Par BRUNO GUIGUE
Des étudiants de chinois présentent un spectacle folklorique traditionnel en chinois lors de Journée internationale de la langue chinoise au Centre culturel de Chine à Paris,le 21 avril 2022.
Au XVIesiècle,le philosophe Montaigne évoquait dans sesEssaisce 《Royaume dont le gouvernement et les arts,sans fréquentation et sans connaissance des nôtres,surpassent nos exemples en plusieurs parties d’excellence,et dont l’histoire m’apprend combien le monde est plus ample et plus divers que ni les anciens ni nous ne pénétrons》.Tout en faisant l’éloge de la Chine,l’auteur reconnaissait ainsi la diversité du monde et la singularité de chaque nation.Chaque fois qu’elles ont été éclairées par ces principes,les relations francochinoises ont connu une embellie significative.Dans la période contemporaine,l’acte fondateur de ces relations est la reconnaissance officielle de la République populaire de Chine par le général De Gaulle le 27 janvier 1964.Aucun État occidental n’avait osé franchir ce pas.Avec De Gaulle,la France est allée nettement plus loin en offrant à la Chine la reconnaissance qu’elle méritait,rompant la logique des blocs héritée de la Guerre froide.
La France aurait aujourd’hui tout intérêt à poursuivre une telle politique.Lors des entretiens entre le président Xi Jinping et le président Emmanuel Macron à Bali à l’occasion de la réunion du G20,le président chinois a souligné que les relations sino-françaises avaient maintenu une bonne dynamique de développement et que les coopérations majeures entre les deux pays avaient enregistré des progrès encourageants au cours des trois dernières années.Pour l’avenir,il a remarqué qu’au moment où le monde entre dans une nouvelle période de turbulences et de transformations,la Chine,la France et l’Europe,forces majeures dans un monde multipolaire,doivent poursuivre l’esprit d’indépendance,d’ouverture et de coopération et travailler à assurer un développement solide et pérenne de leurs relations sur la bonne voie et à apporter de la stabilité et des énergies positives au monde.Selon M.Xi,la Chine offrira de nouvelles opportunités à la France et aux autres pays du monde parce qu’elle est déterminée à promouvoir son ouverture de haut niveau et à faire avancer la modernisation chinoise.Mais pour y parvenir,il convient de se respecter mutuellement quant aux intérêts vitaux et aux préoccupations majeures de part et d’autre,d’approfondir la coopération concrète,de faire progresser sans cesse la coopération dans les domaines traditionnels et d’explorer activement les possibilités de coopération dans les secteurs comme les énergies vertes et l’innovation scientifique et technologique.
De son côté,le président Macron a rappelé l’engagement commun de la France et de la Chine à promouvoir la paix,le développement et la prospérité économique dans le monde,et salué la voie chinoise de la modernisation.Il a réaffirmé que la France poursuivait une diplomatie indépendante et s’opposait à la confrontation des blocs,exprimant le souhait de la France de travailler avec la Chine,dans un contexte international instable,à intensifier les échanges et le dialogue de haut niveau et à approfondir la coopération notamment dans les domaines économique,commercial,aéronautique et nucléaire civil dans un esprit de respect mutuel et de bénéfice mutuel.
De telles déclarations sont de bon augure pour la poursuite de cette coopération dans les prochaines années.Sur le plan économique,les échanges entre les deux pays ont désormais atteint un niveau très élevé.La Chine est le septième client de la France,avec une part de marché des entreprises françaises en Chine de 1,5 %.Elle est son deuxième fournisseur,avec une part de marché chinoise en France de 9 %.En outre,le déficit commercial français à l’égard de la Chine n’est qu’un aspect de leurs relations économiques.La présence française en Chine,en effet,est très importante.Avec 21 milliards d’euros d’investissements directs étrangers en stock en 2019,elle concerne l’agroalimentaire,la fabrication,les transports,le développement urbain,la grande distribution et les services financiers.Plus de 2 000 entreprises françaises sont présentes en Chine,fournissant 480 000 emplois.
Le Pavillon de la France,pays invité à la 2e Exposition internationale des biens de consommation de Chine,ouvre officiellement,le 26 juillet 2022.
À l’inverse,les investissements chinois en France ont connu une forte croissance ces dernières années,mais demeurent relativement modestes avec 3,3 milliards d’euros en stock en 2019.On compte en France 800 filiales d’entreprises chinoises,employant 30 000 personnes.Compte tenu du poids relatif du PIB des deux pays,les investissements français en Chine sont nettement plus importants que les investissements chinois en France.Pour comprendre le partenariat économique franco-chinois,il faut donc tenir compte de ses différentes facettes.La dimension technologique de ces échanges revêt également une grande importance,car les deux pays ont noué des coopérations industrielles structurantes,notamment dans le nucléaire civil et l’aéronautique.Leur élargissement à de nouveaux secteurs comme le développement durable,la santé publique ou l’économie du vieillissement est à l’ordre du jour.
Les coopérations éducatives,culturelles et scientifiques constituent un axe majeur des relations franco-chinoises.Dans le domaine uni—versitaire,37 000 étudiants chinois effectuaient une mobilité étudiante en France en 2019 (le deuxième contingent d’étudiants étrangers) pour plus de 10 000 étudiants français en Chine (le premier contingent européen).
Une spectatrice étrangère essaye de jouer du erhu lors d’une activité de l’Orchestre chinois de Shanghai,à la Salle de concert de Shanghai,le 25 août 2022.
Les acquis de la coopération sino-française sont considérables.La présence significative des entreprises françaises en Chine atteste du sérieux des relations bilatérales et de l’importance accordée par la France à ses relations avec la République populaire de Chine.Mais pour consolider durablement ces acquis et pour approfondir un partenariat qui a fait ses preuves,la France doit maintenir le cap de sa souveraineté stratégique fixé par le général De Gaulle en 1964.Elle doit suivre sa propre ligne de conduite et résister aux influences extérieures.Sur le plan européen,il lui faut prendre la tête d’une diplomatie nonalignée et cesser de suivre un courant dominant influencé par Washington.De ce point de vue,la position adoptée par l’Union européenne en mars 2019 est regrettable.En déclarant que la Chine est 《un partenaire,un concurrent et un rival systémique》,Bruxelles a usé d’une formule maladroite.Que la Chine soit un partenaire pour l’Europe est une évidence,qu’elle soit un concurrent est également vrai,car la mondialisation des échanges attise la compétition économique.Mais pourquoi qualifier la Chine de 《rival systémique》,comme si elle voulait déstabiliser ses partenaires et imposer sa vision des relations internationales ?
Si la France veut approfondir les relations constructives qu’elle a su nouer avec la Chine et consolider les acquis de soixante années de coopération,il suffit qu’elle redevienne elle-même.Sa véritable vocation,et avec elle celle de toute l’Europe,c’est d’être un espace d’échange et de coopération avec la Chine.Elle doit renouer avec l’état d’esprit de Montaigne admirant la diversité du monde et la singularité chinoise.Elle doit apprendre à connaître la Chine en profondeur.Enfin,elle doit poursuivre la politique initiée par le général De Gaulle en 1964 et retrouver un rôle moteur dans le dialogue fructueux avec la République populaire de Chine.