ZHENG RUOLIN*
De nouvelles opportunités pour la relation Chine-Europe ?
ZHENG RUOLIN*
Le rapprochement ou l’éloignement entre la Chine et l’Europe sur le plan diplomatique est souvent lié à Washington.
Quand je tiens ce propos, mes amis français s’offusquent toujours un peu : la France est un pays qui met en œuvre une politique étrangère indépendante ! La France n’a pas besoin qu’un autre pays décide pour elle de la relation qu’elle doit entretenir avec un pays tiers. La France, sous la direction de Charles de Gaulle, ne fut-elle pas le premier grand pays occidental à établir des relations diplomatiques au niveau d’ambassadeurs avec la Chine ? Cette affirmation est juste. Telle fut l’histoire. Toutefois, la réalité s’avère un peu plus « acerbe », parce que la France n’est plus celle de l’ère de De Gaulle et compte aujourd’hui parmi les 27 pays membres de l’Union européenne. Par exemple, en ce qui concerne l’embargo sur la vente d’armes à la Chine, Paris préconise depuis le temps de Chirac la levée de cette sanction obsolète. Cependant, en raison de l’opposition des États-Unis, l’UE n’est toujours pas parvenue à un consensus sur ce sujet. Cette situation a, dans une certaine mesure, empêché la relation Chine-Europe de prendre de la hauteur, ce qui est naturellement regrettable. À ce jour, la France n’a toujours pas pu sortir de cet état diplomatique.
Or, aujourd’hui, le nouveau président américain, Donald Trump, qui plaît peu à l’Europe, a pris ses fonctions. Aussi, tout semble être « incertain » pour l’avenir.
Je me souviens bien que, sous l’ère de George W. Bush, la relation Europe-États-Unis était longtemps restée assez tendue. La France, sous la présidence de Jacques Chirac, avait été le premier pays à s’opposer à la guerre en Irak. Le ministre français des Affaires étrangères de l’époque, Dominique de Villepin, avait prononcé devant les Nations unies un discours contreune intervention militaire de la part de la « vieille Europe », inscrit dans les annales. Sous la « cohabitation » au temps du président Chirac, le ministre des Affaires étrangères de gauche, Hubert Védrine, avait publiquement critiqué l’« unilatéralisme » et le « simplisme » des États-Unis. À l’époque, il m’avait accordé une longue interview. Après la diffusion publique de cette critique à l’encontre de Washington, le Wen Hui Bao, le journal chinois auquel j’étais affilié, avait été le premier des médias non-français à publier et à juger positivement son opinion. Lors de la campagne électorale américaine durant laquelle George W. Bush cherchait à briguer un second mandat, l’Europe soutenait aussi son rival, le candidat démocrate John Kerry. À l’occasion du Sommet du G8 de 2003, tenu à Évian peu après la guerre en Irak, Chirac a tout spécialement invité le dirigeant de la Chine ainsi que ceux d’autres pays afin de former une « Rencontre informelle Nord-Sud », craignant que Bush, dans la foulée de sa victoire dans cette guerre, ne tente d’humilier la France qui s’y était opposée. Ainsi durant les huit années de l’administration Bush, la relation Chine-France et la relation Chine-Europe se sont vigoureusement développées.
Jörg Wuttke, président de la Chambre de commerce de l’UE en Chine, présente les grandes lignes de l’European Business in China Position Paper 2016/2017, publié le 1erseptembre dernier.
Aujourd’hui, il semblerait que les États-Unis sous la présidence de Trump soient en passe de réitérer l’erreur de George W. Bush. Les décrets que Trump a promulgués depuis son ascension au pouvoir semblent tous aux antipodes des valeurs chéries par l’Europe. Par exemple, Trump n’approuve pas les résultats de la COP21, ce qui préoccupe sérieusement la France. En revanche, il s’est félicité du Brexit, alors que toute l’Europe s’y opposait fermement. Le nouveau président américain critique ouvertement la politique d’accueil des réfugiés menée en Allemagne, ce qui va à l’encontre des conceptions humanistes préconisées par l’Europe. De son côté, il a ordonné d’interdire provisoirement l’entrée sur le sol américain aux citoyens originaires d’Iran et de six autres pays à majorité musulmane. Un décret qui fait figure de provocation non dissimulée aux valeurs occidentales. Parmi le peuple américain comme au sein des autorités européennes, partout une vague de protestation déferle. Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault a même déclaré en réponse, lors de sa visite à Téhéran, que la France fera le maximum pour permettre à davantage de citoyens iraniens d’obtenir leur visa d’entrée sur le territoire français… Soulignons que le ministre Ayrault a aussi remis en question l’attitude adoptée par Trump vis-à-vis de la Chine. Il blâme les propos de Trump qui conteste sans scrupule le principe de l’unicité de la Chine. Sur la chaîne de télévision France 2, M. Ayrault a averti : « Attention à la Chine (...) C’est un grand pays. Il peut y avoir des désaccords avec la Chine mais on ne parle pas comme ça à un partenaire. »
Le ministre français des Affaires étrangères n’est pas le seul à exprimer cette opinion. Le président français François Hollande et la chancelière allemande Angela Merkel ont exposé un point de vue similaire. Le 27 janvier, lors de sa rencontre avec Merkel, Hollande a recommandé : « Parlons très franchement, il y a des défis que pose l’administration américaine par rapport aux règles commerciales, par rapport aussi à ce que doit être notre position pour régler les conflits dans le monde. Alors nous devons bien sûr parler à Donald Trump, puisqu’il a été choisi par les Américains pour être leur président, mais nous devons le faire aussi avec une conviction européenne et la promotion de nos intérêts et de nos valeurs. »
De toute évidence, l’Europe et les États-Unis entrent aujourd’hui dans la plus grande période de divergence de vues sur le plan idéologique depuis l’ère de George W. Bush. Sur une série de questions telles que la mondialisation, le libre-échange, la lutte contre le changement climatique, la relation diplomatique avec la Russie, l’immigration clandestine, l’accueil des réfugiés et la lutte contre le terrorisme, deux conceptions, deux blocs de valeurs et deux types d’intérêts visés s’opposent dans un contraste frappant entre l’Europe et les États-Unis.
À l’inverse, la Chine et l’Europe affichent des positions communes ou similaires sur un nombre croissant de questions internationales. Dans ce contexte, j’estime qu’émerge une occasion en or pour le développement de la relation Chine-Europe.
Le discours que le président chinois Xi Jinping a récemment prononcé au Forum économique mondial de Davos a été largement salué par les médias français.Le Figaroa rapporté cette intervention dans un article intituléXi Jinping entonne à Davos un hymne au libre-échange et à la mondialisation, soulignant que« ses propos, qui correspondaient totalement aux valeurs d’internationalisme du public de Davos, ont été interrompus à plusieurs reprises par des salves d’applaudissements ».
Les autres médias, globalement, manifestent une position similaire.
À l’évidence, l’Europe a pris conscience que la Chine est aujourd’hui un pays défenseur des règles internationales en vigueur, défenseur du libre-échange et défenseur ardent de la mondialisation, alors que les États-Unis de Trump sont devenus un « facteur d’incertitude ». Les médias européens sont convaincus que la relation Europe-États-Unis entre dans une phase inédite : les États-Unis de Trump se sont déjà complètement écartés de la politique menée par les précédents gouvernements américains en faveur de l’intégration européenne ; ils souhaitent voir l’Europe divisée pour pouvoir dominer plus facilement un par un les différents pays européens et défendre plus efficacement les intérêts américains. À l’opposé, la Chine maintient clairement, depuis toujours, sa position favorable à l’intégration européenne. Par conséquent, nous pouvons prévoir que la relation Europe-États-Unis va évoluer dans le sens inverse par rapport à la relation Europe-Chine, aujourd’hui en cours de rapprochement. Ainsi, plus l’Europe et les États-Unis sont en désaccord, plus les liens Europe-Chine se resserrent.
Dans les faits, la Chine et l’Europe font face à de larges perspectives d’approfondissement de leur coopération. La liste des domaines dans lesquels les deux parties pourraient intensifier cette coopération est bien longue : lutte conjointe contre le changement climatique, renforcement des échanges commerciaux bilatéraux, collaboration dans les domaines de la finance et de l’investissement, participation à l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie, travail main dans la main pour la Chine et la France en Afrique, etc. Le protectionnisme de Trump, illustré par son slogan « l’Amérique d’abord », accélèrera le rapprochement entre la Chine et l’Europe.
Par conséquent, nous pouvons prévoir que la relation Europe-États-Unis va évoluer dans le sens inverse par rapport à la relation Europe-Chine, aujourd’hui en cours de rapprochement.
Pour l’heure, ce qui entrave depuis toujours le développement des relations Chine-Europe dans tous les domaines, ce sont l’arrogance et les préjugés à l’encontre de la Chine, héritage datant de l’époque de la Guerre froide. Il est à noter que dans l’opinion publique en Europe et aux États-Unis, il existe encore à ce jour une force qui voit la Chine comme un pays « hérétique ». Cette force considère que le système politique de la Chine pose un « problème » majeur, justifiant son avis négatif sur le pays en commençant par mentionner l’absence du principe de suffrage universel au sens occidental du terme. Il est évident que cette idée de « péché originel du point de vue démocratique » ne s’accorde pas avec le monde d’aujourd’hui, caractérisé par la diversité.
La Chine est un pays en développement abritant 1,3 milliard d’habitants. Il est tout à fait absurde d’imaginer qu’il soit possible de transplanter tel quel le système politique d’un pays de 60 millions d’habitants comme la France dans un immense pays de 1,3 milliard d’âmes. Cette sagesse est exprimée dans l’adage chinois très connu : « La pratique est le seul critère de garantie de la vérité ». Les sondages menés en Chine par des organismes chinois et par la communauté internationale prouvent tous sans exception que le gouvernement chinois figure parmi les gouvernements les plus populaires dans le monde. Ces trois dernières décennies, le gouvernement chinois œuvre à améliorer le niveau de vie de la population, une orientation qui rencontre un large soutien du peuple. En effet, le système politique chinois est différent de celui en vigueur en Occident, tout comme il est différent des régimes établis en ex-Union soviétique et en Corée du Nord. Il s’agit d’un système démocratique unique aux couleurs chinoises. La France et l’Europe, si elles laissaient de côté leurs préjugés idéologiques et observaient le système chinois d’un œil réaliste pour coopérer en toute sincérité avec la Chine, pourraient parfaitement contrebalancer le courant mondial nous portant vers le protectionnisme commercial, voire le racisme suscité par Trump depuis son accession au pouvoir.
Le président chinois Xi Jinping a indiqué, dans son discours à Davos, que la Chine souhaitait la bienvenue à tous les pays du monde qui voudraient « profiter de l’essor économique de la Chine ». La Chine s’engage aussi solennellement à ouvrir davantage les portes de son marché intérieur et à accroître ses investissements sur le marché international. À présent, l’Europe a grandement besoin non seulement du marché chinois, mais aussi des investissements chinois. La Chine a déjà fait part de sa ferme volonté de coopérer. Maintenant, c’est à l’Europe d’en manifester l’intention.
À l’heure actuelle, les deux principaux pays de l’Union européenne sont en pleine période électorale. Reste à savoir si la France et l’Allemagne éliront respectivement un dirigeant doté véritablement d’une vision stratégique internationale et globale, qui sera capable de comprendre les perspectives de développement derrière la Chine, les États-Unis et le monde entier. Nous attendons avec impatience de connaître les résultats et de suivre avec attention les retombées.
*ZHENG RUOLIN est un ancien correspondant à Paris du quotidienWen Hui Baode Shanghai et l’auteur du livreLes Chinois sont des hommes comme les autresaux Éditions Denoël.