Un musée fondé par un collectionneur chinois ouvre le vaste monde de l’art africain aux visiteurs locaux et étrangers par François Dubé
La chambre des trésors du Togo
Un musée fondé par un collectionneur chinois ouvre le vaste monde de l’art africain aux visiteurs locaux et étrangers par François Dubé
L’ENTRÉE dans la cour intérieure du Muséeinternational de l’art africain (MIAA) de Lomé donne la sensation de rentrer dans un monde magique et mystérieux. Vous vous trouvez soudainement immergé dans une centaine d’œuvres de toutes formes et de tous matériaux, provenant de villages reculés de toute l’Afrique, explique Richard James, un visiteur récent en provenance des États-Unis.
« ll s’agit définitivement de l’endroit le plus intéressant de Lomé. Ce musée est bien supérieur au Musée national vétuste et poussiéreux », s’exclame James, charmé par ce qu’il a vu.
Situé non loin des rives du golfe de Guinée, le MIAA a ouvert ses portes en 2012 et est rapidement devenu une attraction incontournable de la capitale togolaise. Les visiteurs peuvent y admirer parmi les meilleures collections d’art folklorique africain de la région, dont des figurines ancestrales du Mali, des statues de terre cuite du Nigéria, des sculptures sur bois du Tchad et des vestiges sacrés de la République démocratique du Congo, dont certains datent du Xe siècle.
Cependant, ce qui étonne le plus les visiteurs du musée, ce n’est pas tellement la diversité des œuvres présentées, mais le fait que la collection toute entière appartient à un Chinois, qui est également le propriétaire du musée.
« Les visiteurs sont très surpris, lorsqu’ils apprennent cela. Il semble inconcevable pour eux qu’un Chinois puisse avoir un tel intérêt dans la culture africaine ! », explique Mélougnim Pesse, 27 ans, qui travaille comme guide au MIAA.
L’homme à l’origine du MIAA est Xie Yanshen, 62 ans, né dans la province du Jiangsu dans l’est de la Chine. Mais qui est donc ce Chinois, qui est devenu le fondateur et le conservateur d’un musée d’art africain au Togo ?
« Je suis né dans une famille ayant une connexion forte avec l’art, ainsi qu’une vision artistique relativement large. C’est pourquoi la valeur de la collection d’art est venue naturellement chez moi », explique-t-il.
Après avoir été diplômé de l’Université des arts de Nanjing de la province du Jiangsu, Xie Yanshen a saisit l’opportunité d’enseigner le violon en Afrique, à l’École internationale de Lomé, en 1989.
Une fois là-bas, il se rendit compte que l’Afrique - et le Togo en particulier - n’avait rien à voir avec ce qu’il s’était imaginé en Chine.
« Lors de mon premier week-end en Afrique, je me suis rendu dans un marché de l’art et c’est à ce moment-là que je me suis rendu compte de la profondeur de l’art africain, même s’il reste majoritairement incompris. La sculpture africaine en particulier est une merveille de trésors artistiques. Elle a influencé un grand nombre d’artistes de renommée mondiale, dont Picasso », explique-t-il.
Tout en dévorant de nombreux livres sur les arts africains, Xie Yanshen tisse des liens d’amitié avec des artisans togolais et commence à collectionner des œuvres d’art. C’est de cette façon que sa collection privée est née, une passion qui a fini par devenir une vocation.
« Certaines de ces œuvres ont été découvertes au cours de mes recherches approfondies dans certaines tribus recluses, d’autres ont été achetées sur le marché des collectionneurs d’art et d’autres encore ont été conçues et créées par des artisans exceptionnels dans notre propre atelier d’art africain », poursuit-il.
Avec ses économies personnelles, ainsi que de généreuses donations de membres de sa famille et d’amis, Xie Yanshen a fait l’acquisition d’un ancien musée d’art en 2012. C’est de cette façon, qu’est né le MIAA.
« Mon objectif avec l’ouverture de ce musée était de préserver l’héritage culturel antique de l’Afrique et de le présenter au public intéressé, particulièrement les étudiants et les touristes », explique Xie Yanshen.
Le musée est désormais visité par des touristes venus du monde entier, ainsi que des chercheurs, des délégations gouvernementales et même certains invités de marque, comme l’ancien secrétaire général des Nations unies, KofiAnnan.
« Les touristes européens, qui sont venus ici, n’ont eu que des éloges pour la beauté de cet endroit. De nombreux visiteurs ne veulent pas partir et certains nous demandent même s’ils peuvent passer la nuit ici ! », raconte Xie Yanshen.
Xie Yanshen avec le Président togolais Faure Gnassingbé en 2010.
Le musée est situé dans un endroit idyllique de Lomé.
Xie Yanshen partage aujourd’hui son temps entre la Chine et le Togo, où il se rend deux à trois fois par an. Du fait de son expertise unique dans le domaine de la sculpture africaine, il fut nommé en 2001 chercheur associé et consultant pour l’art africain du Musée national de Chine (MNC) à Beijing, où il travaille sur un livre d’art traitant de la sculpture africaine.
Dans sa mission de promotion de l’art africain, Xie Yanshen a donné plus de 500 œuvres africaines au MNC, où celles-ci sont exposées depuis mai 2012.
« Le MNC attache une grande importance à la protection, la collection et la recherche sur les œuvres sculpturales africaines, en tant que symbole de l’amitié sino-africaine », explique Xie Yanshen.
Celui-ci prévoit désormais de développer ses activités en ouvrant un studio MIAA dans le quartier d’art international T3 de Beijing, afin d’unifier encore davantage les forces respectives en Afrique et en Chine.
Au-delà de la simple collecte et de l’exposition d’œuvres d’art, une mission importante du MIAA est de soutenir la dissémination du savoir-faire traditionnel aux jeunes générations du Togo.
Après être devenu un membre à part entière du Conseil international des musées en 2016, le MIAA est aujourd’hui officiellement reconnu comme une plateforme pour l’éducation artistique et les étudiants togolais sont devenus des visiteurs fréquents du musée.
« Non seulement nous expliquons l’histoire derrière les œuvres d’art anciennes, mais les étudiants ont également l’opportunité de voir ces créations dans la vie réelle, et pas seulement dans des photographies ou sur Internet », explique Mélougnim Pesse.
Une autre des préoccupations du MIAA est de soutenir le secteur de l’industrie locale. En collaboration avec des artisans togolais, le musée est en cours de création de sa propre collection de souvenirs culturels et créatifs vendus aux visiteurs.
« Nous aidons les artistes locaux à créer des souvenirs, que les touristes de Chine et d’ailleurs apprécient. Par ailleurs, nous espérons également que certains designers chinois puissent avoir des contacts plus étroits avec l’art africain, pour trouver l’inspiration et créer de nouveaux produits avec des caractéristiques africaines », explique Xie.
Cette initiative est aussi une solution pour créer une source additionnelle de revenus pour le musée, afin d’assurer sa durabilité sur le long terme : « Même si les ventes de tickets aident à payer une partie des frais, elles sont loin d’être suffisantes pour couvrir les dépenses quotidiennes de ce musée », explique Xie Yanshen.
Pour lui, construire des ponts entre les artistes togolais et chinois est une véritable vocation, à laquelle il a dévoué 28 années de sa vie : « Il s’agit d’un projet formidable, digne d’un rêve ! » CA
Pour vos commentaires : francoisdube@chinafrica.cn