Saupoudrez de tradition et de gastronomie

2022-07-06 08:53parLIUTING
中国与非洲(法文版) 2022年7期

par LIU TING

Corentin Delcroix, chef français installé en Chine, mêle les cultures pour le plus grand plaisir des papilles

«Ajoutez au riz gluant (600g) de la sauce soja claire (60g), de la sauce soja foncée (10g), du sel à la truffe (6g), du sucre (6g), trois cuillères de graisse de canard et une cuillère de sauce à la truffe, puis mélangez le tout. Faites bouillir des feuilles de bambou pendant cinq minutes et détachez la chair d’une cuisse de canard confite. »

Cette délicieuse recette, Corentin Delcroix l’a présentée sur les réseaux sociaux le 3 juin dernier. Le chef français, qui vit à Shanghai depuis 12 ans, n’a pas choisi ce plat ni cette date au hasard : lezongziest un mets typique de la fête des Barques-Dragons, une tradition chinoise célébrée le 5ejour du 5emois lunaire.

Cezongzirevisité à la cuisse de canard confite, a été bien accueilli par les internautes, comme l’a été la variante du bœuf au vin rouge qu’il a partagée l’année dernière. Fin connaisseur de la cuisine française et chinoise, Corentin Delcroix, plus connu sous le nom de Chef Guangtan en Chine, publie souvent des vidéos pour partager ses recettes de cuisine française et de cuisine fusion. Diplômé de l’Institut Paul Bocuse, établissement de renommée mondiale, il dirige aussi une société de recherche en alimentation à Shanghai.

Une initiation à Beijing

C’est en 2002 que M. Delcroix s’est rendu pour la première fois en Chine. Alors âgé de 20 ans, il a suivi des études en administration des affaires à Beijing. Dès son arrivée, le jeune homme s’est épris de la cuisine chinoise. À l’époque, il suivait des leçons de cuisine avec sa colocataire, Mme Zhang. Aujourd’hui encore, il se rappelle avec nostalgie le premier plat qu’il a appris avec elle : les œufs sautés à la tomate.

« Ce plat est pour moi un superbe exemple de la beauté de la cuisine traditionnelle chinoise : les ingrédients sont très simples, il n’est pas difficile à faire mais est tout de même facile à ‘‘mal faire’’. Il est appétissant et réconfortant et ne nécessite pas de dressage particulier, tout en offrant une beauté simple avec de jolies associations de couleurs », indique le chef français. Il a également appris avec Mme Zhang à préparer le tofu aux fruits de mer et le pétoncle séché, pour ne citer que ces plats. Il garde un très bon souvenir du pétoncle, car les notes umami apportées par ce fruit de mer séché ont été une découverte très intéressante pour lui.

Durant ses études à Beijing, M. Delcroix a eu l’opportunité de visiter beaucoup de régions en Chine,du nord-est au sud-est, en passant par les provinces centrales. Ces voyages lui ont permis de prendre conscience de l’immensité et de la diversité du pays.

De retour en France quatre ans plus tard, il y a trouvé un emploi dans une banque, mais sa passion pour le monde gastronomique n’a fait que grandir en lui.Finalement, il a décidé de se réorienter vers la cuisine et de se former à l’Institut Paul Bocuse.

« À cette époque, mon rêve était de travailler quelques années en France pour faire mes armes, puis de revenir en Chine et d’ouvrir un restaurant français autour d’une cuisine préparée avec de grosses pièces de viande, de poissons entiers ou de gros rôtis. C’est une cuisine très présente en France, mais, qui je le pensais, pourrait résonner avec le public chinois », se souvient-il. Après deux ans et demi d’études à l’Institut Paul Bocuse, il a été admis à l’Auberge de l’Ill, un restaurant alsacien étoilé au guide Michelin.

Pendant l’Exposition universelle de Shanghai de 2010, l’Institut Paul Bocuse a ouvert une succursale à Shanghai. Corentin Delacroix a saisi cette opportunité pour retourner en Chine et a travaillé en tant que directeur adjoint puis sous-chef de l’institut.

« Voir des étudiants français ravis de partager les bases de leur cuisine avec des étudiants chinois, et ces derniers emmener les Français découvrir la ville et la cuisine chinoise après le travail, est une expérience extrêmement enrichissante d’un point de vue humain »,confie M. Delcroix. Pour lui, il s’agissait de l’exemple parfait du pouvoir de la gastronomie à créer des liens et des amitiés fortes. En cinq ans, il a formé plus de 500 cuisiniers chinois, qui affichent la même passion pour la cuisine que lui.

Association de la cuisine et de la culture

De l’avis de M. Delcroix, la Chine et la France sont deux pays qui ont des cultures gastronomiques très fortes et qui ont une vaste influence à travers le monde. La gastronomie est profondément ancrée dans la culture des deux pays. Le grand nombre d’expressions et de dictons liés à la cuisine en français et en chinois en sont un parfait exemple. Les deux nations partagent également une impressionnante diversité dans leur patrimoine culinaire. La France présente une grande diversité gastronomique entre ses régions, et la Chine,de par sa taille, la multiplicité de ses climats et de ses habitats, représente un panel immense en matière de pluralité culinaire.

Ayant vécu en Chine pendant 17 ans, M. Delcroix a eu l’opportunité de découvrir énormément de produits qui ne sont pas communs en France comme, par exemple,les œufs de cent ans, lemeigancai(légume fermenté sec) de Shaoxing et la sauce de piment fermenté de Pixian. Il a également pu découvrir des techniques culinaires comme les crevettes ivres, une technique très intéressante qui, selon lui, peut parfaitement être intégrée d’une autre façon à la cuisine française.« Toutes ces choses sont passionnantes à découvrir et,bien sûr, ce sont de grandes sources d’inspirations »,confie-t-il. « Pour moi, le côté créatif en cuisine est quelque chose qui n’est pas du tout donné mais qui a besoin d’être constamment nourri. Par conséquent, il est nécessaire de garder un esprit ouvert et curieux,et tout peut devenir une inspiration. »

« Pour qu’un plat fusion soit réussi, il faut d’abord comprendre les ingrédients, comment ils sont utilisés par les locaux et pourquoi ils le sont de cette façon.L’aspect culturel est important », insiste-t-il. Pour une émission, il a créé un tournedos Rossini avec dumeigancaide Shaoxing. Selon lui, dans la cuisine chinoise,lemeigancaiest presque toujours associé à des viandes grasses. Il a en effet la faculté d’absorber beaucoup de gras, et celui-ci permet d’exalter sa saveur, qui a un léger goût terreux et fermenté avec une pointe sucrée.Dans la cuisine française, le tournedos Rossini marie un filet de bœuf avec une tranche de foie gras poêlé et une sauce à la truffe. La truffe et lemeigancaiont une certaine ressemblance d’un point de vue gustatif, et le foie gras apporte le gras nécessaire aumeigancai.Cette association est très naturelle et a connu un grand succès.

Étant entrepreneur,j’ai l’occasion de constater jour après jour à quel point Shanghai est une ville qui offre un environnement idéal pour créer sa société.L’ouverture de cette ville sur le monde, tout en gardant son identité propre,est un point très positif pour moi.

CORENTIN DELCROIX Chef français installé en Chine

Un vlogger culinaire

En 2019, vu le développement fulgurant des nouveaux médias en Chine, M. Delcroix a commencé à enseigner la cuisine française et les plats fusions sur les réseaux sociaux. En trois ans, il a attiré près de cinq millions d’abonnés. Chaque jour, des millions de fans attendent qu’il cuisine et détaille la confection de ses plats, avec son mandarin reconnaissable entre mille. Citons le porc effiloché aux poivrons verts, les escargots à la française ou le riz gluant aux pommes.

Étant donné que le public auquel il s’adresse en ligne est beaucoup plus large que dans un cours classique,M. Delcroix prend beaucoup plus en compte, dans le choix des recettes, les limitations de certaines personnes. En effet, tous n’habitent pas dans des grandes villes et peuvent rencontrer des difficultés à trouver les ingrédients et le matériel nécessaires, surtout pour les recettes de cuisine française. « Il est important de trouver le bon équilibre entre authenticité et partage avec le grand public », fait-il remarquer.

Résidant en Chine depuis plus d’une décennie, il a pu constater la transformation du pays au quotidien.L’un des changements flagrants qu’il observe, en tant que cuisinier, est l’accessibilité de différents produits étrangers, la diversité et la qualité du milieu de la restauration dans une ville comme Shanghai, et l’évolution des habitudes alimentaires entre la génération précédente et la jeunesse actuelle.

Shanghai est à ses yeux une ville très accueillante,facile à vivre et agréable malgré sa taille gigantesque. Il trouve qu’il est aisé d’y retrouver des liens avec son pays d’origine, que ce soit d’excellents restaurants français,un délicieux fromage ou un bon bar à vin. Tout cela est à portée de main dans cette métropole qui l’a beaucoup impressionné par son dynamisme et son ouverture.« Étant entrepreneur, j’ai l’occasion de constater jour après jour à quel point Shanghai est une ville qui offre un environnement idéal pour créer sa société. L’ouverture de cette ville sur le monde, tout en gardant son identité propre, est un point très positif pour moi », conclut-il. CA