Sous la dynastie des Tang, qui a duré près de trois siècles, de 618 à 907,la Chine est devenue le pays le plus prospère, international et innovateur du monde.Dans cette rubrique en six épisodes, nous vous proposons de revivre les charmes de cette dynastie et de comprendre ses secrets.
Quelle période dans l’histoire de la Chine mérite d’être considérée comme son « âge d’or » ?Nombre d’historiens portent leur choix sur la dynastie des Tang.Sous les Tang, la Chine était probablement le pays plus prospère et influent au monde. La splendeur de ses arts et de sa culture, ainsi que ses progrès scientifiques lui ont valu un immense prestige.
Hommes comme femmes, même s’ils n’étaient pas issus de l’aristocratie, pouvaient se hisser à des positions supérieures dans l’administration. Cette dynastie a vu l’ascension d’une femme jusqu’au trône : Wu Zetian(624-705), l’unique impératrice régnante dans l’histoire chinoise. Sans parler de la gloire des arts sous les Tang :littérature, poésie, calligraphie et peinture.
Les empereurs des Tang ont su imposer la stabilité,nécessaire pour le fonctionnement de l’administration, et favoriser la prospérité des arts, le progrès de la science et le développement du commerce.
Sur la base des acquis de la pratique légale et juridique des dynasties précédentes, des lois et codes détaillés ont été élaborés dès la fondation des Tang. Les conséquences des infractions à assumer, et les sanctions et châtiments à infliger en cas de violation de lois étaient stipulés de manière exhaustive et facile à comprendre.
La machine administrative était supervisée par une nouvelle élite, qui accédait à des positions supérieures par son érudition et non grâce au statut des familles ou des réseaux.Pour être nommés à des postes de fonctionnaire, les candidats devaient réussir le concours impérial, qui se tenait une fois par an dans la capitale, Chang’an (aujourd’hui Xi’an).C’était le tout premier concours du genre dans le monde.
Chang’an rivalisait avec Rome pour le titre de plus grande ville du monde. C’était une cité cosmopolite, accueillant à bras ouverts étudiants, hommes de science, philosophes,artisans, poètes… Les hommes d’affaires arrivaient d’Asie centrale ou de contrées encore plus lointaines, faisant de la ville un creuset d’idées et de cultures. Partant de Chang’an,les routes commerciales traversaient montagnes, déserts et océans et menaient jusqu’au-delà de l’Asie.
À l’intérieur de l’empire, la communication était facilitée par un dispositif logistique avancé - un réseau postal desservant l’ensemble du vaste territoire. Il se constituait, à son apogée, de quelque 1 300 stations le long des routes.En deux semaines, le courrier de la capitale atteignait la contrée la plus reculée de l’empire.
Plus de 20 000 personnes y étaient employées. Et ce n’était pas un métier facile ! Aucune erreur n’était tolérée.Même un seul jour de retard était sanctionné. Au-delà de six jours de retard, la personne fautive était condamnée à deux années de corvée. Celui qui tardait à porter un courrier militaire urgent pouvait se faire décapiter !
Pour comprendre l’émergence de cette dynastie, nous devons faire connaissance avec une figure extrêmement importante : Li Shimin, l’empereur Taizong des Tang, qui régna de 626 à 649. Sa dictature sage et éclairée a jeté les bases d’une dynastie prospère et innovante, et a marqué les époques suivantes.
Son empire était défendu par une armée de 600 unités,dont chacune comptait entre 800 et 1 200 hommes. Les soldats, souvent d’anciens paysans, étaient exemptés d’impôt. Ils étaient supervisés par un corps d’officiers professionnels. Les attaques extérieures refoulées et les révoltes à l’intérieur réprimées, la paix régnait sur les territoires des Tang. L’économie vivait un essor étonnant.
Pour gérer un empire de cette taille, Taizong a mis sur pied une structure administrative hautement efficace et fiable qui permettait de gouverner le territoire à différents niveaux, à savoir les dao (les régions administratives, au nombre de dix, puis de quinze), les zhou (les préfectures) et les xian (les districts). Il existait bien sûr des échelons encore inférieurs.Les officiels étaient également gérés à travers une structure bien organisée, avec au sommet trois départements et six ministères, et un groupe dirigeant à chaque échelon.
Le secrétariat impérial était chargé d’élaborer des politiques et de rédiger les décrets, en général sur instruction du souverain. La chancellerie avait pour vocation de conseiller l’empereur et son secrétariat, et de veiller à la légitimité des décrets émis. Une fois approuvé, le décret était adopté par le département des affaires d’État, qui avait sous son administration les six ministères.
Les six ministères s’occupaient de mettre en application les lois et décrets dans leurs domaines de compétences :ressources humaines, finances, protocole, militaire, justice et travaux publics. Ce régime de gouvernement était tellement efficace qu’il a survécu à la chute de l’empire des Tang en l’an 907, et est devenu un modèle pour les dynasties suivantes. Il a même été recopié dans des pays voisins,dont le Vietnam et la Corée.
Ce régime à trois pouvoirs a permis de consolider la fondation de l’État, de poser des limites au pouvoir de l’empereur et de contrer les pouvoirs des seigneurs de guerre et des forces régionales. Certes, le dernier mot revenait toujours à l’empereur, mais celui-ci était en général assez lucide quant à ses possibles erreurs, et particulièrement Taizong : ayant vécu la chute de la dynastie des Sui(581-618), il avait appris que l’abus de pouvoir absolu pouvait profondément marquer le destin d’un empire.Un jour, l’empereur a voulu rabaisser de 20 à 16 ans l’âge éligible à l’enrôlement. Sa proposition a rencontré la ferme opposition d’un officiel connu pour sa franchise et sa droiture : Wei Zheng. Ce dernier a soutenu que recruter des militaires plus jeunes nuirait à la réserve de ressources humaines et rendrait le pays plus vulnérable en cas de crise.L’empereur l’a écouté et a retiré sa proposition.
Une autre fois, l’empereur Taizong voulait se rendre au mont Taishan, à quelque 900 km de la capitale Chang’an,pour tenir des rituels de prière. Il s’agissait d’une grande tradition dans la Chine ancienne : un souverain glorieux devait aller en pèlerinage sur ce mont, et y organiser une grande cérémonie appelée « feng shan », afin d’être béni par le Ciel.
Wei Zheng s’y opposait. L’empereur a protesté, exposant ses exploits : il avait installé la paix, refoulé les attaques des barbares, développé l’agriculture, etc. La réponse de Wei Zheng fut : « Malgré tous les succès de Votre Majesté impériale, nous continuons de souffrir du désordre légué par la dynastie des Sui. La population a grandement décru et peine à recouvrer sa vitalité. Les greniers sont encore vides.Si Votre Majesté se déplace vers le mont Taishan, le millier de chevaux et de chars de votre cortège aura besoin d’être nourri et approvisionné. Il sera difficile pour les gouvernements locaux de vous ravitailler. » L’empereur, bien que frustré, a dû abandonner son idée.
À la mort de Wei Zheng en 643, l’empereur Taizong a suspendu la cour pendant cinq jours pour pleurer sa perte.Il aimait comparer son conseiller à un miroir dans lequel il voyait clairement ses qualités et ses défauts. Cette vaste ouverture d’esprit et cette attitude éclairée ont fait la grandeur de l’empereur Taizong et de la dynastie des Tang.