WEI BO*
Rôle prometteur des ONG dans la lutte contre la pauvreté
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Liu Wenkui
La Chine, premier pays ayant réalisé les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) des Nations unies, a considérablement contribué à la réduction de la pauvreté sur la planète. Le gouvernement chinois continue néanmoins de mettre en œuvre aujourd’hui des mesures ciblées en la matière, étant résolu à faire sortir de la misère, d’ici 2020, toutes les personnes en milieu rural vivant sous le seuil de pauvreté actuellement fixé.
Depuis bien longtemps, les organisations non gouvernementales (ONG) jouent un rôle important dans la lutte contre la pauvreté en sensibilisant la société à cette question. Alors, de nos jours, comment les ONG rallient-elles toujours plus de sympathisants à leurs causes et à quels moyens recourent-elles pour agir de manière plus ciblée ? Liu Wenkui, secrétaire général de la Fondation chinoise pour la réduction de la pauvreté, a accepté de répondre à notre interview.
Journaliste : Quel rôle jouent les ONG dans la lutte contre la pauvreté ? Comment se caractérise leur implication ?
Liu Wenkui : Le président Xi Jinping a souligné, dans un message de félicitations rédigé à l’occasion de la réunion Civil Society (C20) 2016, la fonction majeure qu’endossent les ONG dans le développement socio-économique et dans la participation du peuple aux affaires publiques.
En Chine, le travail de lutte contre la pauvreté se traduit en grande partie par la mobilisation et l’organisation de la force civile. Au cours du plan septennal de 1994-2000, plus de 50 milliards de yuans de fonds et de matériaux ont été fournis par les ONG et par d’autres acteurs sociaux, soit 28 % du montant total alloué pour combattre la pauvreté. Au XXIesiècle, les ONG innovent sans cesse dans leurs méthodes pour promouvoir un accès équitable à l’éducation, améliorer les conditions sanitaires dans les régions démunies, apporter une aide humanitaire en temps voulu lors de catastrophes et encourager le développement des communautés rurales pauvres.
Ces trente dernières années de lutte contre la pauvreté ont révélé la place de premier plan des ONG dans ce combat. Premièrement, leur engagement vient combler les failles demeurant dans le travail du gouvernement. Les ONG peuvent non seulement mobiliser plus de « ressources sociales » au profit des plus miséreux, mais aussi optimiser le travail mené en introduisant des programmes avancés de gestion, de suivi et d’analyse des résultats. Deuxièmement, les ONG sont plus à même de diversifier les mécanismes utilisés, tels le financement dans le cadre d’une coopération multilatérale ou la prise de décision participative. Troisièmement, la participation des ONG aux actions internationales de lutte contre la pauvreté favorise les recherches, les échanges et les collaborations entre les pays. Une union qui fait la force.
Actuellement, le système chinois de lutte contre la pauvreté met en œuvre des mesures ciblées. Concrètement, quelles sont-elles à l'échelle des ONG ?
Liu Wenkui : La lutte ciblée contre lapauvreté revêt deux idées. La première : le travail doit viser ceux qui sont dans le besoin. La seconde : les actions doivent aboutir à des résultats. Après avoir identifié la population cible, il faut voir si le projet répond adéquatement aux problèmes quotidiens de celle-ci.
À cet égard, les ONG peuvent déployer leurs efforts à trois niveaux. Premièrement, il s’agit de mobiliser des sympathisants et notamment des partenaires qui attachent une importance particulière à une ou plusieurs régions défavorisées. Deuxièmement, il faut concevoir des programmes adaptés aux ménages pauvres et mener des opérations tenant compte des problématiques régionales. Troisièmement, il convient d’axer les méthodes de recherche et d’innovation sur les résultats, pour nous assurer que notre travail aide véritablement les familles les plus démunies à augmenter leurs revenus et à accroître leurs compétences pour enfin sortir de la misère.
Comment convaincre le plus grand nombre de s'engager activement dans des actions caritatives ?
Liu Wenkui : Pour amener la population à se mobiliser, les ONG doivent lancer davantage de nouveaux programmes en accord avec les attentes des citoyens. Il faut également développer des mécanismes, des approches et des canaux foncièrement nouveaux pour élaborer un système favorable à la participation publique.
Ces dernières années, les ONG explorent de nouveaux moyens pour convier toujours plus de personnes à s’investir dans des œuvres caritatives. Le genre de campagne proposant des défis aux volontaires est une des solutions. Il s’agit non seulement d’appeler aux dons, mais aussi d’exiger du participant un effort généralement en lien avec la cause concernée, comme par exemple l’Ice Bucket Challenge (défi du seau d’eau glacée), tendance devenue « virale » à travers le globe en 2014.
La Fondation chinoise pour la réduction de la pauvreté fait elle-même preuve d’innovation. D’une part, nous exploitons amplement les progrès technologiques, notamment l’Internet mobile qui permet d’établir une plate-forme caritative accessible à tous, par le biais d’appels aux dons en ligne et d’une coopération avec Alipay (principale solution de paiement en ligne chinoise). D’autre part, nous mettons en application de nouvelles méthodes en nous inspirant des phénomènes populaires à l’étranger. Cela passe par l’organisation d’activités telles qu’une course solidaire ou un jeûne de 24 h.
Le 16 août 2016, dans le bourg de Matou de la province du Shandong, un formateur montre aux habitants la création de pages de vente en ligne de produits.
Vous avez évoqué l'Ice Bucket Challenge parmi les nouvelles formes de bienfaisance. Celles-ci ne soulèvent-elles pas des controverses les accusant d'être superficielles, du pur « spectacle » ?
Liu Wenkui : Cette méthode du défi permet d’aborder avec plus de légèreté un sujet grave et d’ancrer dans le quotidien des participants un thème qui leur semblait étranger. Un grand nombre d’individus et de groupes sont inscrits en tant que bénévoles en Chine. En outre, certains programmes caritatifs témoignent de l’intérêt croissant que porte la société aux causes philanthropiques. Traditionnellement, l’action caritative apparaissait comme un concept distant aux yeux des gens ordinaires, un domaine dans lequel seules les célébrités pouvaient s’investir. Mais désormais, les nouvelles formes de bienfaisance mettent en évidence qu’un petit effort, à la portée de tous, peut servir à aider son prochain.
Avec les récents progrès scientifiques et technologiques, Internet + est en train de bousculer les lignes dans tous les domaines. Alors, quelles opportunités s'ouvrent pour les ONG en matière de lutte contre la pauvreté ?
Liu Wenkui : Les technologies Internet sans cesse optimisées offrent plus de possibilités dans le combat contre la pauvreté et permettent de nouvelles approches. Parmi elles, on peut citer l’idée de relier les régions rurales au réseau Internet, de façon à ce qu’elles s’engagent dans la voie express du développement économique. Dans ces régions pauvres, les agriculteurs, après les phases de production et de transformation de leurs produits, se retrouvent confrontés à leur plus gros problème à l’heure de la vente : leur manque de compétitivité, en raison du coût du transport élevé et de leur expérience insuffisantedu marché. Aujourd’hui, ces problèmes peuvent être résolus par la conversion à l’e-commerce. Il s’agit d’une nouvelle source d’enrichissement pour les agriculteurs et d’une nouvelle opportunité dans la lutte contre la pauvreté.
La Fondation chinoise pour la réduction de la pauvreté a mené de nombreuses expériences à cet égard. Au mois de mars 2016, la vente de fruits par Internet a apporté des revenus non négligeables aux agriculteurs de Ya’an (province du Sichuan), ville en pleine reconstruction suite au terrible séisme de 2013. Sous l’impulsion de l’e-commerce et d’une campagne de promotion, 50 000 kg de mandarines cueillies à Ya’an ont pu être vendues en seulement trois heures. C’était le premier produit distribué sous le label Shanpingongshe (littéralement « commune des produits de qualité supérieure »), une marque créée en 2015 par notre Fondation. Voilà l’exemple même d’une ONG qui a réussi, par l’intermédiaire d’Internet, à mettre en place un nouveau modèle de lutte contre la pauvreté.
Aujourd'hui, certaines plates-formes d'e-commerce affirmant lutter contre la pauvreté restent superficielles, sans contenu substantiel. Quel est votre avis à ce propos ?
Liu Wenkui : Parmi ses fonctions essentielles, l’e-commerce permet l’ouverture d’un canal de vente en ligne qui n’est limité ni dans le temps ni dans l’espace. Ces dernières années, le gouvernement et un certain nombre d’entreprises responsables ont beaucoup investi dans les infrastructures Internet au profit des régions rurales, jetant des bases au commerce électronique des produits agricoles. Cependant, trois obstacles entravent encore l’alliance entre les paysans et Internet : la quantité trop infime de produits disponibles à la vente en raison de l’économie paysanne ; la qualité encore douteuse face au manque de contrôles efficaces ; et la médiocre image des produits agricoles existant depuis toujours. Les agriculteurs auront du mal à bénéficier des possibilités de l’e-commerce si ces trois obstacles ne sont pas surmontés.
Pourriez-vous nous expliquer en détail le mode opératoire que suit la Fondation chinoise pour la réduction de la pauvreté en vue d'éliminer ces trois goulots d'étranglement ?
Liu Wenkui : Comme je viens de le préciser, le premier concerne l’efficacité de la production. Les exploitations agricoles familiales ne peuvent répondre individuellement à la vaste demande en ligne. Par ailleurs, dans le mode de production traditionnel, il est fréquent qu’une même personne porte plusieurs casquettes : à la fois producteur, technicien et vendeur. N’adoptant pas le principe de division du travail, le rendement dans les campagnes reste faible. Pour résoudre ce problème, notre Fondation a mis en place dans les régions rurales des coopératives, chacune étant divisée en plusieurs groupes de spécialisation, pour réaliser une production collective.
Le deuxième problème fait référence à la qualité des produits agricoles, un obstacle relativement important dans la sphère de l’e-commerce. Dans le mécanisme traditionnel de fixation des prix sur le marché, le coût augmente graduellement à chaque intermédiaire intervenant entre la vente en gros et la vente au détail, ce qui oblige les agriculteurs à céder leurs produits à des tarifs très bas et à en tirer un revenu tout aussi bas. Dans ce contexte, des paysans ont recours à toutes sortes de manœuvres pour tenter de gagner plus d’argent. Par exemple, ils utilisent des pesticides et herbicides pour économiser les coûts de main-d’œuvre, ou encore épandent des engrais et des agents d’expansion pour faire croître le rendement. Un prix plus bas, une qualité plus faible ; une qualité encore plus faible, donc un prix encore plus bas… La sécurité alimentaire entre à ce moment-là dans un cercle vicieux. Pour enrayer ce phénomène, nous avons fixé des normes de qualité uniformes et y appliquons des contrôles stricts. Nous avons également mis en place un dispositif de traçabilité qui engage la responsabilité du producteur : nous indiquons le nom de ce dernier sur chaque panier de fruits proposé à la vente. De plus, nous coopérons avec un organisme d’inspection international siégeant au Royaume-Uni, lequel vérifie la conformité des produits sur la base de 156 indicateurs techniques. Si un produit ne satisfait pas à l’un de ces critères, c’est tout le groupe de production auquel appartient le producteur fautif qui est retiré du système ; si, dans une même coopérative, plus de trois groupes de production posent problème, c’est alors toute la coopérative qui est exclue. Ce mécanisme, qui lie étroitement les intérêts des uns et des autres, est garant de la qualité des produits.
Le troisième problème repose sur l’image de marque, qui fait défaut. Les agriculteurs peineront à vendre leurs produits, même excellents, à un prix convenable si ceux-ci ne se distinguent pas aux yeux des consommateurs. Grâce au contrôle de qualité que nous avons établi, la Fondation chinoise pour la réduction de la pauvreté offre aux agriculteurs l’opportunité de faire homologuer leurs produits. Distribués sous le label Shanpingongshe, ces produits acquerront plus facilement la reconnaissance du marché.
DURABLE
Un tel mécanisme de marché, ciblant l'objectif fondamental de véritablement profiter aux agriculteurs, est non seulement sain mais aussi durable.
Quelle synthèse dressez-vous des expériences menées pour la réduction de la pauvreté par le biais de l'e-commerce ?
Liu Wenkui : Le développement de l’ecommerce a abaissé le prix de revient des produits agricoles traditionnels dans de nombreux chaînons, comme la production et la vente, ce qui a permis aux agriculteurs de dégager davantage de bénéfices. Un tel mécanisme de marché, ciblant l’objectif fondamental de véritablement profiter aux agriculteurs, est non seulement sain mais aussi durable.
*WEI BO est journaliste pour China.org.cn.