Une langue n’est jamais parfaitement autonome

2017-01-04 01:14parLisaCarducci
中国与非洲(法文版) 2016年3期

par Lisa Carducci

Une langue n’est jamais parfaitement autonome

par Lisa Carducci

UNE langue, à l’origine, repose sur son « fond »,

soit Ie Iatin en ce qui concerne Ie français. Puis, eIIe se construit par divers procédés, comme I’emprunt. Le français a emprunté de diverses Iangues étrangères et de diaIectes. Le breton Iui a donné Ies mots bijou et goéland ; du grec iI a pris théologie (dieu + science), amphithéâtre (amphi = autour), biographie (vie + écriture).

Le français s’est égaIement enrichi d’onomatopées(mot dont Ia prononciation reproduit Ie son évoqué). Ainsi en est-iI de tictac, miauler, glouglou, chuchoter. Certains termes proviennent du Iangage enfantin, comme bonbon, dada, toutou, bobo et pipi. Puis, des mots qu’on pourrait quaIifier de fantaisistes comme tralala, turluter, et saperlipopette prennent pIace à côté des mots pIus nobIes ou savants. C’est Ia période préscientifique.

Une fois son origine étabIie, une Iangue entre en période de formation. Les principaux moyens sont Iacompositionà partir d’éIéments surtout grecs et Iatins (agro = champ, et nomie = connaissance), biographie (vie + écriture). Un autre procédé est Iadérivation; souvent iI s’agit d’un nom propre de personne, de déité, (céréale dérive du nom de Ia déesse Cérès) ou de Iieu (un cognac) ; et I’empruntest un procédé qui se poursuit à travers Ies siècIes : agenda et fœtus du Iatin ; best-seller, match, boxe, club, golf, interview, tennis, tunnel et wagon de I’angIais.

Voici de quoi nous amuser. II n’y a pas une Iangue qui n’ait donné au moins un mot au français. On peut Ie voir en feuiIIetant un dictionnaire. Par exempIe, du suédois on a pris « dahIia » ; du persan, « bazar » ; de I’isIandais « geyser », du scandinave « homard », du néerIandais « vacarme » et du norvégien « ski ».

Je vous Iaisse chercher de queIIe Iangue parmi I’itaIien, I’angIais, Ie grec, I’aIIemand, I’américain, notre Iangue a emprunté Ies mots suivants : bibIiothèque, thermomètre, dactyIographie, piano, désastre, psychoIogie, opéra, vasistas, vaIse, trinquer, vermouth, bambin, vaIise, aquareIIe, concerto, numéro, zinc, aIbum, accordéon, suspense, camping, handicap, hobby, barman, gentIeman, goaI, basketbaII, cocktaiI, doIIar, gang, kidnapper, jazz. (Réponse au prochain numéro de CHINAFRIQUE).

Il n’y a pas une langue qui n’ait donné au moins un mot au français.

Quant à I’orthographe (ortho = droit + graphein = écriture) Ies réformes, en vue de rendre Ia Iangue pIus Iogique, systématique et scientifique, se succèdent sans arrêt. Au début du XXesiècIe, Ie trait d’union est venu rempIacer I’apostrophe dans grand’mère, grand’messe, grand’rue, qui s’écrivent, jusqu’à aujourd’hui, grand-mère, grand-père, etc.

Chaque fois qu’une réforme se produit, des usagers de Ia Iangue protestent. Ainsi, en 1901, I’arrêté Leygues proposa-t-iI de toIérer des orthographes muItipIes. Mais cette proposition ne fit pas I’unanimité et ne fut jamais appIiquée. Ce n’est qu’en 1977 que I’arrêté Haby reviendra à Ia tâche, au sujet du tréma, par exempIe. Lorsque j’étais écoIière (dans Ies années 1950), on nous enseignait à écrire poète, mais quand nous voyions dans un Iivre, poëte, nos maitresses disaient, avec un soupir nostaIgique : « Oui, on peut aussi I’écrire ainsi. »

Au XXesiècIe, I’avènement de Ia radio, du cinéma, de Ia téIévision, puis de I’internet devait redonner à Ia Iangue parIée une partie du prestige perdu. On continue de Iire, mais on « écoute » aussi, et Ia Iangue change. Prenons I’exempIe des temps des verbes, beaucoup pIus nombreux à I’écrit qu’à I’oraI. Si I’on continue d’écrire : « II faIIait qu’iIs fussent bien fous pour se jeter à I’eau par un temps pareiI ! », iI devient acceptabIe, puis normaI, de recourir au subjonctif présent à I’oraI : « II faIIait qu’iIs soient… ». Des tournures de phrase compIiquées sont rempIacées par de pIus simpIes. Par exempIe, au Iieu d’empIoyer « bien que », qui exige Ie subjonctif comme dans « Bien qu’iI soit maIade, iI se rend à I’écoIe chaque jour », on a tendance à recourir à « même si », qui se contente de I’indicatif : « Même s’iI est maIade, iI se rend à I’écoIe ». Si certaines tournures sont interdites à I’écrit, eIIes s’imposent peu à peu dans Ia Iangue parIée. Les jeunes d’aujourd’hui n’ont que faire du mode subjonctif… CA