JOHN ROSS*
L'énergie solaire : le futur de l'industrie chinoise
JOHN ROSS*
Une paysanne s'occupe des légumes en serre à Pudong, dans la ville de Jimo de la province du Shandong.
En 1950, il n’y avait au monde que 10 pays qui publiaient un PIB par habitant inférieur à celui de la Chine. C’est donc bien une réussite extraordinaire pour ce pays d’avoir atteint, en 2015, le statut de pays à revenu moyen-supérieur selon les standards de la Banque mondiale, avec un PIB par habitant supérieur à la valeur médiane mondiale. Comme il ressort du graphique n°1, la Chine s’est rapprochée à grands pas des États-Unis, le pays le plus développé au monde.
Malgré tous ces succès, le PIB chinois par habitant ne représentait, en 2015, que 14 % de celui des États-Unis à taux de change courant, et, ce qui est plus parlant pour les comparaisons à long terme, 25 % à parité de pouvoir d’achat (PPP). Ce fossé entre les PIB par habitant signifie que la productivité chinoise moyenne correspond environ à un sixième de celle des États-Unis à taux de change courant et un quart à parité de pouvoir d’achat. La tâche majeure qui attend la Chine pour plusieurs décennies à venir sera donc d’accroître sa productivité afin de se rapprocher du niveau de PIB par habitant des pays économiquement les plus avancés.
La nécessité de réduire l’écart de productivité qui la sépare des pays les plus avancés affecte particulièrement les secteurs économiques clés de la Chine. L’un des traits marquants que l’on note dans les pays industrialisés est que la productivité industrielle s’y accroît plus rapidement que la productivité dans les activités non manufacturières. Cela signifie en pratique que la productivité des usines et des centres de production croît plus vite que celle des entreprises de services, et la combinaison de ces deux secteurs représente l’immense majorité de la production dans un pays moderne.
Si l’on prend l’exemple des États-Unis,le pays à l’économie la plus avancée, on constate sur le graphique no2 que, sur l’ensemble de la période qui démarre en 1990 et que l’on a souvent surnommée « la période de la révolution Internet », l’accroissement de la productivité manufacturière américaine est bien plus importante que dans le secteur non manufacturier. Comme le secteur non agricole inclut l’industrie manufacturière avec une croissance de la productivité supérieure à la moyenne, la croissance de la productivité dans le secteur non manufacturier est même plus faible que l’ensemble de l’économie non agricole. On peut d’autre part observer que, même dans la période de faible croissance qui a suivi la crise financière internationale à partir de 2007, le taux de croissance de la productivité industrielle américaine était près d’une fois et demie supérieur à celui du secteur non manufacturier, alors que sur la période de croissance plus soutenue, entre 1990 et 2007, la différence de taux était presque double.
Calculs faits à partir des Indicateurs du développement dans le monde fournis par la Banque mondiale
Le fait que l’accroissement de la productivité est sensiblement plus rapide dans le domaine industriel que dans celui des services, alors que l’objectif principal de la Chine est d’accroître sa productivité et se rapprocher de celle des pays développés, signifie que le secteur décisif pour la Chine est celui de l’industrie. McKinsey Global Institute, par exemple, s’appuyant sur des données internationales, a calculé le potentiel de croissance des différents secteurs en Chine, et les résultats sont repris dans le tableau ci-joint. Le potentiel le plus élevé de gains en productivité annuelle, avec 8 %, réside dans la recherche-développement de produits manufacturés. Ce secteur est suivi par celui des produits à forte intensité de capital, avec 6 %, et celui des biens de consommation, avec 5 %. Par comparaison, les services nonfinanciers ne présentent qu’un potentiel d’accroissement de 4 % et celui des services financiers, d’1 % seulement.
Dans ce contexte général, la Chine possède plusieurs secteurs clés qui concentrent un fort potentiel de recherche-développement industriel. Parmi ceux-ci, celui des énergies renouvelables est crucial, tant en raison de la nécessité de lutter contre le changement climatique qu’en raison d’une combinaison de facteurs nationaux et internationaux.
Le contexte national fait que la production électrique chinoise reste très loin derrière celle des pays les plus avancés. La production électrique chinoise par habitant ne représente que 31 % du niveau atteint par les États-Unis, contre 56 % pour l’Allemagne, 62 % pour le Japon et 76 % pour la Corée du Sud. Alors que l’énergie est nécessaire au fonctionnement de l’économie dans son ensemble, la Chine ne peut pas se rapprocher des niveaux de productivité les plus élevés sans un accroissement colossal de sa production d’énergie.
Cependant, même si la production énergétique chinoise reste modeste en mesure par habitant, elle est d’ores et déjà la plus importante au monde en termes absolus, et supérieure de 30 % à celle des États-Unis. Mais pour arriver au niveau américain par habitant, la Chine devra tripler sa production. On comprend par conséquent que la Chine devra encore travailler pendant des décennies à accroître sa production énergétique pour alimenter un marché national qui fait ressembler à des nains tous les autres marchés.
Les responsables politiques chinois en sont parfaitement conscients, la structure actuelle de la production énergétique du pays est très dommageable d’un point de vue environnemental. En 2013, la plus récente pour laquelle la Banque mondiale fournit des données comparables au plan international, 75 % de l’électricité produite en Chine provenait de centrales à charbon, contre 47 % en Allemagne, 40 % aux États-Unis et 32 % au Japon. Même en employant des méthodes modernes et coûteuses pour traiter le charbon et sa combustion, la forte dépendance de la Chine aux énergies basées sur le charbon pose un problème environnemental immense.
Si l’on considère les sources d’énergie alternatives, on peut constater que la Chine possède un avantage dans l’approvisionnement en énergie hydraulique, qui représente déjà 17 % de l’électricité produite, à comparer avec 4 % en Allemagne, 6 % aux États-Unis ou 8 % au Japon. En revanche, la production électrique s’appuyant sur d’autres sources renouvelables reste inférieure en Chine à ce qu’elle est dans les pays les plus avancés. En 2012, la dernière année pour laquelle la Banque mondiale fournit des données comparables, la Chine produisait seulement 2,7 % de son électricité à partir de sources renouvelableshors hydroélectricité. Un chiffre qui s’élève à 4,6 % au Japon, 5,5 % aux États-Unis et 19,5 % en Allemagne. Cela alors que la Chine est, et de loin, le premier pays producteur de panneaux solaires.
La tendance mondiale est à l’accroissement de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique grâce à la baisse de leur coût, en particulier de l’énergie photovoltaïque. En juin 2016, Bloomberg Technology relevait les projections suivantes de l’Agence internationale des énergies renouvelables : « Les prévisions suggèrent que la baisse du coût moyen de l’électricité issue d’un système photovoltaïque pourrait aller jusqu’à 59 % d’ici à 2025. » Par conséquent, « le volume d’électricité produite par des panneaux solaires pourrait être multiplié par six d’ici à 2030 grâce à la baisse du coût de production qui deviendrait avantageux par rapport à celui du gaz naturel ou de l’électricité issue du charbon… Des usines solaires employant la technologie photovoltaïque pourraient représenter entre 8 et 13 % de l’électricité produite au niveau mondial vers 2030, contre 1,2 % à la fin de l’année dernière. » Les calculs de Bloomberg New Energy Finance arrivent en gros à la même prévision, à savoir que « la croissance de la production photovoltaïque atteindrait 15 % de la production électrique totale vers 2040 ».
La Chine est depuis 2009 le premier pays producteur de panneaux solaires. Liang Zhipeng, directeur adjoint de la Division des énergies renouvelables de l’Administration nationale de l’énergie, estime qu’en 2015 la Chine produisait 70 % des panneaux solaires fabriqués dans le monde, soit une puissance cumulée de 43 gigawatts.
Entre 2011 et 2015, les capacités de production d'électricité solaire installées en Chine ont presque été multipliées par 13. En 2015, la Chine possédait plus d'un quart des installations solaires mondiales.
Tableau
Grâce à l’innovation technique continue dont bénéficient les technologies solaires et aux progrès majeurs observés dans le ratio puissance/prix, la capacité de recherche-développement s’avère un facteur décisif. La Chine est d’ores et déjà leader dans ce domaine puisqu’elle possède, en plus de ses unités de production à grande échelle, une force de R&D académique concentrée sur les énergies renouvelables unique au monde. KIC InnoEnergy, créé par l’Institut européen de l’Innovation et de la Technologie pour soutenir l’innovation en Europe, a reconnu à l’Académie des sciences de Chine, la première place mondiale parmi les centres académiques de recherche sur les énergies durables : « Les institutions de recherche chinoises sont loin devant leurs homologues européens ou américains dans le domaine de l’innovation dans les énergies renouvelables, qu’il s’agisse de l’éolien, de l’énergie océanique, du solaire, ou encore des réseaux intelligents et des bâtiments intelligents. » D’après ce rapport, 9 des 15 meilleurs instituts de recherche au monde dans ce domaine se trouvent en Chine.
Il reste un maillon faible, qui est le transfert de ces technologies de laboratoire vers des entreprises de production, mais Diego Pavia, chef de KIC InnoEnergy, note : « Les chercheurs chinois nous ont déclaré : ‘‘nous avons appris autant que nous pouvions en Europe, maintenant nous devons prendre le relais et créer l’innovation.’’ S’ils ont décidé de le faire, il n’y a aucun doute qu’ils le feront. »
L’immensité de son marché de l’énergie solaire donne à la Chine un avantage décisif dans ce secteur. Entre 2011 et 2015, les capacités de production d’électricité solaire installées en Chine ont presque été multipliées par 13. En 2015, la Chine possédait plus d’un quart des installations solaires mondiales. Avec une capacité installée totale de 43,2 gigawatts d’énergie solaire, la Chine a coiffé sur le poteau l’Allemagne qui était jusque là le pays leader de l’énergie solaire.
Et ce marché va continuer de croître rapidement. La stratégie chinoise consiste à tripler cette capacité d’ici à 2020 en ajoutant 15 à 20 gigawatts de panneaux photovoltaïques par an pendant ces cinq prochaines années.
Le développement des énergies renouvelables, parmi lesquelles l’énergie solaire occupe une place centrale, sera décisif dans la lutte contre le changement climatique. Mais il s’agit également d’une opportunité économique majeure qui se nourrit d’un marché mondial en expansion rapide, qui bénéficie du marché domestique le plus important au monde, d’un volume de production inégalé et d’une base de R&D reconnue et bien établie : l’énergie solaire est précisément le type de production industrielle basée sur l’innovation qui représente l’avenir économique de la Chine.
*JOHN ROSS est chercheur à l'Institut d'étude financière Chongyang relevant de l'université Renmin à Beijing. Il a été responsable de la politique économique et commerciale au sein de l'Administration du maire Ken Livingstone à Londres.