VERENA MENZEL, membre de la rédaction
D’un paisible village de pêcheurs à une métropole moderne et high-tech, le conte de fées à la Cendrillon de la ville de Shenzhen, dans le sud de la Chine, ne cesse d’étonner. Là où, autrefois, 30 000 campagnards vaquaient à leur vie dans ce chef-lieu du petit district de Bao’an, aujourd’hui,des tours de bureaux en verre brillant embrassent les nuages et des innovateurs poursuivent le rêve chinois.
Il y a 40 ans, en 1980, le gouvernement central chinois faisait de la ville de Shenzhen, fondée en 1979, la première zone économique spéciale du pays. Ce projet pilote sans précédent est devenu un miracle de développement.
Au départ, Shenzhen était principalement un aimant pour l’industrie manufacturière et était qualifiée d’usine du monde. C’est du passé : aujourd’hui,la métropole de 13 millions d’habitants aux portes de Hong Kong est non seulement l’une des villes à la croissance la plus rapide au monde, mais aussi un centre mondial de l’industrie électronique et des communications.De plus, en 2008, Shenzhen a été la première ville chinoise à devenir une ville UNESCO de design et à intégrer le réseau des villes créatives. Elle est aujourd’hui une métropole d’innovateurs et d’inventeurs, d’innovations et d’idées.
Le 19 octobre 2020, des visiteurs se font photographier devant la sculpture du 40e anniversaire de la création de la ZES de Shenzhen, sur la Place des citadins à Shenzhen.
Qu’est-ce qui a guidé cette métropole durant toutes ces années après l’avènement de la réforme et de l’ouverture ? Quel esprit circule dans la ville côtière, faisant d’elle un moteur d’innovation technique et culturelle au début du 21esiècle, en Chine, mais également dans le monde ?
Je vis à Beijing depuis 10 ans, mais c’est ma première visite à Shenzhen. Il est vite devenu clair qu’avec autant de chantiers en cours, la Shenzhen de demain est déjà en train d’émerger, alors que j’essaie simplement de me faire une idée de la Shenzhen d’aujourd’hui.Même la majestueuse tour du Ping An International Finance Centre, deuxième plus haut gratte-ciel de Chine avec ses 599 m, ne s’élève que depuis 2017.
Han Wangxi, directeur du département de la communication du Comité municipal du PCC de Shenzhen, indique que le processus de développement d’une ville façonne, au bout du compte,sa mentalité.
À Shenzhen, cette mentalité a été largement façonnée par le dynamisme de la réforme et de l’ouverture du pays,et par son statut de zone économique spéciale. « Au cours des 40 dernières années, de nombreux concepts et idées nouveaux se sont manifestés à Shenzhen, et se sont ancrés dans l’esprit des gens, tels que “le temps c’est de l’argent” et “l’efficacité est primordiale”.Ici, nous pensons que les mots vides ne sont qu’un obstacle au développement.Vous devez avoir le courage d’être un pionnier et de réaliser de nouvelles percées », affirme Han Wangxi.
Le fait que Shenzhen évolue encore rapidement est lié à son histoire de changement et à la culture du changement qui a pris racine au fil des ans. « Au cours des décennies, plus de 1 000 mesures ont été testées à Shenzhen pour être ensuite utilisées dans toute la Chine », poursuit-il, ajoutant que Shenzhen a courageusement accompli un travail de pionnier dans de nombreux domaines qui façonnent aujourd’hui l’esprit de la ville.
Le 21 novembre 2020, un ouvrier travaille sur le site des travaux de rénovation de la gare nord de Shenzhen.
Le meilleur symbole de cet esprit est la société Da-Jiang Innovations Science and Technology (DJI), fondée en 2006 à Shenzhen par un jeune diplômé d’université. De start-up dans un garage à leader mondial du marché,c’est une success-story stupéfiante.
Avec quelques camarades étudiants,le fondateur de DJI, Frank Wang,travaillait déjà sur des drones volants télécommandés qui pouvaient rester stables dans les airs, quand il était à l’université. Après des années de développement dans un petit entrepôt de Shenzhen, l’équipe a finalement réalisé la percée technique dont elle rêvait.Aujourd’hui, DJI établit les normes mondiales en matière de technologie de contrôle des drones de prises de vue.
Depuis, les appareils ne sont plus seulement utilisés par les photographes amateurs et les cinéastes professionnels, mais aussi, par exemple, dans l’agriculture et dans les opérations de secours. DJI a ouvert la voie pour toute une nouvelle industrie avec sa technologie et domine aujourd’hui cette industrie mondiale. Pour Xie Tiandi,chef du département des relations publiques de DJI, ce n’est pas un hasard si l’un des premiers leaders du marché technique mondial du 21esiècle apparu en Chine provient de Shenzhen.
« L’innovation n’est pas produite par le capital. Elle a besoin d’un environnement adéquat », explique Xie Tiandi, qui vit et travaille à Shenzhen depuis 2012. « Ici, beaucoup de gens travaillent sur leurs propres projets par véritable intérêt. Par enthousiasme,ils bricolent et essaient des idées, que celles-ci soient destinées à devenir un produit rentable et rapporter de l’argent, ou pas. Si les fondateurs de DJI ne s’étaient intéressés qu’au profit à l’époque, DJI ne se serait pas développée de cette façon. »
Et d’ajouter : « La ville crée un environnement dans lequel, en tant que jeune, vous pouvez vous permettre de ne pas rechercher un profit immédiat,mais d’essayer des idées excitantes jusqu’à ce que l’une d’entre elles fonctionne. »
Le fait qu’un tel environnement existe à Shenzhen est aussi une conséquence des politiques d’encouragement. Le gouvernement municipal soutient les jeunes start-ups avec des mesures de soutien bien orientées et essaie de faciliter l’entrée des jeunes dans la vie professionnelle. Le gouvernement local espère ainsi attirer des personnes talentueuses de tout le pays et même de l’étranger.
« Rien qu’en 2019, Shenzhen a accordé des subventions de plus de 28 milliards de yuans pour les start-ups et le développement de nouvelles entreprises », déclare Han Wangxi, ajoutant que diverses influences culturelles se mêlent dans la ville, ce qui permet la naissance de nouvelles idées.
Le soutien financier seul ne suffit pas à attirer les jeunes porteurs de rêves.Les responsables du gouvernement de Shenzhen le savent également. Afin de marquer des points auprès des jeunes diplômés d’université, des talents prometteurs et des jeunes entrepreneurs,Shenzhen compte sur un ensemble complet de services municipaux pour créer un environnement de vie et de travail aussi plaisant que possible.
« À Shenzhen, nous considérons clairement les entreprises et les personnes comme notre base de développement, et le gouvernement s’engage pleinement à les servir avec une forte mentalité de service », explique Han Wangxi. Le gouvernement propose des mesures de soutien ciblées sur des aspects tels que l’achat d’un logement, la recherche d’un plan de retraite adapté ou le suivi des parents et des membres de la famille dans la ville.
Le fait que Shenzhen évolue encore rapidement est lié à son histoire de changement et à la culture du changement qui a pris racine au fil des ans.
Dans ce contexte, les nouvelles possibilités d’Internet sont de plus en plus exploitées dans le domaine de l’administration des villes. Prenons l’exemple de l’application gratuite« I Shenzhen », lancée en janvier 2019.Le gouvernement municipal a chargé Ping An Insurance Group, le géant de l’assurance, de la finance et de la technologie, de la développer.
Au total, 40 départements municipaux offrent maintenant leurs services en ligne via la nouvelle application.Plus de 7 700 procédures administratives peuvent être aisément traitées sur Internet. La nouvelle plateforme a rendu beaucoup de choses plus faciles et plus sûres dans la métropole, en particulier à l’heure du COVID-19.
« Plus de 96 % des services aux particuliers et plus de 70 % des services aux entreprises peuvent être traités en ligne via cette application », affirme Wayne Hu, co-directeur général de Ping An Smart City Technologies. Un exemple concret : « L’année dernière,130 000 diplômés d’université sont venus à Shenzhen pour chercher un emploi. Dans le passé, il fallait un à deux mois pour que les jeunes démarrant leur vie active puissent obtenir un permis de séjour. Dix documents originaux et 14 copies devaient être soumis, parfois dans 8 départements différents. Les coûts de traitement s’élevaient à 500 yuans. Nous avons énormément simplifié cette procédure via notre application, en coopération avec le gouvernement. Grâce à la fusion des données, il ne faut plus désormais qu’un à sept jours pour obtenir l’approbation nécessaire. Le processus de demande est gratuit et ne nécessite pas une seule visite aux autorités. »
« Nous essayons de supprimer les obstacles bureaucratiques partout où c’est possible afin de ne pas refroidir l’enthousiasme des jeunes », avance pour sa part Han Wangxi.
Shang Linlin, directrice générale de Fantawild Holdings, confirme que les organismes gouvernementaux de Shenzhen ne pensent pas en termes de catégories bureaucratiques rigides,mais recherchent des solutions viables.Fantawild Holdings est le leader chinois de l’industrie des films d’animation et exploite de nombreux parcs à thème et de divertissement dans le pays.
Au siège de Fantawild, à Shenzhen,des esprits créatifs travaillent sur des produits de divertissement high-tech qui ont depuis longtemps trouvé leur public au-delà des frontières du pays.Pour Shang Linlin, Shenzhen est tout simplement l’endroit idéal pour diffuser les dessins animés créatifs de la Chine dans le monde.
« Nous avons déjà reçu de nombreuses offres pour déménager notre siège social dans d’autres villes », dit-elle,« mais nos racines sont ici. Nous pensons que Shenzhen est simplement le meilleur endroit pour nous. C’est une ville créative et innovante, l’innovation est un état d’esprit ici. Pour une société comme la nôtre, qui combine les dernières technologies et la culture moderne, la création et l’innovation sont des facteurs essentiels. Shenzhen est très ouverte, tolérante et pleine de vitalité. »
En 2007, l’année de sa fondation,Fantawild a d’abord été confrontée à un problème : « Nous voulions combiner les produits culturels et la haute technologie. À l’époque, cependant, différents départements étaient responsables de ces deux domaines.En fait, il n’était même pas possible d’enregistrer régulièrement une entreprise comme la nôtre. Mais ensuite,nous avons expliqué aux autorités ce que nous voulions faire exactement.En fin de compte, nous avons pu enregistrer notre société avec succès.Dans d’autres cités, cela aurait été certainement beaucoup plus difficile »,explique Shang Linlin.
Le 29 novembre 2020, à Shenzhen, une visiteuse regarde l’exposition « Récit urbain ».
La double stratégie poursuivie à ce jour par le gouvernement municipal est très simple : permettre la liberté et, en même temps, offrir de l’aide, affirme Wayne Hu de Ping An Smart City Technologies. « Le gouvernement suit le principe de non-ingérence dans le développement des entreprises lorsque ce n’est pas nécessaire, afin de créer la liberté indispensable. Cependant, si de l’aide et du soutien sont nécessaires,les entreprises peuvent toujours se tourner vers les autorités. »
Dans le cas de Fantawild, ce principe a fonctionné. Les affaires sont florissantes et l’entreprise est considérée par les jeunes employés comme un terrain de jeu technologique populaire offrant d’excellentes opportunités de carrière.
Shenzhen semble être un endroit très attrayant, surtout pour les jeunes.Si vous vous promenez le matin dans les quartiers d’affaires animés de la ville, vous ne rencontrerez presque personne de plus de 40 ans. De plus,la majorité des jeunes de la métropole viennent d’ailleurs, ce qui est plutôt inhabituel pour les villes chinoises.
« Les Chinois sont traditionnellement très attachés à leur ville natale et sont réticents à chercher fortune ailleurs. Cependant, à Shenzhen, nous n’avons que des gens qui ont quitté leur ville pour poursuivre leur carrière. Ces personnes apportent un grand idéalisme et de grandes ambitions dans l’espoir de créer elles-mêmes quelque chose, sur le plan professionnel. Elles sont toutes unies par leur grande motivation à commencer une carrière à Shenzhen », avance Wayne Hu. Et cela crée une atmosphère particulière.
« Le fait qu’il y ait autant de personnes de même sensibilité facilite également l’intégration et renforce le sentiment d’appartenance », observet-il . Natifs et étrangers : ces catégories s’estompent à Shenzhen, qui a vu sa population passer de 30 000 à 13 millions en seulement quatre décennies
Xie Tiandi, du fabricant de drones DJI, a lui-même déménagé à Shenzhen. Il est convaincu que son développement personnel et celui de son entreprise ne peuvent être vus séparément du développement de la ville.« Grâce au développement passé, de nouveaux talents peuvent facilement trouver leurs mentors et l’inspiration nécessaire ici, aujourd’hui, pour créer de nouvelles choses et pousser plus loin les réalisations actuelles »,déclare-t-il.
Ainsi, dans cette jeune métropole, les graines du futur sont semées aujourd’hui et des inventions techniques qui pourraient façonner notre futur sont découvertes. La start-up DJI a démontré ces dernières années à quel point ces nouvelles technologies pouvaient changer non seulement notre vie quotidienne, mais notre perception même de ce monde.
« Avant le boom des drones photo et vidéo, la plupart des bâtiments urbains étaient connus en 2D, autrement dit, du point de vue du sol. La nouvelle génération grandit avec des images aériennes 3D. Cela changera la manière dont nous percevons le monde et aura une influence considérable sur notre culture. Dans le futur, nous pourrons utiliser l’air comme ressource pour élargir davantage nos vies et notre environnement de travail », affirme Xie Tiandi.
Il sera passionnant de voir comment les innovations techniques élargiront nos horizons à l’avenir. Certaines d’entre elles viendront certainement de Shenzhen, une ville du futur qui inspire déjà les pensées d’aujourd’hui.