Sous les Tang, la société était accomplie, fabuleuse, parfois extravagante, toujours ouverte et ambitieuse. Les femmes – dont certaines hautement placées – ont contribué de manière importante à cette prospérité.
Si l’histoire a quelque peu ignoré ces femmes, la découverte d’objets anciens et de faits historiques nous aident à mieux comprendre leur rôle dans cette époque fascinante, où pour la seule fois dans l’histoire de la Chine, le pays a été dirigé par une impératrice régnante.
Parmi ces dames légendaires, Yang Guif ei (719-756), aussi appelée concubine Yang, à qui ont été consacrés d’innombrables récits, poèmes, pièces de théâtre et peintures. Favorite de l’empereur Xuanzong (685-762), son charme a tellement envoûté ce dernier qu’il a délaissé son devoir et entraîné l’empire au bord du déclin.
Yang Yuhuan de son vrai nom – Guifei était son titre –, issue d’une famille de hauts fonctionnaires, avait d’abord épousé l’un des fils de Xuanzong. Mais le souverain sexagénaire est tombé amoureux d’elle et a forcé le prince à s’en séparer.
La concubine a vite monopolisé la faveur de l’empereur. Grâce à son influence, deux de ses sœurs seront admises dans le harem impérial et son cousin sera promu premier ministre. Elle a contribué à l’ascension d’un général ambitieux, An Lushan, qu’elle adoptera comme fils, ou plutôt comme… amant, disait-on.
Avec le soutien de Dame Yang, An Lushan a obtenu le contrôle total d’une armée de 200 000 hommes, qu’il retournera contre l’empereur, le forçant à évacuer la capitale. En pleine fuite, les soldats de l’empereur se sont soulevés contre Yang Guifei et, lui attribuant l’humiliation de l’empereur, l’ont exécutée.
On dit que Yang Guifei a renversé les critères de beauté féminine, qui favorisaient antérieurement les femmes minces. Les tableaux de l’époque montrent que le courant esthétique des Tang privilégiait plutôt les proportions naturelles du corps. Une belle femme devait avoir de la rondeur.
Les peintures nous apprennent aussi la façon dont les femmes se maquillaient. Par exemple, la série de tableaux Belles dames aux épingles à cheveux représente une pratique en vogue : il s’agissait d’enlever ses sourcils et de les repeindre sous forme d’une grosse feuille. De plus, ces images montrent comment les femmes décoraient leurs cheveux et visages avec des fleurs, des motifs et des objets de toutes formes : écaille de poisson, plume, coquille, en or ou en argent. On appelait ce style « Hua Dian ».
On raconte que Wu Zetian (624-705), l’unique impératrice régnante dans l’histoire de la Chine, a été un jour très vexée par sa première conseillère, Shangguan Wan’er, et pour la punir, elle a fait tatouer un point rouge sur son front. Pour couvrir cette marque d’humiliation, Shangguan Wan’er a peint une petite fleur par-dessus. Ainsi serait née cette mode…
L’impératrice était elle-même une grande spécialiste des techniques d’embellissement. Les écrits historiques évoquent son apparence jeune, même dans ses dernières années. Son secret aurait été la « poudre d’immortelle », produit dont elle aurait élaboré la recette. Celle-ci comprenait des feuilles d’agripaume cueillies le 5ejour de la 5elune, de la farine, de l’eau et des cadavres séchés de cochenilles.
Situées à un point stratégique le long de la Route de la Soie, les grottes de Mogao, dans la province du Gansu (nord-ouest de la Chine), étaient un carrefour entre l’Occident et l’Orient : les caravanes, les religions et courants intellectuels venant du monde entier s’y rencontraient. Les 492 grottes sont célèbres pour leurs statues et peintures murales. Le site est inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Parmi ces grottes, celle appelée « bibliothèque », est probablement la plus connue. Y sont conservés plusieurs dizaines de milliers de manuscrits et de reliques qui nous éclairent sur l’histoire de la Chine et de l’Asie centrale.
L’un des documents les plus étonnants est intitulé Accord pour laisser partir la femme. Selon ce texte, « la raison pour laquelle un homme et une femme sont devenus mari et femme est que ces deux personnes se sont attachées l’une à l’autre. Si leur mariage ne marche pas, ils sont en conflit. Ne se comprenant plus bien, comment pourraientils continuer à s’aimer ? Il vaut mieux que chacun retourne vivre de son côté. »
L’accord de divorce était en général composé de trois parties, selon un modèle officiel. Dans la première partie, le couple est exhorté à chérir leur union. La deuxième explique ce qui ne va pas dans le mariage. Dans la troisième, on souhaite aux anciens époux de trouver un meilleur partenaire. Le document se termine en énonçant les arrangements décidés.
Le mari ne pouvait pas divorcer arbitrairement, sous peine de déshonorer sa famille. Certains accords de divorce lui interdisaient de harceler son ex-femme ou de l’inquiéter.La dynastie des Tang est souvent citée comme une époque bienveillante pour les femmes. Certaines occupaient de hautes positions et jouissaient de la liberté. Mais on considérait encore qu’elles étaient subordonnées au « sexe fort ».
Un bon mariage était moins une union d’amour qu’une affaire arrangée, en fonction de ce qu’il apportait aux deux familles en termes de richesse et de position sociale. L’homme pouvait se marier à 14 ans, la femme à 12.
Le Code pénal décrétait que la femme était secondaire à l’homme. En cas de crime, elle était moins lourdement punie, surtout lorsque son mari était impliqué : on considérait qu’elle lui avait obéi.
Le code contenait des clauses exhaustives au sujet du mariage. Il énonçait les « Sept vertus » pour le « sexe faible ». La première était la docilité et l’humilité envers son mari et tous les membres masculins de la famille, y compris son fils. La deuxième vertu consistait à respecter son mari et à lui obéir. La troisième vertu exigeait du mari la force et de son épouse la douceur. La quatrième vertu donnait des stipulations concrètes qui régissaient la conduite de la femme en termes de moralité, de parole, d’apparence physique et de tâches ménagères. La cinquième vertu demandait aux femmes de se dévouer à leur époux jusqu’à la mort. Un homme, par contre, pouvait se remarier après la disparition de son épouse, surtout si cela permettait de sauvegarder l’avenir de la famille. Sixième vertu : une femme devait réprimer sa propre volonté afin de se soumettre aux désirs des autres, spécialement pour obtenir la faveur de son mari et de ses beaux-parents. Enfin, selon la septième vertu, une femme devait entretenir des relations cordiales avec sa belle-famille.
Le code de mariage citait sept défauts de la femme éligibles au divorce : manquer de piété filiale envers ses beaux-parents, ne pas engendrer de fils, adultère, jalousie, maladie maligne, bavardage intempestif et vol.
Les femmes des Tang vivaient sous le poids de critères moraux exigeants, mais ces carcans n’ont pas empêché certaines d’entre elles de devenir poètes ou politiciennes, de danser, de monter à cheval ou encore de jouer au polo…