(France) CHRISTOPHE TRONTIN
La presse face au « régime » de Beijing
(France) CHRISTOPHE TRONTIN
Ce qui est drôle lorsqu’on vit en Chine, c’est voir à quelles contorsions la presse démocratique est prête à se livrer lorsqu’elle raconte ce pays. Pas de bonnes nouvelles de ce côté du globe, et toute info est systématiquement tordue dans le sens le plus pessimiste possible. Bien sûr, certains thèmes demandent plus d’agilité que d’autres et parfois, des prouesses sémantiques qui vous laissent pantois...
Chine : le régime de Beijing accentue les pressions, titre TV5 Monde, tandis que son confrèreAgoravox, évoquant l’histoire des relations diplomatiques, rappelle que « le général de Gaulle avait reconnu le premier le régime de Beijing ».La CroixtitreEn dépit des apparences, le régime chinois n’est pas si confiant face à l’avenir, avant d’expliquer que « le régime est conscient de ces écueils, il anticipe, prévoit, analyse, mais le défi est énorme ». Brice Pedroletti, dansLe Monde, explique doctement que « la nouvelle loi adoptée lundi 7 novembre, qui interdit la publication de contenus portant atteinte à ‘‘l’honneur national’’, fait craindre des poursuites contre les critiques du régime », et son collègue Jean-Marc De Jaeger, duFigaro, de renchérir : « Dans les faits, le régime chinois cherche à contrôler ce qui se dit sur lui. » « Le régime de Beijing maintient le yuan à un niveau de plus en plus sous-évalué (selon les critères du ‘marché libre’) » suggère leBolchévik, tandis que l’ambassade de France s’inquiète sur son site que « Les ventes d’armes à la Chine ne seraient-elles pas interprétées par le régime de Beijing comme un feu vert donné à sa politique de répression ? » Même son de cloche du côté de l’Europe qui sur son site d’information Europa.eu regrette que « le régime de Beijing ne devient pas, comme on l’espérait, plus modéré ».
Quand la presse démocratique parle politique chinoise, l’expression la plus souvent choisie est celle de « régime » parfois agrémentée d’un attribut géographique « régime de Beijing », d’un épithète de qualité « régime communiste » ou encore d’un qualificatif péjoratif « régime autoritaire », voire « stalinien ». Que signifie ce terme de « régime » ? Parle-t-on du « régime » de Washington, de Paris ou de Berlin ?
Non : hormis les autorités chinoises, ce titre infamant est réservé aux dirigeants de pays et d’époques bien définis : l’Ancien régime (les rois de France avant la révolution de 1789), le régime de Vichy (pendant l’Occupation de 1940 à 1944), le « régime » syrien, etc. Soit les dirigeants que la presse autorisée considère comme non légitimes pour représenter le peuple. Jamais en retard pour distribuer les bons et les mauvais points, la presse démocratique conteste donc par ce qualificatif la légitimité des dirigeants chinois.
Conséquence : à chaque fois qu’un dirigeant occidental se rend en visite officielle en Chine, elle s’empresse de lui imprimer une liste « des questions qui fâchent » à aborder de toute urgence avec le « régime » de Beijing. Jamais pour leurs visites à Washington.
Le « régime » de Beijing est-il illégitime et non représentatif du peuple chinois ? Un critère de légitimité pourrait être la cote de popularité des dirigeants dans leur pays. Paradoxe : les dirigeants démocratiquement élus sont en général moins populaires que les dirigeants chinois. Voyez le pauvre François Hollande, mais aussi son prédécesseur Nicolas Sarkozy, leurs anciens homologues David Cameron ou George W. Bush... Tous élus au suffrage universel, tous battant des records d’impopularité. Barack Obama est l’exception qui confirme la règle, et Donald Trump à peine entré en fonction est déjà en perte de vitesse.
Rien d’étonnant à cela : élus sur des promesses intenables, suite à des campagnes électorales déconnectées des réalités, ils ont rapidement montré leurs limites. Après un carnaval démocratique où les concurrents ont rivalisé de fantaisie pour dépeindre des lendemains qui chantent, improviser des programmes au jour le jour, travestir les faits et enjoliver leur CV, voire balayer sous le tapis quelques-uns de leurs échecs les plus impardonnables, la réalité a repris le dessus. À chaque fois, la déception est au rendez-vous. Au contraire, les dirigeants chinois, soigneusement sélectionnés et préparés, entrent en fonction pour une période déterminée à l’avance, participent à l’exécution d’un plan quinquennal détaillé. Pas de trémolos, pas de promesses futiles, pas de châteaux en Espagne.
Si l’on se penche sur la liste des présidents les plus populaires du monde, on y trouve plusieurs « chefs de régime » : celui de Beijing Xi Jinping, mais aussi Vladimir Poutine, Rafael Correa, Evo Morales, tous catalogués « autoritaires » voire « populistes », tous vilipendés par la presse démocratique. Surprenant ?
L’explication est simple. Les premiers défendent bec et ongles les intérêts de leur pays contre les manigances et les sanctions ourdies par les grandes puissances, tandis que les seconds sont de plus en plus ouvertement inféodés aux lobbies et enclins à mettre en berne l’intérêt national face aux pressions internationales... Résultat : la popularité des premiers s’assied sur une reconnaissance envers leur travail, tandis que celle des seconds, d’abord gonflée sur la foi de rutilants programmes politiques annoncés en campagne, se dégrade au fur et à mesure qu’on les voit ruser avec leurs principes, oublier leurs promesses et brader les intérêts du pays au gré d’accords secrets et d’alliances de circonstance.
Où l’on voit que le « régime de Paris » devrait parfois s’inspirer de celui de Beijing.