LI JIE*
Les instituts Confucius se globalisent
LI JIE*
Les instituts Confucius poussent comme des champignons sous toutes les latitudes et par tous les climats. Mais cette croissance rapide n’est pas sans poser quelques dif fi cultés : bien des efforts sont nécessaires pour y faire face.
Elizabeth, Irlandaise approchant les 70 ans, raffole de la littérature chinoise. Ses auteurs favoris sont Yu Hua et Mo Yan. Si elle est aujourd’hui capable de lire sans dif ficulté leurs œuvres en chinois, c’est grâce aux cours de l’institut Confucius qu’elle a commencé à suivre voici une dizaine d’années. Elle fait partie de la classe de Wang Hong, doyenne chinoise à l’institut Confucius de l’université d’Helsinki en Finlande. « Elle se passionne pour l’étude du chinois au point qu’elle n’a pratiquement jamais manqué un seul cours », af fi rme Wang Hong au sujet de son élève quasi-septuagénaire.
Pourtant, Elizabeth n’est pas un cas exceptionnel. « Dans ma classe, plusieurs élèves éprouvent une véritable passion pour le chinois : il y a cette jeune Finlandaise séduite par la calligraphie et qui maîtrise déjà assez bien l’art du pinceau, ou ces retraités qui poursuivent sans relâche l’étude du mandarin... » Wang Hong trouve extraordinaire cette fascination sincère d’étrangers pour sa langue maternelle.
Des élèves de l’institut Confucius de University College Dublin font un voyage à Xi’an.
Les uns veulent parler chinois, d’autres s’exercent à la calligraphie, d’autresencore apprécient les poésies de la période des Tang (618-907) ou des Song (960-1279). Il y a ceux qui pratiquent les masques de l’opéra de Pékin ou d’autres arts de la scène et ceux qui af fi chent leur curiosité pour les questions de la culture et de la société chinoises. « Pourquoi les enfants portent-ils le pantalon fendu ? » « Comment la Chine lutte-t-elle contre le smog ? » sont des questions qui reviennent souvent dans la bouche de ces étrangers fans de la Chine. Ce sont des enseignants chinois comme Wang Hong travaillant aux instituts Confucius à l’étranger qui leur ont offert leur aide.
511 instituts Confucius et 1 073 classes Confucius sont implantés dans 140 pays, pour un total de 2,1 millions d’élèves inscrits, tous types d’enseignement confondus. Les instituts Confucius sont un pont pour les échanges et l’enrichissement mutuel entre la civilisation chinoise et celles d’autres parties du monde, mais ils se veulent aussi une fenêtre favorisant la compréhension de la Chine dans les pays étrangers. C’est par la compréhension que se développeront l’amitié et la coopération entre la Chine et le reste du monde.
« Professeur, expliquez-nous la différence entre les styles calligraphiques dazhuan (grand sigillaire), xiaozhuan (petit sigillaire) et lishu (style des scribes) ! » Dans son cours de chinois, Li Yiqi, un volontaire qui enseignait à l’institut Confucius de University College Dublin (UCD) en Irlande, fut surpris par cette question d’initié. Il n’était pas encore revenu de son étonnement que l’élève qui a posé la question, intarissable, commençait déjà d’en développer la réponse. Cet élève était un retraité d’une soixantaine d’années qui s’apprêtait à rédiger un livre sur l’histoire de l’évolution des caractères chinois.
D’autres élèves portant sur eux le recueil 300 Poèmes des Tang, et sautaient sur la moindre occasion d’en discuter avec Li Yiqi. Cette passion pour le chinois, Li, étudiant chercheur en master venu de Chine en Irlande, l’a ressentie dans leur exaltation pour l’étude de la langue chinoise. Une jeune fi lle lui a demandé conseil pour acheter les produits à l’ef fi gie de TFboys, un groupe de jeunes chanteurs chinois. À l’occasion de l’anniversaire d’un camarade, tout le monde a entonné en chœur et en chinois la chanson Joyeux anniversaire. La culture populaire chinoise semble pénétrer progressivement dans la vie de ces jeunes Irlandais même s’ils vivent à l’autre bout de la planète.
En Irlande, les instituts Confucius proposent des cours depuis la maternelle jusqu’à l’université en passant par les écoles primaires et secondaires, sans oublier les cours pour les personnes qui sont hors du système d’enseignement. Rien que dans les écoles primaires et secondaires, on compte chaque année plus de 5 000 élèves inscrits à des cours de chinois. L’institut Confucius de UCD est d’autre part chargé de fournir les contenus d’un programme de télévision intitulé Hello, China, diffusé en clair une fois par semaine.
À l’institut Confucius de l’université d’Helsinki où travaille Wang Hong, les cours ouverts aux élèves se sont enrichis, passant du cours de langue à un programme d’enseignement diversi fi é qui comprend des cours de langue spécialisés, où l’on s’initie au vocabulaire médiatique, à la culture, et à d’autres aspects de la vie chinoise. Parmi les élèves de Mme Wang, plusieurs ont déjà obtenu, après leurs études à l’université, un diplôme d’enseignant de chinois de niveau local. Formés à l’institut Confucius, ils apportent par cet effort personnel leur contribution au rayonnement de la culture chinoise.
Il y a une dizaine d’années, alors que les produits fabriqués en Chine commençaient à pénétrer dans toutes les familles à travers le monde, la culture et la société chinoises ainsi que la langue qui les soustend ont commencé à intéresser un nombre croissant de personnes non chinoises. C’est au tout début de ce phénomène qu’a vu le jour l’institut Confucius. À partir de 2004, s’inspirant de l’expérience de pays occidentaux comme le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et l’Espagne en matière de promotion de leur langue nationale, la Chine s’est lancée dans la mise en place d’une structure éducative expérimentale à but non lucratif à l’étranger. L’objectif étant de proposer aux étrangers un enseignement en langue et culture chinoises. Cette même année, le premier institut a fait son apparition dans le monde.
Les Statuts de l’institut Confucius explicitent dans ces termes l’objectif de ces établissements : « L’institut Confucius répond au besoin des peuples de différents pays et régions du monde d’apprendre la langue chinoise, accroît leur connaissance de la langue et de la culture chinoises, renforce les échanges et la coopération entre la Chine et les autres pays dans les domaines éducatif et culturel, et développe des relations amicales entre la Chine et le reste du monde en vue de promouvoir la diversité culturelle à l’échelle mondiale et de contribuer à construire un monde harmonieux. »
« Le développement rapide que connaissent aujourd’hui les instituts Confucius vont bien au-delà de nos prévisions initiales », con fi e Xu Lin, ancienne directrice générale du Hanban, siège de l’institut Confucius en Chine. Elle rappelle que le plan initial du ministère chinois de l’Éducation prévoyait la mise en place de 100 instituts Confucius à l’étranger en dix ans.
Contre toute attente, 46 établissements ont vu le jour dès la première année. Ce chiffre a été porté à 100 la deuxième année. 12 ans plus tard, on en compte déjà 511 dans 140 pays des cinq continents habités.
Le modèle de développement des instituts Confucius ne se borne plus depuis longtemps au simple enseignement du chinois. Depuis que Wang Hong, professeure agrégée d’anglais à l’université Renmin, a été affectée en 2014 à l’institut Confucius de l’université d’Helsinki comme doyenne, elle donne avec d’autres professeurs et volontaires des cours de chinois. D’autre part elle organise avec ses collègues des activités culturelles participatives et a eu l’occasion d’inviter à plusieurs reprises des intervenants chinois pour des conférences en Finlande ou d’animer des échanges de vue. Parallèlement, les élèves fi nlandais ont été invités à un voyage d’études en Chine.
« L’enseignement du chinois, c’est la base, nos racines, tandis que les activités culturelles permettent de répondre à un plus grand nombre de centres d’intérêt du public, et les échanges académiques ciblent un grand nombre d’érudits et d’intellectuels désireux de mieux connaître la Chine », explique Wang Hong pour résumer la ligne directrice de son travail après deux ans de pratique sur le terrain.
Même si les instituts Confucius possèdent des statuts communs, les différences sociales entre les différents pays où ils s’implantaient font que leur intégration a été un dé fi à chaque fois renouvelé pour gagner les cœurs et les esprits des citoyens. Pendant ses cours, Wang Hong a été confrontée à des situations inattendues découlant des spéci fi cités culturelles de la Finlande. Peu à peu, les professeurs ont trouvé des solutions à ces problèmes : en raison de sa latitude nordique, Helsinki connaît de grands froids et les journées d’hiver y sont très courtes. L’institut Confucius d’ici s’efforce donc de proposer pour thèmes des activités culturelles centrées sur le soleil et la chaleur. D’autre part, pour tenir compte du caractère réservé des Finlandais, l’institut valorise les compétences personnelles des élèves, mettant l’accent sur l’enseignement de la calligraphie et des idéogrammes…
Li Yiqi s’occupait entre autres d’une classe d’enfants. Un rôle crucial puisque c’est ce professeur venu de Chine qui allait former la première impression que ces élèves auront de ce pays. Mais il a vite remarqué que les enfants étaient peu portés sur ces questions d’importance et de protocole. En revanche, l’opportunité de vivre l’expérience personnelle qu’il leur proposait, comme par exemple dans les ateliers de dessin de masques, de jeu de volant au pied, de pliage d’éventail, toutes ces activités tangibles qui se font en Chine produisent sur les élèves une forte impression et nombreux sont ceux qui se passionnent pour elles. « Cet intérêt naissant ouvre chez ces enfants la porte de leur esprit d’explorateur. Ces expériences leur donnent la soif d’en savoir plus sur la culture chinoise, puis de comprendre l’esprit qui se cache derrière », explique Li Yiqi.
En 2016, répondant à un grand nombre de demandes venues du public, quelque 240 instituts Confucius dans 78 pays ont ouvert des cours comme la médecine traditionnelle chinoise ou le taï-chi, composantes essentielles de la culture chinoise. Dans différents instituts, des initiatives bourgeonnent, et on peut ici s’initier aux vêtements, là à la danse et aux arts de la scène, ou à la musique, à la gastronomie et aux rituels liés au thé. Les différents instituts s’adaptent aux conditions du pays où ils sont implantés et cela traduit bien la souplesse de leur fonctionnement qui leur permet d’enrichir leur offre.
Wang Hong gère aussi les relations publiques de l’institut. Au début, cette responsabilité l’inquiétait beaucoup. Mais elle a petit à petit constaté, à force de pratique, que l’institut est très populaire et que les gens impliqués l’apprécient beaucoup. « Leur récit de nos activités est plus convainquant pour les tiers que nos explications », se félicite-t-elle.
À leurs débuts, alors que les instituts Confucius venaient seulement d’être créés, des assertions ont parfois surgi qui faisaient état d’une « menace chinoise ». Ces trois dernières années, les instituts Confucius de Chicago, de Pennsylvanie et de Stockholm ont fermé leurs portes, et des rumeurs et des controverses étaient dirigées de nouveau contre les instituts Confucius.
La classe destinée à la peinture traditionnelle chinoise est populaire à l’institut Confucius de l’université d’Helsinki.
Mais Wang Hong ne voit aucun fait de nature à alimenter ces accusations. L’initiative de créer un institut Confucius revient à l’université ou l’établissement d’enseignement d’un pays étranger qui présente une demande au siège de l’institut Confucius. Si cette demande est approuvée, une fi liale de l’institut est fondée, et sa gestion respecte les modalités de coopération sino-étrangère. Ce système de responsabilité partagée est adopté et les doyens des parties chinoise et étrangère placés sous la direction du conseil d’administration des instituts assurent ensemble l’exploitation et la gestion des affaires courantes de l’établissement.
De manière générale, c’est essentiellement le doyen étranger qui formule une demande en fonction des besoins et le doyen chinois fait tout son possible pour apporter sa coopération et son aide. Dans le cas où il est prévu d’organiser une activité académique, les thèmes sont déterminés en concertation entre les deux parties. Une liste de chercheurs spécialisés sur les questions liées à la Chine ou à l’Asie orientale est dé fi nie. Lors de l’événement, les intervenants présentent leurs points de vue et débattent autour du thème fi xé. Dans le cadre des cours de chinois et de la pratique culturelle, les enseignants font tout leur possible pour, selon l’adage, « apprendre aux gens à pêcher plutôt que de leur donner du poisson », en vue deleur présenter les nombreuses facettes de la société chinoise.
Des élèves de l’institut Confucius de l’université d’Helsinki apprennent le chinois.
« Ces rumeurs n’apportent rien de bon », insiste Li Yiqi sans en dire plus sur leur contenu. À son avis, personne dans l’institut ne s’en préoccupe et cela ne perturbe pas le travail quotidien. Volontaires et professeurs cherchent à atteindre par les meilleurs moyens les objectifs d’enseignement qui leur sont fi xés, et se chargent en plus de l’organisation d’activités culturelles très variées. Comme ils se trouvent à l’étranger loin de leur famille, ils peuvent consacrer tout leur temps au travail. Ce qui ne les empêche pas d’être le plus souvent submergés. « Ces rumeurs sont sans aucun doute le produit d’un malentendu ou peut-être d’une certaine ignorance envers la Chine », indique Li Yiqi.
« Les instituts Confucius sont un pont vers la langue et la culture chinoises, et ils fournissent des ressources pour l’étude. » Selon lui, leur rôle est irremplaçable car ce qu’ils apportent est une méthode d’apprentissage en face-à-face basée sur l’expérience. Les professeurs et volontaires entretiennent des relations cordiales avec le public, et cela aussi façonne de façon signi fi cative l’image que l’on se fait de la Chine.
Le jour où un collègue fi nlandais de Wang Hong a lu dans un journal un article peu amène envers les instituts Confucius, il l’a signalé à Mme Wang en exprimant sa réprobation. Wang Hong lui a répondu d’un sourire. Elle a dit : « Nous devons juste faire consciencieusement notre travail, et ceux qui voudront comprendre comprendront. »
« Aujourd’hui, l’institut Confucius se trouve à la croisée des chemins. Comment va-t-il poursuivre son développement ? Quelle voie prendra-t-il ? Cela mérite ré fl exion », c’est dans ces termes que Xu Lin commente le développement de l’institut Confucius ces dix dernières années.
Si l’on s’en réfère à son programme de développement, à l’horizon 2020, l’institut Confucius devrait atteindre en gros ses objectifs en termes de disponibilité de cours de chinois dans le monde, et devrait également adopter des critères de qualité standardisés, des tests normalisés en matière de reconnaissance de niveau de même que des critères uni fi és qu’il s’agisse de sélection, d’affectation et de formation des professeurs. Les manuels de chinois à usage international seront disponibles dans pratiquement toutes les langues d’usage dans les pays d’implantation. On pourra alors parler d’un système de diffusion globale de la langue et de la culture chinoises doté de toutes les fonctions nécessaires à ce que le chinois puisse devenir une langue largement étudiée et utilisée à l’étranger.
Lorsque l’on évoque le développement futur de l’institut Confucius, l’un des thèmes incontournables est celui du corps enseignant. Les professeurs actuels sont majoritairement des enseignants professionnels et des volontaires chinois. Tous, à l’instar du doyen, béné fi cient de contrats à durée déterminée de un à quatre ans. Au terme de leur contrat, la majorité de ces personnels retrouvent leur poste d’origine en Chine et d’autres personnes sélectionnées prennent le relais.
Wang Hong travaille dans cet institut depuis deux ans. Elle a déjà vu se succéder deux groupes de volontaires et d’enseignants. Les projets en cours ont eux aussi connu cette rotation du personnel. « Cela ne facilite pas notre travail, bien sûr », explique-t-elle, puisqu’à chaque nouveau groupe, il faut repartir de zéro et il leur faut quelque temps pour se familiariser avec le travail. Li Yiqi est rentré en Chine après son contrat de volontaire d’un an. Au moment de partir, il avait un pincement au cœur. « Je m’étais à peine familiarisé avec le travail que déjà sonnait l’heure de rentrer au pays. Je connais chacun de mes élèves, je suis familiarisé avec leur caractère. Le nouveau professeur devra recommencer à zéro. En plus de cela, il doit faire le lien avec le programme d’enseignement en cours. Un réel dé fi pour le professeur comme pour les élèves », résume-t-il.
Le recrutement d’enseignants locaux est un thème qui est revenu souvent ces deux dernières années. En Finlande, on compte à présent moins de 10 enseignants fi nlandais titulaires d’un diplôme de quali fi cation pour enseigner le chinois. La localisation est un projet complexe et à long terme. « C’est très dif fi cile, du moins dans la période présente », avoue Wang Hong. La gestion de la qualité du corps enseignant envoyé sur place n’en est que plus importante.
Ces derniers temps, Wang Hong ré fl échit à d’autres innovations encore. Elle espère pouvoir proposer des cours de formation et des conseils aux entreprises fi nlandaises, a fi n de mieux intégrer encore l’institut Confucius à la société et puis aussi pour diversi fi er ses sources de fi nancement. Cette question aussi a son importance pour le développement durable de l’institut Confucius.
*LI JIE est journaliste du Quotidien du Peuple, édition d’outre-mer.