Par DENG DI, membre de la rédaction
Jolie, douce et toujours souriante : c’est ainsi qu’est décrite Wang Wanna par ses connaissances. Sur scène, la jeune femme de 27 ans navigue entre des looks et des personnalités totalement différents. En tant qu’actrice d’opéra Yueju, elle joue des rôles masculins. Ce genre d’opéra, à qui elle a consacré la moitié de sa vie, fait désormais partie d’elle-même.
En Chine, le Yueju est le style d’opéra le plus populaire après l’opéra de Pékin. Il puise dans les contes de fées, les classiques littéraires et les récits historiques. Aux yeux de Mlle Wang, ces histoires sont aussi des réalités devenues surréelles. Debout sur scène, elle verse son âme dans son art et ajoute également ses propres rêves et émotions aux personnages qu’elle interprète.
Mlle Wang s’est inscrite à un programme d’apprentissage de l’opéra Yueju il y a quinze ans. Elle a été formée à jouer des rôles de jeunes hommes depuis le tout début. Costumée et maquillée, elle est splendide,et sa voix porte.
Il y a cinq ans, après avoir été diplômée de l’Académie de théâtre de Shanghai, la jeune femme s’est immédiatement fait connaître dans le milieu de l’opéra Yueju et est maintenant devenue une actrice incontournable du Théâtre d’opéra Yueju de Shanghai.
Mlle Wang est née et a grandi à Ningbo, dans la province du Zhejiang(est de la Chine). Elle aime chanter et danser depuis son enfance. Elle a découvert l’opéra Yueju par hasard quand elle était en primaire. Un jour,un de ses professeurs lui a montré l’affiche d’une école secondaire d’opéra Yueju, et elle s’est inscrite à l’examen d’entrée. Elle se souvient d’avoir récité le célèbre poème de la dynastie des TangPensées d’une nuit calme, de Li Bai, puis d’avoir interprété l’Hymne des jeunes pionniers de Chinelors de la sélection. Aujourd’hui encore, elle a en mémoire ce qu’un examinateur a dit : « Elle a des yeux qui peuvent parler. »
Soutenue par ses parents, Mlle Wang a quitté sa maison à 13 ans pour intégrer un pensionnat à Shanghai et apprendre l’opéra Yueju. Elle reconnaît en toute franchise qu’elle n’a pas compris ce qu’était véritablement l’opéra Yueju avant la deuxième année, lorsqu’elle a assisté à une répétition deLa Chambre de l’Ouest(un classique chinois) avec Qian Huili et Fang Yafen. Elle a été profondément touchée à la fois par l’histoire et par la performance élégante des actrices.C’est à ce moment qu’elle est tombée amoureuse de cet art auquel elle allait désormais se consacrer.
Dans son école de Yueju, les élèves se levaient à 6h45 pour pratiquer les exercices de base. Tous, sauf Mlle Wang, qui se levait plus tôt et était toujours la dernière à partir, en fin de journée ! Aujourd’hui encore, elle se souvient du vent hivernal et de ses mains engourdies par le froid. Mais à l’époque, elle n’avait qu’une pensée en tête : commencer tôt lui permettrait de ne pas prendre de retard.
Wang Wanna
L’adolescente et ses camarades de classe ont été le premier groupe d’élèves inscrits à cette école. Comme prévu, après six années d’études,ils ont participé à l’examen d’entrée dans le supérieur à l’instar des élèves d’autres établissements. La moitié d’entre eux ont été acceptés à l’Académie de théâtre de Shanghai pour continuer leur apprentissage de l’opéra Yueju. Mlle Wang fait partie de ceux qui ont franchi cette étape supplémentaire. Au souvenir de son adolescence passée loin de chez elle,elle rit et explique que chaque fois qu’elle était stressée, elle trouvait un endroit calme et pleurait ouvertement. Mais elle se disait qu’elle avait encore un long chemin à parcourir pour devenir une vraie artiste et que les larmes ne servent à rien.
Mlle Wang a saisi les nombreuses opportunités qui se sont présentées à elle. En avril 2018, elle a reçu le Prix d’interprétation dans la catégorie espoir dramatique des Magnolia Awards, pour son rôle de la jurée n°8 dans sa pièce de fin d’études,Douze Rôles. L’année suivante, elle a été acceptée dans le programme d’accompagnement des jeunes auteurs et artistes de Shanghai. Grâce à son talent et à son assiduité, elle s’est lancée dans une voie prometteuse.
Le Yueju est un opéra local originaire du Zhejiang. Il a été créé à Shengxian, l’actuelle ville-district de Shengzhou, dans cette province. Le nom Yueju renvoie d’ailleurs à cette origine : Yue fait référence à l’État de Yue, qui se situait dans l’Antiquité sur le territoire de l’actuelle province du Zhejiang. Ju signifie « théâtre,opéra ». Le Yueju est réputé comme« l’opéra local le plus répandu en Chine ». Les enfants de Shanghai et des provinces voisines du Jiangsu et du Zhejiang sont préférés lorsqu’il s’agit de former la relève, car cet opéra est chanté dans des dialectes locaux, dont les nuances sont difficiles à maîtriser pour les jeunes des autres régions du pays.
Lorsque Mlle Wang s’est inscrite à l’école d’opéra Yueju, son professeur lui a conseillé de travailler sur des rôles de jeunes hommes, ce qu’elle a fait. Selon elle, les rôles masculins dans le Yueju diffèrent de ceux de l’opéra de Pékin : il n’est pas nécessaire d’atténuer la voix pour produire un son plus masculin, seuls quelques ajustements mineurs sont requis.L’opéra Yueju excelle dans l’expression des émotions à travers le chant.Il a développé un riche répertoire de récits d’amour tout au long de sa longue histoire, ainsi que des costumes et un maquillage élaborés. Ses airs et mélodies doux et délicats, ainsi que son style raffiné contribuent à créer un lien culturel fort entre les amateurs d’opéra chinois, en particulier les habitants de la région du delta du fleuve Yangtsé.
En plus de classiques commeLa Chambre de l’OuestetLeRêve dansle pavillon rouge, le Théâtre d’opéra Yueju de Shanghai a également essayé d’adapter certaines pièces classiques occidentales, telles queLa Douzième nuitetLeSonge d’une nuit d’étéde Shakespeare. Mais comment les interpréter à la manière de l’opéra Yueju ? C’est une question qui nécessite de la réflexion. Le traitement chinois de « l’amour » dans l’opéra traditionnel a tendance à être réservé et enjoué, tandis que l’amour dans les pièces de Shakespeare est connu pour sa passion et son audace.
Wang Wanna joue le rôle de Jia Baoyu.
Wang Wanna dans sa pièce de fin d’études Douze Rôles en mai 2017
Pendant les répétitions deLa Douzième nuit, des dramaturges, des professeurs de théâtre et des actrices se sont mis autour de la table pour en discuter, essayant de conserver autant que possible la manière simple d’exprimer l’amour de la pièce originale dans leur adaptation, passant en revue les moindres détails.LeSonge d’une nuit d’éténe compte à l’origine qu’un seul elfe, mais dans l’adaptation, il a été remplacé par une paire,symbole de chance dans l’opéra Yueju. En termes de forme dramatique, la version en opéra Yueju deDouze Rôles, pièce basée sur le classique américainDouze Hommes en colère, a également adopté une forme de « jeu dans le jeu » qui fait davantage réfléchir.
Mlle Wang, très curieuse, est fascinée par le processus d’exploration et d’innovation. Après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires,et avant de continuer sur la route de l’opéra Yueju dans le supérieur,elle a envisagé d’autres possibilités :peut-être pourrait-elle être devenir présentatrice de télévision ou actrice de séries ? Mais quand elle a pensé à tous les espoirs que ses professeurs d’opéra avaient placés en elle, elle n’a pu supporter l’idée de quitter la scène du Yueju.
Au cours de ses années universitaires, des professeurs et des actrices célèbres de l’opéra Yueju l’ont aidée à progresser rapidement. Après avoir décroché son diplôme, elle a eu la chance de jouer Jia Baoyu, le protagoniste duRêve dans le pavillon rouge, rôle qui l’a mise sous le feu des projecteurs.
Mlle Wang confie que tout ce qu’elle désire sur scène, c’est bien jouer son rôle : « Il se pourrait que parmi les personnes qui viennent au théâtre pour voir le spectacle,beaucoup soient là pour la première fois. La moindre erreur pourrait leur laisser une mauvaise impression de l’opéra Yueju. »
Aujourd’hui, alors que de plus en plus de jeunes prêtent attention à l’opéra Yueju, et considérant que le Théâtre d’opéra Yueju de Shanghai est désormais entièrement financé par l’État, Mlle Wang reconnaît qu’elle se trouve dans une bonne ère de développement culturel et a plus d’opportunités en tant qu’actrice de cet art.
Cependant, comparé à d’autres arts populaires tels que le théâtre moderne et les talk-shows, l’opéra Yueju n’est pas toujours très connu du grand public. Mlle Wang souligne que le prix d’un ticket d’opéra est élevé. Les costumes sont raffinés et la présence d’un groupe traditionnel est nécessaire pour jouer de la musique en direct, ce qui fait que les billets ne peuvent pas être vendus aussi bas que ceux de petites pièces de théâtre. Par ailleurs, en ce qui concerne la sélection et l’adaptation d’œuvres littéraires, l’opéra Yueju est assez limité en raison de son style de chant et d’interprétation unique, qui est lent et apaisant. À cet égard, les œuvres enracinées dans le réalisme ne conviennent pas à cet art.
En tant que jeunes interprètes de Yueju, Mlle Wang et ses collègues essaient d’attirer plus de personnes de leur âge grâce à de nouvelles formes de performance et de promotion.Ainsi, ils ont prévu d’organiser des représentations dans de petits théâtres pour abaisser le seuil permettant aux étudiants et aux jeunes employés de profiter d’un spectacle relaxant à un prix abordable et de s’imprégner du charme de la culture traditionnelle.
À l’heure actuelle, Mlle Wang et ses jeunes collègues se concentrent sur Bilibili.com. Ils comptent mettre en ligne des vidéos de présentation de l’opéra Yueju et apporter une nouvelle vitalité à cet art traditionnel grâce à la communication et à l’interaction avec les jeunes internautes.
« L’opéra Yueju est encore relativement jeune parmi les opéras traditionnels chinois. À présent, j’ai deux souhaits : j’espère en être une digne héritière et j’espère adopter une approche innovante dans ma carrière. En même temps, j’aspire également à trouver un moyen d’ouvrir une porte permettant au public de ma génération de tomber amoureux de l’opéra Yueju », affirme résolument Mlle Wang.