LINDSAY PRADELLE, membre de la rédaction
L’Odyssée d’ODC Marineen Chine
LINDSAY PRADELLE, membre de la rédaction
Quand on connaît vraiment la Chine telle qu’elle est sur place et non de la manière déformée ou incomplète avec laquelle elle est dépeinte dans certains médias qui se complaisent à exagérer ce qui les étonne et ne comprennent pas, on y trouve vraiment des opportunités d’épanouissement qui sont devenues quasiment impossibles dans nos systèmes en Occident, trop étouffants. C’est ce sentiment que l’on voit rayonner au premier abord sur les visages de Stéphane Gonnetand et Gildas Olivier, entrepreneurs passionnés des bateaux dont le chantier de construction navale implanté en Chine accumule les succès à un rythme effréné depuis 10 ans.
ODC Marine, chantier naval français innovant aux capitaux intégralement étrangers, a été fondé à Dalian, une ville côtière dans le Liaoning, au Nord-Est de la Chine, en 2006. À sa tête, trois associés : Stéphane Gonnetand et Gildas Olivier, ingénieurs, et Xavier de Montgros, qui lui, est basé en France et est également président de l’Association française pour le bateau électrique.
Gildas et Stéphane se sont rencontrés en Chine et tous deux ont fait le choix d’y jeter l’ancre. « Ce qui nous a réuni, c’est la passion pour le bateau, l’envie d’entreprendre et le contexte chinois stimulant. » Selon Gildas, « Malgré un hiver froid, Dalian est une des villes les plus agréables de Chine, qui présente de nombreux atouts. » La ville, qui accueille notamment le Davos d’été, a su s’imposer comme une des villes clés du Nord-Est de la Chine.
C’est donc la force d’une passion commune qui a mis la machine en marche pour ces entrepreneurs qui n’ont pas baissé les bras malgré les embûches et difficultés rencontrées au cours de la phase de création et de démarrage de l’activité. Le capital de départ n’était que de 100 000 dollars. Cependant, l’industrie de la construction navale étant déjà présente à Dalian, les entrepreneurs ont pu trouver sur place une main d’œuvre qualifiée. « Nous avons sous-estimé le temps que cela prendrait de créer la confiance, surtout envers de jeunes entrepreneurs. En revanche, un des avantages de ce pays est que malgré le nombre de problèmes, on a très rapidement des solutions », dit Gildas, qui nous confie également que les autorités locales les ont soutenus dans leur projet.
La première raison qui nous vient à l’esprit pour expliquer le choix de ces jeunes trentenaires de s’implanter en Chine est une délocalisation aux vertus économiques, mais il n’en est rien. « Ce n’est pas du low cost, mais une solution innovante à un prix raisonnable. Nos bateaux sont environ 15 % moins chers que ceux fabriqués en France, mais la vraie plus-value que nous offrons est une technologie qui améliore le confort des passagers », souligne Stéphane Gonnetand, en se référant au mode de propulsion électrique. « Notre implantation en Chine a permis de nouer des liens privilégiés avec des fournisseurs locaux qui peuvent bénéficier de nos produits pour se faire connaître au niveau international », déclare Gildas. Contrairement à ce que l’on peut croire en Occident, la main d’œuvre, hautement qualifiée, coûte de plus en plus chère. Les employés ont été minutieusement formés aux exigences de qualité attendues par leurs patrons. À sa création, ODC Marine avait six employés. Désormais, on en compte plus d’une soixantaine avec unturnovertrès faible. « Nous constatons une bonne adhésion de l’équipe au projet d’entreprise, un peu comme une famille.Nous construisons ensemble depuis 10 ans une aventure extraordinaire qui a créé des liens de confiance très forts. »
Olivier Gildas (à g.) et Stéphane Gonnetand (à dr.) en compagnie de l’architecte naval Daniel Pradelle au Salon du bateau à Shanghai
ODC Marine est spécialisé dans la conception et la fabrication de bateaux professionnels en aluminium jusqu’à 25 m, conformes aux normes des réglementations des affaires maritimes françaises et soumis à l’inspection du bureau Veritas en Chine. Parmi les réalisations de ODC Marine, on compte des vedettes à passagers maritimes et fluviales, des bateaux de plongée, des bateaux d’intervention, des navires de pêche ou encore des navires de service. L’aluminium comporte certains atouts : il est recyclable, léger, solide dans le temps et permet une construction sur mesure pour correspondre aux besoins précis du client. En complément des propulsions traditionnelles (diesel ou hors-bord), la légèreté du matériau permet au chantier de développer des solutions innovantes 100 % électriques et hybrides lithium.
En effet, implantée dans la zone high-tech du port de Dalian depuis 2006, la société ODC Marine a produit à ce jour plus de 45 bateaux et se spécialise depuis 2009 dans les embarcations équipées de batteries au lithium-fer-phosphate, notamment pour le marché français et européen des professionnels du tourisme. Ces batteries « nouvelle génération » sont plus légères que les batteries traditionnelles. Il existait déjà des bateaux d’une puissance de 50 ou 100 kWh sur le marché, mais ODC commençait à 300 kWh, ce qui serait beaucoup trop lourd si les batteries étaient au plomb ou au nickel.
Selon Stéphane Gonnetand, depuis belle lurette, les Chinois ont déjà beaucoup investi dans cette technologie et ils ont eu raison, car elle à la fois efficace, fiable et écologique. Depuis 2009, ODC Marine n’a cessé d’améliorer sa technologie pour fabriquer des bateaux de plus en plus puissants. Leur idée est de fabriquer pour l’export des navires professionnels de haute technologie aux performances similaires et au prix comparable aux bateaux diesel. Dans un contexte international de souci grandissant pour l’environnement comme on peut le voir encore récemment avec la signature de l’Accord de Paris, non seulement ces méthodes plus écologiques rentrent parfaitement dans l’air du temps, mais elles ont aussi une autre vertu non négligeable à l’heure où le transport de masse prime sur la satisfaction du client, puisqu’elles améliorent considérablement le confort des passagers.
Par ailleurs, pour aller encore plus loin dans son engagement de plus en plus prononcé en tant qu’entreprise verte, ODC Marine propose d’ajouter des panneaux solaires et des éoliennes pour recharger les batteries de ses bateaux. Ainsi, le chantier multiplie les projets de bateaux propres, qui représentent une part importante de son chiffre d’affaire. La société a également récemment lancé une gamme de navires à passagers de 12 à 200 places se déclinant en propulsions électrique et hybrides. « Bien sûr, nous proposons toujours à nos clients des navires à propulsion conventionnelle car certains programmes ne peuvent être traités en tout électrique, comme c’est le cas du bateau de 12 m destiné à la pêche en lagon dans le Pacifique dessiné par Daniel Pradelle et en phase de commercialisation par ODC Marine. »
Modèle de bateau en aluminium au chantier naval d’ODC Marine à Dalian
La construction navale est un secteur qui a été très fortement touché par la crise économique de 2008. En revanche, l’industrie du navire professionnel est, quant à elle, un peu moins affectée puisqu’il est nécessaire de renouveler les flottes afin de se conformer en tout temps aux réglementations maritimes.
Les Français comptent aussi s’intégrer sur le marché chinois, mais ils ne sont pour le moment pas équipés pour répondre aux appels d’offre locaux dans le domaine du transport de passagers. En revanche, afin de profiter du boom de la navigation de plaisance en Chine, ils ont franchi une première étape en devenant concessionnaires des marques Bénéteau, Lagoon et Monte Carlo Yacht pour le Nord-Est de la Chine, permettant ainsi à l’entreprise de réaliser un équilibre plutôt admirable entre ses importations et ses exportations, mais aussi entre sa croissance en France et sa croissance en Chine. « En distribuant ces bateaux, on peut s’appuyer sur une marque reconnue et proposer une gamme mature à des clients qui n’ont pas spécialement l’expérience de la plaisance. »
Si la Chine s’est ouverte à la plaisance en commençant par les yachts et les bateaux de grande taille, elle privilégie aujourd’hui des tailles moins imposantes. En effet, depuis 2014, ODC Marine a constaté un basculement du luxe au loisir. « Les bateaux sont plus petits (cinq à huit m) car ce sont désormais davantage des particuliers qui achètent, ils s’intéressent vraiment à la navigation et veulent profiter en famille ou entre amis. On vend le concept même du loisir », explique Stéphane Gonnetand. Quoi qu’il en soit, la Chine représenteun véritable eldorado pour la vente de yachts. Or nous ne sommes qu’à l’aube du développement de la plaisance en Chine. La plupart des clients de ODC Marine achètent un bateau pour la première fois, il y a donc un réel rôle de formation et d’accompagnement derrière la vente de chaque navire, afin de savoir comment l’entretenir mais aussi comment réagir en cas d’accident. Sans compter certaines exigences parfois inattendues : « Un jour, un client m’a demandé un voilier sans mât car la navigation ne l’intéressait pas », se souvient avec amusement Stéphane.
La grande majorité des bateaux de plaisance présents en Chine provient de constructeurs européens comme le français Bénéteau, l’italien Ferretti ou le britannique Sunseeker. Une grosse trentaine d’entreprises étrangères sont implantées dans le pays, formant ainsi une forte concurrence, accentuée par l’apparition de distributeurs locaux.
Quand on interroge Stéphane sur ses projets concernant le marché chinois, il souhaite donc poursuivre et accentuer ses ventes sur ce marché, encore limité mais à très fort potentiel, en tant que distributeurs de produits Bénéteau, Lagoon et Monte Carlo Yacht. Bénéficiant de cette image reconnue, le chantier projette aussi de développer une gamme de bateaux professionnels pour la Chine, adaptée aux besoins locaux. L’un des avantages majeurs de ODC Marine est bien sûr la possibilité de produire directement sur place, ce qui implique l’absence de taxes d’importation. Un autre élément en faveur de l’entreprise est qu’ils peuvent assurer l’entretien des bateaux avec la plus grande expertise.
En plus des reconnaissances professionnelles visibles dans la confiance que de grandes marques de yachts placent en ODC Marine, il y a les marques de félicitations des organismes gouvernementaux ou commerciaux. En 2009, seulement trois ans après la création de leur entreprise, Gildas Olivier et Stéphane Gonnetand ont remporté le prix entrepreneurs pour les PME, décerné par la CCI française en Chine, après avoir remporté le deuxième prix de la PME la plus dynamique de Chine en 2008. Les deux entrepreneurs s’accordent pour dire que « cependant, il faut garder les pieds sur terre et nous avons chaque jour de nouvelles difficultés à surmonter et des défis à relever. Nous sommes loin de pouvoir nous reposer sur nos lauriers. Ce prix doit plus être considéré comme la marque d’une étape, on ne parle plus de notre projet mais de notre entreprise. Aujourd’hui, nous avons le sentiment d’être reconnus comme de bons professionnels, bien intégrés dans notre marché. Nos challenges présents concernent la gestion de la croissance, ainsi nous renforçons les fonctions de management et nous travaillons notre stratégie produits pour chercher de nouveaux marchés. » Sensibles à l’importance des échanges sino-français, Gildas et Stéphane ont représenté de 2008 à 2015 l’Association du jumelage entre les villes de Dalian et du Havre, et représentent différents organismes français en Chine (CCI France-Chine, Commerce Extérieur de la France ou encore le Board de la Chambre européenne Nord Est Chine).
Essai du bateau de plaisance Swordfish fabriqué à partir d’aluminium par ODC Marine
Conforme à son engagement, ODC Marine a très tôt établi une relation d’échanges positifs et a mis en place des actions de sensibilisation à la protection environnementale en Chine. « En 2009, nous avons offert à la ville de Dalian un catamaran pour ramasser les déchets sur les plages. La ville du Havre jumelée à Dalian a apporté son soutien à ce projet en offrant les moteurs du bateau. » Lors de la remise des clés du bateau de nettoyage, ODC Marine a présenté sa stratégie afin de donner une dimension solennelle à son action. « Nous organisons aussi des journées d’information sur le développement durable. Avec des écoles et entreprises étrangères de Dalian, nous essayons de montrer un comportement citoyen en ramassant les déchets sur les plages et les parcs de la ville », explique Gildas.
ODC Marine démontre une fois de plus que la Chine et ses travailleurs sont tout à fait capables de produire de la grande qualité avec brillance. Cette année voit une forte croissance entraînant le recrutement de plus de plus de 20 personnes. Stéphane nous confie projeter de doubler la taille du chantier d’ici 2020. ODC Marine est un bon exemple d’entreprise qui encourage des bénéfices partagés entre la France et la Chine, tout en suivant la ligne de la croissance économique par l’innovation proposée par la Chine pour redresser l’économie mondiale de manière durable. Il ne fait nul doute que ODC Marine a le vent en poupe !