par LI XIAOYU
Un éminent spécialiste des études africaines cherche à interpréter l’histoire contemporaine du continent d’un point de vue chinois à travers son nouvel ouvrage
Avis aux férus d’histoire contemporaine africaine, il y a lieu de renouveler votre liste de références. Avec la publication deModern History of Africaen 2021, les intéressés auront dorénavant de quoi se plonger dans le parcours des peuples africains en quête d’indépendance et de renouveau de la nation, retracé à partir d’une perspective chinoise. Contenant plus d’un million de caractères, ce gros livre constitue l’un des ouvrages les plus importants de Li Anshan. Professeur émérite de l’Université de Pékin et président de l’Association chinoise de recherche sur l’histoire africaine, il s’agit de l’un des chercheurs les plus chevronnés dans le milieu des études africaines en Chine. À travers cet ouvrage, il veut également faire un résumé de son parcours professionnel d’une quarantaine d’années.
Aux yeux de M. Li, si l’Occident possède un grand avantage quant à l’élaboration des sciences humaines et sociales, il n’a pas forcément la supériorité théorique.Comme en témoigne l’ouvrageWhat Went Wrong with Africa(2004) de Roel van der Veen. L’ancien diplomate néerlandais s’interroge sur la raison pour laquelle l’Afrique n’a pas réussi à se développer comme le reste du monde. N’éprouvant aucune culpabilité vis-à-vis des impacts de la colonisation sur l’Afrique, l’auteur accuse néanmoins les structures socio-culturelles « incroyablement rigides » du continent d’avoir entravé son propre développement. En d’autres termes, la responsabilité du sous-développement de l’Afrique incombe entièrement à elle-même. Face à une telle perception basée sur l’eurocentrisme, M. Li a ressenti le besoin d’observer et d’analyser l’histoire africaine à partir d’une perspective chinoise. « Les chercheurs chinois sont responsables de retracer l’histoire humaine », avance-t-il.
Pour consulter la bibliographie de Li Anshan, scannezle code QR
DansModern History of Africa, la « perspective chinoise » se traduit notamment par un regard objectif porté sur le développement historique de l’Afrique et son rôle dans l’histoire de la civilisation mondiale.Comme le souligne le professeur Dong Zhenghua du Département d’histoire de l’Université de Pékin, « depuis longtemps, l’Afrique représente un terrain soit “perdu”soit “oublié” aux yeux des chercheurs occidentaux ayant voix au chapitre. Remédier à de telles erreurs constitue le but essentiel de ce chef-d’œuvre ».
À cet effet, M. Li jongle avec dextérité entre théorie et pratique, passé et présent, acquis et défiances,contraintes internes et interférences externes, tout en prenant en compte les facteurs politiques, économiques,culturels et ethniques, entre autres. Ce faisant, il espère que les lecteurs pourront appréhender l’Afrique de manière plus globale et prêter davantage attention à ses aspects positifs. « La plus vieille peinture rupestre et trois des plus anciennes universités du monde se trouvent toutes en Afrique ; celle-ci a donné au monde un grand historien et sociologue comme Ibn Khaldoun au XIVesiècle ; l’explorateur et voyageur africain Ibn Battûta a visité bien plus de pays que Marco Polo »,énumère M. Li, admiratif.
Les archives sont des sources capitales pour des recherches historiques. Si M. Li a pu citer des centaines de documents chinois et étrangers dans son ouvrage,cela n’est pas sans rapport avec sa longue carrière consacrée aux études africaines.
M. Li faisait partie des étudiants de première génération après la reprise du système d’examen d’entrée à l’université, en 1977. La deuxième année après son admission au Département d’anglais de l’Université normale du Hunan, il a choisi l’Afrique comme point de départ pour ses recherches sur l’avenir de la nation chinoise. Pendant son master à l’Institut d’histoire mondiale de l’Académie chinoise des sciences sociales,sa formatrice Wu Bingzhen a invité des chercheurs et universitaires de l’ancienne génération sur les études africaines à lui dispenser des cours. Cette expérience unique lui a permis d’acquérir des bases solides, qui auront été renforcées suite à ses études de doctorat sous la tutelle de Martin A. Klein. Professeur émérite d’histoire à l’Université de Toronto, celui-ci a été président de l’Association américaine d’études africaines et de l’Association canadienne d’études africaines.
Une fois son diplôme en poche, il est retourné en Chine en 1982 pour débuter son enseignement à l’Université de Pékin. Publiée en chinois et en anglais,sa thèse de doctorat sur la résistance sociale rurale sous le régime colonial britannique au Ghana, a été offerte par son établissement à Kofi Annan, l’ancien Secrétaire général de l’ONU, qui est ghanéen. Au fil des ans, en plus d’écrire de nombreux ouvrages, M. Li a donné des conférences académiques dans plus de 30 pays répartis sur cinq continents. Il a été chef de la délégation envoyée en Afrique par le ministère chinois des Affaires étrangères pour évaluer la mise en œuvre
La Chine et l’Afrique partagent de multiples points communs,offrant d’excellentes conditions pour renforcer les échanges académiques.
LI ANSHAN Professeur émérite de l’Université de Pékin et président de l’Association chinoise de recherche sur l’histoire africaine des acquis du FCSA. En novembre 2013, son ancienneté et son expérience professionnelle lui ont valu le titre de vice-président du Comité scientifique international chargé de l’élaboration de l’Histoire générale de l’Afrique(volumes IX, X et XI) de l’UNESCO. Il a été lui-même responsable de la rédaction de ses chapitres dédiés aux relations sino-africaines et aux ressortissants chinois en Afrique.
Les chercheurs sont sans aucun doute des acteurs indispensables de la coopération sino-africaine. Si les études africaines en Chine ne datent pas d’hier,leur profondeur et leur étendue restent pourtant à désirer, regrette M. Li. Il conseille donc aux chercheurs chinois d’apprendre sincèrement et humblement de leurs homologues internationaux, en particulier des universitaires africains, à l’instar du célèbre historien nigérian Joseph Inikori. Son ouvrageAfricans and the Industrial Revolution in England: A Study in International Trade and Economic Development(2002),a été couronné par l’American Historical Association du prix Leo Gershoy Award.
En parallèle, M. Li constate une amélioration notable des conditions de recherche en Chine. Au début de ses études, les visites internationales se faisaient rarement.Beaucoup n’ont jamais eu de contact direct avec l’Afrique tout au long de leur vie professionnelle. Aujourd’hui, la donne a changé, avec la multiplication des échanges académiques et l’élargissement des champs d’étude. À la première Conférence de dialogue sur les civilisations Chine-Afrique qui s’est tenue le 9 avril à Beijing, M. Li a rappelé, lors de son discours d’introduction, les similitudes entre les deux civilisations et leur apprentissage mutuel. « Ces sujets d’étude dépassent amplement les horizons de recherche du début de ma carrière »,avoue-t-il àCHINAFRIQUE.
À son grand plaisir, il a vu un nombre croissant de jeunes Chinois s’engager dans les études africaines.Selon les données fournies par Zhan Shiming, chercheur adjoint à l’Institut Chine-Afrique, il existe actuellement environ 70 instituts en la matière dans le pays, dont les domaines de recherche se concentrent notamment sur l’actualité africaine et les relations sino-africaines.Créée en 1980, l’Association chinoise de recherche sur l’histoire africaine en fait partie. M. Li en est le quatrième président. À l’heure actuelle, elle compte plus de 300 membres. Ces chercheurs de tous horizons se chargent de réaliser divers projets de recherche financés par le gouvernement, contribuant aux études africaines en Chine.
« La Chine et l’Afrique partagent de multiples points communs, offrant d’excellentes conditions pour renforcer les échanges académiques. En fait, cela sert d’assise à l’approfondissement de la coopération Chine-Afrique,qui est vouée à un avenir prometteur », conclut M. Li. CA