ZHANG HUI, membre de la rédaction
Connaissez-vous la culture chinoise?-Interview du Dr Liu Jinghui,directeur du Bureau Chine de l'université de Californie
ZHANG HUI, membre de la rédaction
Le soir du 1erfévrier, l’ambassade de Chine aux États-Unis organisait une célébration de la fête du Printemps 2017, « Nuit de la culture chinoise ». Parmi les invités de marque venus assister à la cérémonie du Nouvel An chinois, Ivanka Trump, fi lle du président américain, accompagnée de sa fi lle Arabella, 5 ans. La vidéo d’Arabella en costume traditionnel chinois, récitant un poème en mandarin, a fait le tour des réseaux sociaux chinois.
Que la fi lle d’Ivanka apprenne le chinois, ce n’est pas une sensation. Tom Cruise a lui aussi inscrit sa fi lle Suri à un cours de chinois. Avec la montée de la Chine sur la scène internationale, apprendre le chinois et étudier la culture chinoise, c’est d’actualité dans de nombreux pays. Les données du mensuel chinois World Education Information rappellent qu’avant 1988, il n’y avait pas aux États-Unis de cours chinois dans les écoles primaires et secondaires. En 2000, des cours de chinois sont dispensés dans 300 écoles. En 2010, il existait déjà 4 000 établissements d’éducation générale proposant l’option chinois. De plus, selon Nina Vickery, une Britannique qui travaille en Chine, maîtriser le chinois permet aux nourrices de trouver plus facilement un emploi, étant donné que de nombreux parents britanniques espèrent voir leurs enfants apprendre le chinois dès l’enfance.
Si nombre de personnes veulent apprendre le chinois, c’est qu’elles sont conscientes du potentiel que représente la Chine. Mais parler le chinois, cela contribue aussi à l’épanouissement personnel. Lorsque Jim Rogers évoque la raison pour laquelle ses enfants apprennent le chinois, il explique : « La Chine sera le pays le plus important au XXIesiècle. S’ils veulent connaître le succès, ils doivent apprendre le chinois. Le chinois sera la langue la plus importante. »
Liu Jinghui
L’adolescence est l’âge des études. La structure des connaissances obtenues au cours de cette période jette les bases de la pensée et de l’instruction de la personne. Ce que l’on apprend pendant cette période in fl ue sur la vie future. Comment les enfants américains, citoyens de la première puissance économique et culturelle, voient-ils la Chine ? Quels efforts la Chine doit-elle faire dans sa communication pour satisfaire les étrangers désireux d’apprendre le chinois et d’étudier la culture chinoise ? Nous avons interviewé le docteur Liu Jinghui, directeur du Bureau Chine de l’université de Californie.
Le Dr Liu Jinghui est professeur à l’Institut des sciences humaines et culturelles de l’université de Californie, directeur du Bureau Chine et directeur de mémoires de master. Il enseigne et publie des études en matière d’éducation internationale, de communication internationale et d’internationalisation des entreprises. Il est également chercheur au centre d’études des langues et cultures asiatiques du département américain de l’éducation.
Selon les enquêtes du Dr Liu, les standards du programme d’enseignement ne proposent des cours sur la Chine qu’à partir de la sixième année de l’école primaire, en septième année au collège et en dixième, onzième et douzième années, au lycée.
Une autre découverte qu’a faite le Dr Liu, c’est que les manuels de l’école primaire américaine font débuter l’histoire de la Chine à partir de la dynastie des Shang (XVIe-XIeav. J.-C.), et non de celle des Xia (XXIe-XVIeav. J.-C.). C’est-à-dire que les manuels scolaires américains amputent l’histoire de Chine plusieurs fois millénaires. La raison invoquée est que l’on ne trouve pas d’inscriptions datant de la dynastie des Xia. Par ailleurs, le concept de la légalité dans l’Antiquité chinoise n’est pas bien expliqué dans les manuels américains. La loi dans la Chine antique condamne les tortures cruelles, mettant l’accent sur la correction des fautes, ce qui n’est pas conforme au sens moderne de la loi.
Dans l’éducation secondaire du premier cycle, les manuels américains préfèrent mettre l’accent sur la confrontation et sur l’analyse. Par exemple, la dynastie des Yuan (1271-1368) n’est pas traitée séparément mais mélangée aux autres dynasties, a fi n de comparer et d’analyser le développement de la culture han et celledes autres ethnies pour montrer la logique historique et les causes de la prospérité et de la chute de la dynastie. Ils mettent aussi l’accent sur l’in fl uence de la culture des autres ethnies sur le confucianisme. Par ailleurs, du point de vue de la communication des cultures asiatiques, les manuels américains comparent la Chine à d’autres pays asiatiques, étudiant l’in fl uence de la Chine sur le Japon en matière de connaissances, de langue, de religion et de philosophie. Le Dr Liu note que les manuels américains ne parlent pas des « quatre inventions » de la Chine comme on le fait chez nous, mais ils y incluent le thé et les appellent les « cinq découvertes ». Le terme de « découverte », employé au sens d’« invention », voici qui n’est pas très correct selon le Dr Liu.
Les manuels du lycée américain revisitent l’histoire de la Chine moderne et contemporaine. Selon le Dr Liu, à la différence de nombre de pays occidentaux, les manuels d’histoire américains présentent un point de vue de pays colonisateur, af fi rmant que l’origine du colonialisme est la révolution industrielle. Après l’apparition du colonialisme, le nouvel ordre et le nouvel échiquier mondial prennent forme. Des historiens américains tels que John King Fairbank, de l’université de Havard, aiment penser les États-Unis comme un colonisateur plus magnanime envers ses colonies que la Grande Bretagne ou la France envers les leurs. Un exemple cité est l’histoire selon laquelle les États-Unis auraient employé les indemnités de la « guerre des Boxers » dans l’éducation en Chine, fi nançant la création d’hôpitaux et aidant le pays à développer l’éducation et les soins médicaux. Le Dr Liu considère que les enseignants d’histoire tendent à revoir l’histoire de la colonisation en se plaçant depuis un point de vue très américain. Par ailleurs, les manuels de lycée mentionnent la réforme et l’ouverture chinoise et l’émergence de la Chine, mais avec des contenus un peu trop simpli fi és.
La dernière année du lycée américain est la douzième année. Le programme d’enseignement prévoit que les élèves sachent analyser l’origine, les caractéristiques et l’évolution des différents régimes politiques, en particulier les revendications d’une politique démocratique, les avantages et les obstacles de l’application de la démocratie. Cependant, au cours de son enquête, le Dr Liu a découvert que les professeurs des lycées américains appliquent rarement ce programme. Dans de nombreux lycées, l’économie et la politique chinoises ne font l’objet d’aucune discussion, tandis que l’accent est mis sur le modèle économique et politique américain. D’après le Dr Liu, la cause de ce désintérêt est que les élèves ont passé l’examen SAT en fi n de onzième année et qu’ils ont donc d’autres priorités.
Selon les données 2007 publiées par la Linguistic Society of America, 678 universités américaines ont créé des cours de chinois, dont 101 en Californie.
Ces dernières années, le nombre de personnes apprenant le chinois augmente régulièrement. Une augmentation liée en partie à l’accroissement de personnes d’origine chinoise, explique le Dr Liu. En général, les étudiants américains d’origine chinoise suivent souvent un cours de chinois. Par ailleurs, le nombre d’étudiants venus de Chine augmente très rapidement, poussant une partie des étudiants américains désireux de communiquer avec eux à choisir le cours de chinois. D’autres optent pour le chinois du fait de leur intérêt pour la Chine et leur volonté de mieux la connaître.
Toujours engagé dans l’enseignement du chinois et la diffusion de la culture chinoise aux États-Unis, le Dr Liu a conduit une enquête pour mieux adapter son cours aux besoins des étudiants américains vis-à-vis de la société et de la culture chinoises. Au travers d’interviews et de questionnaires, il a identi fi é neuf sujets privilégiés par les étudiants : la conception de l’histoire, les échanges culturels entre la Chine et l’Occident/les recherches sur la sinologie en Occident, le régime politique chinois, le commerce traditionnel chinois, l’éducation dans l’Antiquité chinoise, la philosophie traditionnelle chinoise, la religion chinoise, les arts traditionnels chinois, la préservation de la santé par la médecine traditionnelle chinoise et en fi n les arts culinaires chinois.
Pour mieux connaître le niveau d’acquisition des connaissances culturelles et historiques chinoises par les adolescents américains, le Dr Liu et son groupe ont mené une enquête. Leur questionnaire comporte trois questions : Vous souvenezvous des éléments d’histoire et de culture chinoises appris à l’école primaire et à l’école secondaire ? Vous rappelez-vous les noms chinois mentionnés dans les manuels du primaire et du secondaire ? Que vous évoque ce pays ?
Liu Jinghui enseigne la calligraphie aux élèves.
Liu Jinghui enseigne les caractères chinois aux élèves.
L’enquête a révélé que les connaissances les mieux assimilées par les adolescents américains sont celles du programme de dixième année, c’est-à-dire l’histoire de la Chine semi-coloniale. La plupart ont oublié les connaissances d’histoire chinoise apprises pendant l’école primaire et l’école secondaire ; les noms de personnages historiques chinois généralement retenus par les adolescents américains sont Confucius, Sun Yat-sen, Mao Zedong et Tchiang Kaï-chek.
Cette enquête a mené le Dr Liu à la conclusion suivante : les manuels utilisés dans le système scolaire américain sont déconnectés du contexte culturel des élèves et des lecteurs américains et ne répondent pas à leurs besoins. De nombreux contenus prennent des libertés avec la réalité et d’autres ne re fl ètent pas les préoccupations.
Pour faire bien comprendre la Chine aux adolescents américains, le Dr Liu cherche à introduire la culture chinoise dans les écoles et les quartiers résidentiels américains. En tant que chercheur au centre des langues et cultures asiatiques du département de l’Éducation américain, il apporte son soutien à l’enseignement de la culture chinoise dans les écoles primaires et secondaires.
Peu de fi lms chinois sont projetés aux États-Unis. Pourtant le cinéma est un médium important pour diffuser la culture et l’actualité d’un pays. A fi n de présenter aux étudiants américains le cinéma chinois, le Dr Liu a introduit le cinéma chinois dans sa classe. Les étudiants américains peuvent ainsi faire des analyses et des commentaires, souvent imprégnés d’esprit critique, sur le cinéma chinois. C’est aussi l’une des méthodes qu’il privilégie pour faire comprendre la société chinoise d’aujourd’hui. Parallèlement, il donne un cours d’histoire de l’art chinois. À l’occasion des fêtes traditionnelles chinoises, le Dr Liu et ses étudiants ont organisé toutes sortes d’activités folkloriques, comme par exemple un stand où ils expliquent la tradition chinoise de la fête du Printemps. Au cours des célébrations, ils ont exécuté la danse du lion, une des attractions favorites des Américains. Le Dr Liu et son groupe ont également introduit la culture chinoise dans les quartiers résidentiels en organisant des expositions d’œuvres des peintres Zhang Daqian et Zhang Shanzi. Une excellente opportunité pour faire admirer au public américain des œuvres de grands peintres chinois.
En tant que chercheur du Centre des langues et cultures asiatiques du département de l’Éducation américain, il prend aussi en charge la formation des enseignants du chinois dans les écoles primaires et secondaires américaines. Son rôle est de tenter de résoudre les problèmes que ceux-ci rencontrent dans l’enseignement de la culture chinoise en leur fournissant des ressources pédagogiques. Il explique que de nombreux enseignants se montrent perplexes face à la séparation de l’enseignement de la langue et celui de la culture. Des étudiants aussi se plaignent de ce que leurs connaissances du chinois ne suf fi sent pas à comprendre la culture chinoise. C’est la raison pour laquelle certains d’entre eux abandonnent en cours de route. Pour le Dr Liu, ce problème est lié à la conception des manuels. Il ajoute que le département de l’Éducation américain est en train de soutenir l’enseignement bilingue dès la dernière année d’éducation préscolaire et jusqu’à la phase de l’école primaire mais qu’ici aussi on souffre d’un manque de manuels. Actuellement, le Dr Liu oriente ses efforts vers des propositions d’amélioration des manuels. Pour mieux s’approcher de l’objectif qui est d’aider les élèves américains à comprendre et étudier le chinois et la culture chinoise, il donne des conseils aux maisons d’édition chinoises et étrangères publiant des manuels de chinois et des livres en chinois. Son credo tient en quelques phrases.
Il faut d’abord une communication ciblée, précisément destinée à une tranche d’âge, a fi n de créer des œuvres adaptées à ces groupes d’âge. Par exemple, les enfants entre 6 et 8 ans ne peuvent lire que des phrases simples et non des paragraphes longs. Les livres conçus pour cette catégorie d’âge doivent se baser sur leur niveau d’instruction et leur capacité cognitive. L’auteur doit utiliser un langage familier à la population visée. Le Dr Liu explique que les livres de lecture en chinois vendus sur le marché pour les enfants de 6 à 8 ans sont remplis de contenus inadaptés aux enfants de cet âge, avec trop de mots et d’expressions incompréhensibles pour eux. C’est un des facteurs qui expliquent le relatif échec des livres chinois sur le marché américain : un contenu trop ardu.
Le Dr Liu propose d’explorer aussi le marché des biographies destinées aux enfants. S’il existe de nombreuses biographies pour adultes, on n’en trouve pas de faites pour les enfants. Il propose ainsi aux maisons d’édition de publier des biographies relatant l’enfance et le développement de personnages historiques chinois connus à l’international et adaptés au goût des enfants.