité de réaliser la justice sociale et la stabilité se retrouvera compromise. » D’où un plan de réforme judiciaire avec une liste de mesures concrètes renforçant la position des juges et des procureurs.

La difficulté à laquelle se heurte la réforme chinoise est que le rôle dirigeant du Parti communiste donne à ses membres une position privilégiée par rapport au droit. Mais il ne s’agit pas là d’une difficulté spécifiquement chinoise : dans quel pays a-t-on vu des ministres, des députés ou des présidents corrompus, hors coup d’État ou intervention militaire étrangère, poursuivis sérieusement ou mis en prison pour des délits et des crimes commis alors qu’ils étaient au pouvoir ? S’ils sont parfois inquiétés, on se rappelle qu’un Berlusconi s’en est sorti avec quelques heures de travaux d’intérêt général, et qu’un Sarkozy « justiciable comme les autres » a eu droit à une émission entière de justifications télévisées à une heure de grande écoute, sans parler d’un George Bush qui n’a jamais eu à répondre des crimes de guerre qu’il avait tacitement défendus pendant huit ans. Et que dire des affaires de corruption à grande échelle, souvent liées à des ventes d’armes et à l’organisation de guerres lointaines ?

Ce que l’on peut constater avec un minimum d’objectivité, c’est que l’on est loin, dans la plupart des pays d’Europe ou aux États-Unis, du véritable État de droit, puisque les élites politiques et économiques continuent d’y jouir de droits très différents de ceux du citoyen lambda. Mais on peut aussi se réjouir, avec la Banque mondiale, des progrès de la Chine dans ce domaine, qui la placent en tête des pays en développement. Souhaitons bonne chance et bon courage aux uns et aux autres pour continuer de progresser dans cette voie.