L’École de la minorité francophone au Canada (1867—1927):à la recherche d’un équilibre politique (I)

2021-02-27 17:54

Abstrac:In 1867,the political elites of the British colonies in North America negotiated the creation of a new political regime,which would become the Canadian Federation.However,the issue of French Canadian minorities and its educational rights was probably the most sensitive issue in the negotiations on the adoption of a new constitution.The complexity of this issue was probably related to the fact that Canada was not a nation-state with a predominant ethnocultural or religious group throughout the territory.In these circumstances,the founders of the federation chose to grant French Canadians a provincial government in the territory where they were a majority and to guarantee them certain educational rights in the constitution.This political recognition also conferred on the Canadian government the power to protect minorities in an area of provincial jurisdiction,education,against the power of the majority.However,as this article attempts to demonstrate,in the first 50 years of the Canadian Federation’s existence,the Canadian government failed to protect the educational rights of French Canadians by respecting rather the principle of the autonomy of the provinces.

Key words:French Canada;Canadian Federation;Education;Linguistic rights;Canadian Constitution

Le Canada,à l’instar de bien des États multinationaux,doit composer avec les aspirations d’une majorité et celles de ses minorités religieuses et linguistiques.Le défi pour ces États reste de préserver un équilibre entre des politiques qui renforcent la cohésion sociale et l’unité nationale tout en permettant aux minorités de préserver leurs particularismes culturels.À ce sujet,le Canada dispose d’une longue expérience historique qui remonte même avant sa fondation officielle avec l’union,en 1867,des différentes colonies britanniques d’Amérique du Nord en une fédération politique.Toutefois,c’est lors de ce changement de régime que les promoteurs de ce projet politique - surnommés les Pères de la Confédération①Bien que l’on réfère à une Confédération,le Canada n’est pas une confédération,mais plutôt une fédération.Une confédération est un ensemble d’États souverains associés,tandis qu’une fédération est un système de gouvernement avec deux paliers de gouvernement (fédéral et local) avec des pouvoirs bien définis dans leurs champs de compétence respectifs.- ont tenté d’aménager un système politique qui permettrait de jeter les bases d’une nouvelle nation tout en réconciliant les différences régionales,religieuses et linguistiques qui existaient entre les anciennes colonies britanniques.②Donald Smiley.The Federal Condition in Canada.Toronto:McGraw-Hill Ryerson,1987;Richard Simeon et Ian Robinson.State,Society,and the Development of Canadian Federalism.Toronto:University of Toronto Press,1999;Kenneth McRoberts.Un pays à refaire.Montréal:Boréal,1999;Alain G.Gagnon (dir.).« Le fédéralisme canadien contemporain:Fondements,traditions,institutions ».Montréal:Les Presses de l’Université de Montréal,2006.

Dès les années qui ont précédé la proclamation de la Fédération canadienne,en 1867,la question des droits scolaires et linguistiques des minorités a constitué sans doute l’une des questions les plus sensibles et les plus litigieuses.③Marcel Martel,Martin Pâquet.Langue et politique au Canada et au Québec.Montréal:Boréal,2010.La complexité de cette question s’explique sans doute du fait que le Canada ne constituait pas un État-nation avec un groupe ethnoculturel prédominant sur l’ensemble du territoire.Le Canada était - et est toujours - caractérisé par une situation originale de « double majorité/double minorité ».Ainsi,les francophones se concentraient dans une colonie appelée le Bas-Canada qui deviendra la province du Québec où résidait aussi une minorité anglophone.Les autres colonies britanniques étaient peuplées par une majorité protestante et anglophone qui coexistait avec des minorités catholiques,canadiennes-françaises et irlandaises,concentrées sur certaines parties du territoire notamment à proximité de la frontière avec le Québec.

Il n’était donc pas possible pour le nouveau régime politique de favoriser unmelting potà l’américaine en l’absence d’une culture majoritaire dans lequel les groupes minoritaires ou les nouveaux arrivants auraient été invités à se fondre ou contraints de le faire.La création d’un système scolaire centralisé avec une seule langue d’enseignement était encore moins envisageable.Il a été convenu par les Pères de la Confédération de garantir les droits culturels et religieux des francophones en leur accordant leur propre gouvernement provincial avec ses champs de compétence dans les domaines culturel,social et tout particulièrement dans l’éducation.Ce gouvernement provincial aurait autorité sur le territoire où les francophones formaient la majorité,le Québec actuel.

Toutefois,la question des minorités catholiques et francophones à l’extérieur des frontières de cet État provincial demeurait entière.Plutôt que d’imposer un régime de droits qui aurait contraint les provinces anglophones à offrir des garanties pour l’éducation des francophones,un « pouvoir de désaveu » sera accordé au gouvernement fédéral - ou central - pour protéger les droits éducatifs de la minorité contre la tyrannie de la majorité.Le pouvoir de désaveu consistait à désavouer une loi pour cesser une injustice perpétrée par un gouvernement provincial vis-à-vis des droits scolaires d’une minorité et de restaurer ces droits reconnus par la constitution canadienne par une législation réparatrice.Ce rôle de protecteur des minorités,dévolu au gouvernement canadien visait tout autant à défendre les droits scolaires des catholiques (incluant les francophones) dans le Canada anglais que ceux de la minorité anglo-protestante au Québec.

Or,comme nous le verrons dans cet article,ce compromis fut loin d’être définitif,parce que le gouvernement fédéral choisit d’abandonner son rôle de protecteur de minorités pour plutôt respecter le principe d’autonomie des provinces.À ce titre,l’expérience canadienne montre que l’équilibre entre la promotion de la cohésion sociale autour de principes et de valeurs partagés par tous les citoyens et le respect des aspirations particulières des minorités reste un objectif politique difficile à atteindre tout particulièrement dans les sociétés multinationales.L’exemple canadien lève le voile sur le fait que les droits des minorités,même quand ils sont reconnus officiellement ou implicitement par la constitution,les textes de lois ou les politiques étatiques,peuvent souffrir d’un écart entre l’esprit(les principes qui inspirent un compromis politique),lalettre(la portée réelle de la constitution et des textes de lois par rapport aux principes) et finalement lapratique(l’application concrète du compromis qui dépend de la volonté et de la capacité d’action des acteurs politiques).

Pour mettre en lumière la dynamique fragile,vécue par une société multinationale comme le Canada,pour concilier sa volonté d’affirmation d’une identité partagée par tous les citoyens avec le respect des droits des minorités religieuses et culturelles,nous avons choisi dans cet article d’examiner la période de conflits scolaires qui survient au cours des cinquante années suivant l’adoption de la Fédération canadienne,en 1867.Devant la complexité de la question,l’article a été divisé en deux parties.Dans une première partie,nous avons retracé la genèse du système d’éducation au Canada qui voit l’émergence d’une école pour la majorité anglophone,l’école publique et celle pour la minorité,l’école catholique.Ensuite,nous avons analysé le contexte politique de l’époque,les débats et les négociations qui ont mené au compromis de 1867 avant de terminer par un bilan des aménagements qui ont été faits dans la nouvelle constitution pour protéger les droits scolaires des minorités religieuses et linguistiques.La deuxième partie portera essentiellement sur les crises scolaires qui ont sévi au cours de la période étudiée afin de mieux comprendre la portée réelle de la protection constitutionnelle accordée aux minorités lors du compromis de 1867.Enfin,nous terminons cette deuxième partie par une brève synthèse du règlement de la question scolaire des minorités qui survient à partir de la fin des années 1960 grâce à la reconnaissance du droit pour les francophones à une éducation dans leur langue maternelle.

1.De l’école française à l’école canadienne-française (1608-1791)

Le premier peuplement européen au Canada remonte au 17esiècle avec l’arrivée des Français qui s’établissent surtout dans l’Est du Canada,sur la côte atlantique dans une région nommée l’Acadie et dans la Vallée du Saint-Laurent (une partie du Québec d’aujourd’hui) pour pratiquer l’agriculture,les pêches et le commerce des fourrures.Les Français érigent peu à peu un empire qui embrasse tout le centre et nord-est de l’Amérique,mais qui reste faiblement peuplé et donc très vulnérable face aux ambitions coloniales britanniques.

Des congrégations religieuses venues de France s’établissent dans les villes de Québec,Montréal et Trois-Rivières pour fonder des missions,des paroisses,des hôpitaux,des collèges et des écoles et ce,avec la bénédiction de l’administration coloniale.Les collèges en milieu urbain visent à former les élites,tandis qu’en milieu rural l’école paroissiale sert avant tout à offrir une éducation rudimentaire comme savoir lire,écrire et compter,ainsi qu’apprendre le catéchisme.④Roger Magnuson.Education in New France.Montréal:McGill-Queen’s University Press,1992.

Après une longue série de guerres coloniales,la France cède ses possessions nord-américaines à la Grande-Bretagne,d’abord l’Acadie lors du Traité d’Utrecht en 1713,puis l’ensemble de son empire colonial lors du Traité de Paris en 1763.Au lendemain de la Conquête définitive de la Nouvelle-France,les occupants britanniques créent une province qui s’étend de la vallée du Saint-Laurent aux Grands Lacs,The Province of Quebec.Ils reconnaissent le culte catholique,l’usage de la langue française dans les institutions politiques et le code civil français sur le nouveau territoire lors de laProclamation royale de 1763etL’Acte de Québecen 1774.Toutefois,laCommon Lawbritannique s’applique pour le droit criminel.⑤Séraphin Marion.L’Acte de Québec,concession magnanime ou intéressée ? Montréal:Éditions des dix,1963;Hilda Neatby.The Quebec Act:Protest and Policy.Scarborough Ont.:Prentice-Hall of Canada,1972.

L’indépendance des États-Unis change la donne complètement avec l’arrivée de loyalistes qui fuient la révolution américaine pour trouver refuge dans les colonies qui sont restées fidèles à la couronne britannique(le Canada actuel) et se mettre sous la protection des institutions et du droit britanniques.Londres adopteL’Acte constitutionnel de 1791qui divise laProvince of Quebecentre le Haut-Canada (l’Ontario actuel) où vivent les loyalistes et le Bas-Canada (le Québec actuel) habité par les francophones et accorde à ces colonies un régime parlementaire avec des députés élus à la chambre d’assemblée.

Ainsi,le Bas-Canada contraste avec les colonies voisines en raison du caractère majoritaire de sa population française et catholique,du code civil français qui est en vigueur,du catholicisme qui a une reconnaissance officielle et du statut du français et de l’anglais qui constituent les langues des débats parlementaires,de la justice et de l’administration.Tandis que les autres colonies comme le Haut-Canada et aussi celles des Maritimes comme la Nouvelle-Écosse,l’Île-du-Prince-Édouard et le Nouveau-Brunswick,fondées au lendemain de la conquête de l’Acadie et de la Révolution américaine,sont majoritairement peuplées d’anglophones et de protestants bien que ceux-ci coexistent avec une minorité catholique constituée des descendants de colons français (Acadiens) et d’immigrants venus d’Irlande.

2.Deux forces en émergence:l’école publique et l’école confessionnelle (1791-1840)

Au tournant du 19esiècle,dans la plupart des colonies britanniques,les premières mesures gouvernementales sont mises en place pour favoriser la fréquentation scolaire de la population.Toutefois,il n’y a pas encore de système scolaire public.Le gouvernement colonial accorde essentiellement des subventions aux écoles mises sur pied par chacune des Églises,catholique ou protestantes,que ce soit des missions,des écoles paroissiales et des établissements privés créés par une congrégation religieuse ou une association éducative.Le gouvernement intervient peu dans le choix des manuels scolaires et du programme d’études enseigné et ne formule pas non plus d’exigences au niveau des compétences professionnelles des enseignants.Quant à la fréquentation scolaire des enfants,elle relève essentiellement des parents.⑥Paul Axelrod.The Promise of Schooling Education in Canada,1800-1914,Themes in Canadian Social History.Toronto:University Press of Toronto,1997.

À défaut d’une véritable école publique,le gouvernement colonial tolère bon gré mal gré dans les colonies à majorité anglophone les écoles françaises et catholiques,mises sur pied par l’Église catholique,qui sont admissibles aux subventions.La situation est bien entendu différente au Bas-Canada où la majorité francophone peut compter sur davantage d’écoles paroissiales ou sur les établissements privés mis sur pied par les congrégations religieuses pour avoir accès à une éducation en langue française qui est toutefois destinée à une minorité compte tenu de la faible fréquentation scolaire.⑦Andrée Dufour.Tous à l’école,États,communautés rurales et scolarisation au Québec de 1826 à 1859.Montréal:Les Éditions Hurtubise HMH,1996.

À partir des années 1840,le gouvernement de Londres transfère l’autorité de l’administration coloniale aux parlements dans ses colonies qui disposent désormais de la prérogative de voter et d’exécuter les lois.Dans ce contexte,les élus parlementaires souhaitent consolider ces gains politiques et entreprendre d’importantes réformes pour moderniser et démocratiser la société en s’appuyant notamment sur la création d’un système scolaire public.⑧Bruce Curtis.Building the Educational State:Canada West,1836-1871.London:The Althouse Press,1988.

Dans la conception des penseurs de l’époque,l’éducation publique s’adresse à l’ensemble des individus indépendamment de leur classe sociale,de leur appartenance religieuse et de leur origine ethnique.Elle vise à renforcer la cohésion sociale,à faire reculer les vices moraux et les maux sociaux suscités par l’ignorance.Enfin,l’éducation généralisée à tous permet de former des citoyens éclairés qui participeront à la vie politique au sein des institutions démocratiques naissantes et,inspirés par les principes des Lumières et de la Modernité,lutteront efficacement contre les esprits de parti et les démagogues qui menacent le bien commun.⑨Alison Prentice.The School Promoters,Education and Social Class in Mid-Nineteenth Century Upper Canada.Toronto:University of Toronto Press,1977;Neil MacDonald,Alf Chaiton (dir.).Egerton Ryerson and His Times,Essays on the History of Education.Toronto:Macmillan Company of Canada Limited,1978.Le surintendant de l’éducation au Haut-Canada (Ontario),Egerton Ryerson,sans doute le plus énergique et le plus zélé de ces réformateurs,ne dit pas autre chose:

The object of education,rightly understood is,first,to make youth good men — good members of universal society;secondly,to fit them for usefulness to that particular society of which they constitute an integral part-to form their principles and habits — to develop their talents and dispositions in such a way,as will be most serviceable to the institutions under which they live.⑩Egerton Ryerson.The Kind of Education which Canadian Youths Require and Hints to Them for Its Attainment.Victoria University Archives,1841,p.50.Cité par Albert F.Fiorino.« The Moral Education of Egerton Ryerson’s Idea of Education ».Dans Neil MacDonald,Alf Chaiton (dir.).Egerton Ryerson and His Times.Toronto:Macmillan of Canada,1978,p.67.

Nommé surintendant de l’éducation - une sorte de haut fonctionnaire - par le gouvernement du Haut-Canada,en 1844,Ryerson entreprend une vaste tournée en Europe pour enquêter sur les différents systèmes scolaires.À son retour,il crée un système d’inspectorat des écoles pour évaluer la formation des enseignants et le contenu enseigné dans les écoles.Il fonde aussi la première école normale pour former les enseignants en 1847 à Toronto.Les premiers programmes d’études sont mis sur pied et les manuels scolaires doivent être approuvés par les instances officielles.Une taxe scolaire obligatoire et payée par les propriétaires est instaurée pour assurer un financement public aux écoles élémentaires.Enfin,en 1871,les premiershigh schoolspublics sont créés et une loi sur l’instruction obligatoire et gratuite est votée.Les réformes de Ryerson auront un profond retentissement dans l’ensemble des colonies et inspireront d’autres réformateurs dans le pays.⑪Susan E.Houston,Alison Prentice.Family Schools and Society in Nineteenth-Century Canada.Toronto:Oxford University,1975;Robert M.Stamp.The Schools of Ontario,1876-1976.Toronto:University of Toronto Press,1982;R.D.Gidney,W.P.J.Millar.Inventing Secondary Education,The Rise of the High School in Nineteenth-Century Ontario.Montréal et Kingston:McGill-Queen’s University Press,1990;R.D.Gidney,W.P.J.Millar.How Schools Worked,Public,Education in English Canada,1900-1940.Montréal et Kingston:McGill-Queen’s University Press,2012.

Ces réformes surviennent au moment où l’Église catholique s’impose comme une force politique montante notamment au Bas-Canada où les francophones sont dans leur totalité catholiques.Conscients d’être en marge de l’appareil politique surtout dominé par les anglophones depuis la Conquête en 1763,les francophones se tournent vers l’Église catholique qui leur permet avec ses ressources humaines,financières et institutionnellesd’exercer un pouvoir relatif sur leur sort collectif.⑫Philippe Sylvain,Nive Voisine.Histoire du catholicisme québécois.Réveil et consolidation,Tome 2:1840-1898.Montréal:Boréal,1991;René Hardy.Contrôle social et mutation de la culture religieuse au Québec,1830-1930.Montréal:Boréal,1999;Lucia Ferreti.Brève histoire de l’Église catholique au Québec.Boréal:Québec,1999.Sous l’égide de Mgr Ignace Bourget,premier archevêque de Montréal,la hiérarchie catholique et une partie des élites laïques du Bas-Canada s’inspirent de la pensée ultramontaine.Cette doctrine du pape rejette l’héritage de la Révolution française de 1789 et des révolutions de 1848 qui prônent la démocratie libérale,la laïcité et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.Les ultramontains au Québec élaborent une conception organique de la nation qui conçoit les Canadiens français comme une communauté de mémoire,d’histoire et de culture.Cette communauté n’occupe pas un territoire défini.Au contraire,ce nouveau nationalisme entrevoit pour les Canadiens français la mission providentielle de propager la civilisation catholique et française en Amérique en se déployant dans l’ancien territoire de la Nouvelle-France.⑬Marcel Martel.Le Canada français:récit de sa formulation et de son éclatement,1850-1967.Ottawa:La Société historique du Canada,collection « Les groupes ethniques du Canada »,Brochure n°24,1998;Michel Bock.« Se souvenir et oublier:la mémoire du Canada français,hier et aujourd’hui ».Dans Joseph-Yvon Thériault,Anne Gilbert et Linda Cardinal (dir.).L’espace francophone en milieu minoritaire au Canada:Nouveaux enjeux,nouvelles mobilisations.Montréal:Éditions Fides,2008,p.161-203.Cette Église-nation (plutôt qu’un État-nation) devient pour les Canadiens français le mode d’expression identitaire privilégié pour affirmer un nouveau nationalisme qui assurerait leur caractère distinct sur le continent et leur permettrait de réaliser leurs aspirations collectives.⑭Roberto Perin.« Elaborating a Public Culture:Catholic Church in Nineteenth-Century Quebec ».Dans Marguerite van Die (dir.).Religion and Public Life in Canada:Historical and Comparative Perspectives.Toronto:University of Toronto Press,2001,p.87-105.

On retrouve un phénomène similaire dans le reste des colonies britanniques avec l’immigration irlandaise,causée par la famine en Irlande,qui favorise l’expansion d’un catholicisme de langue anglaise et fait croître ses effectifs,ainsi qu’une demande pour des institutions sociales et religieuses catholiques.Ainsi,à l’instar de l’Église catholique canadienne-française,le clergé anglophone souhaite jeter les bases d’une Église-nation destinée à reproduire une société irlandaise et catholique en exil,dont la mission serait d’évangéliser l’Amérique protestante et anglophone.Les immigrants irlandais peu enclins à s’intégrer à la majorité protestante en raison d’une longue tradition de conflits religieux en Irlande contre le pouvoir britannique souhaitent disposer de leurs propres institutions pour préserver leur religion et leur culture.⑮À propos des Irlandais,voir Robert O’Driscoll,Lorna Reynolds (dir.).The Untold Story:The Irish in Canada.Toronto:Celtic Arts of Canada,1988,p.319-340.Voir aussi Murray W.Nicolson.« Irish Tridentine Catholicism in Victorian Toronto:Vessel for Ethno-Religious Persistence ».Canadian Catholic History Association (CCHA),Study Sessions,50 (1983),p.415-436.À propos des conflits entourant l’école catholique en Ontario,voir Franklin Walker.Catholic Education and Politics in Upper Canada.Toronto:J.M.Dent &Sons Ltd.,1954;Robert M.Stamp.The Historical Background of Separate Schools in Ontario.Toronto:Ontario Ministry of Education,1985;Michael Power.A Promise Fulfilled,Highlights in the Political History of Catholic Separate Schools in Ontario.Toronto:Ontario Catholic School Trustee’s Association,2002.

L’école revêt donc une importance primordiale pour l’Église catholique tant francophone qu’anglophone.Intégrée à la paroisse,l’école possède une dimension communautaire.L’influence de la foi se fait sentir par l’intervention du prêtre qui exerce son magistère et vérifie si le culte,les rites et les dévotions sont respectés par ses ouailles.De plus,les enseignants et les exercices religieux contribuent à inculquer une philosophie de vie imbue de valeurs catholiques et qui transparaît dans toutes les matières d’enseignement.En bref,l’école catholique est un milieu de foi,de culture et de vie catholique.

Les écoles catholiques et francophones connaissent une croissance importante à partir de 1840 avec la migration des francophones qui quittent la Vallée du Saint-Laurent en raison de la surpopulation due à un taux de natalité très élevé et une pénurie d’espace disponible.Ces migrants s’installent notamment dans les Prairies canadiennes pour pratiquer l’agriculture ou ils vont travailler dans les chantiers forestiers et les mines de l’Ontario.⑯Robert Painchaud.Un rêve français dans le peuplement de la Prairie.Saint-Boniface:Éditions des Plaines,Boréal,1978;Gaétan Gervais.« L’Ontario français,1821-1910 ».Dans Cornelius J.Jaenen (dir.).Les Franco-Ontariens.Ottawa:Les Presses de l’Université d’Ottawa,1993,p.49-126;Yves Frenette.Brève histoire des Canadiens français.Montréal:Boréal,1998.Ainsi,entre 1840 et 1920,la proportion des francophones canadiens vivant à l’extérieur du Québec passe d’un dixième à près du quart et leur nombre est sans cesse grandissant,ce qui augmente la demande pour des écoles catholiques de langue française.L’école,mise sur pied par le clergé catholique,joue un rôle essentiel dans la reproduction d’une identité qui repose sur la transmission d’une mémoire historique commune,l’union entre la langue et la foi,ainsi que sur la préservation de traditions nationales vivantes.

L’éducation au Canada repose donc sur deux visions nationales diamétralement opposées.La première est fondée sur un projet de modernisation de la société grâce à un système scolaire public et sur la construction d’une nation britannique d’Amérique du Nord tournée vers le progrès.La seconde est engagée dans la préservation d’une nation française,enracinée sur le continent depuis plusieurs siècles et qui revendique le statut de « peuple fondateur » en raison de son rôle joué dans la diffusion de la foi catholique et de la langue française sur le continent.On retrouve aussi chez les Irlandais la volonté de maintenir leur culture et leurs traditions grâce à l’école catholique face aux dangers d’acculturation que fait peser la majorité britannique et protestante.

3.À la recherche d’un compromis politique

Dans les années 1850,les colonies britanniques d’Amérique du Nord éprouvent de nombreuses difficultés:la fin des protections tarifaires de Londres vis-à-vis des produits canadiens qui cause la ruine des marchands;l’instabilité politique des gouvernements dans chacune des colonies,incapables de bénéficier de l’appui de la majorité de la chambre d’assemblée et les menaces d’annexion du puissant voisin américain.Dès lors,les classes dirigeantes des différentes colonies cherchent à instaurer une union politique pour protéger les frontières de l’empire britannique en Amérique du Nord et surtout créer un grand marché économique intérieur afin d’offrir des débouchés aux industries canadiennes.

À partir de 1864 et ce,jusqu’en 1867,commencent des négociations entre les principaux représentants des colonies britanniques d’Amérique du Nord lors de conférences dans les villes de Québec (1864) et de Londres(1866) pour établir un nouveau régime politique.Dès le début des négociations,plusieurs questions interpellent les futurs Pères de la Confédération,dont la structure du nouveau régime politique et les droits scolaires des minorités protestante au Bas-Canada et catholique dans le reste des colonies.⑰P.B.Waite.The Life and Times of Confederation,1864-1867:Politics,Newspapers,and the Union of British North America.Toronto:University of Toronto Press,1961;Samuel Laselva.The Moral Foundations of Canadian Federalism,Paradoxes,Achievements,and Tragedies of Nationhood.Montréal:Kingston,McGill-Queens,1996.

Le futur premier ministre du Canada et chef du parti conservateur du Haut-Canada,John A.Macdonald favorise plutôt une union législative avec un seul gouvernement.Un État unitaire est garant selon lui de la paix et de l’ordre,tandis que plusieurs paliers de gouvernement ne peuvent que se livrer à la compétition et ainsi conduire au désordre et à l’anarchie.Il en veut pour preuve la Guerre civile américaine causée par la volonté des États d’acquérir davantage d’autonomie et de pouvoir vis-à-vis du gouvernement fédéral.

Georges-Étienne Cartier,chef des conservateurs du Bas-Canada,et son collègue,Louis-Hector Langevin,défendent le point de vue de leurs compatriotes francophones et rappellent à leur homologue du Haut-Canada que jamais les Canadiens français n’accepteront de constituer une minorité parmi une majorité anglophone sans disposer de garanties pour leur langue,leur religion et leur culture.Ils réclament donc pour les Canadiens français un gouvernement autonome qui exercerait ses compétences dans les champs de la culture et de l’éducation pour assurer le maintien d’une identité française et catholique.

Pour Cartier et Langevin,une fédération constitue la forme la plus efficace de gouvernement,car elle défend les intérêts généraux de la nation grâce à un pouvoir central fort tout en permettant d’accommoder les différences religieuses,culturelles et linguistiques avec la dévolution de compétences au gouvernement locaux.Comme l’explique Langevin:

Ce que nous souhaitons,c’est défendre les intérêts généraux d’un grand pays et d’une grande nation,au moyen d’un pouvoir central.D’un autre côté,nous ne voulons pas faire disparaître nos différentes coutumes,nos mœurs,nos lois;au contraire,c’est là précisément ce que nous désirons le plus protéger par la confédération.Sous le nouveau régime,il n’y aura pas plus raison qu’aujourd’hui de perdre notre qualité de Français ou d’Anglais,sous prétexte que nous devrions tous avoir les mêmes intérêts généraux;et nos intérêts de race,de religion et de nationalité resteront ce qu’ils sont aujourd’hui.⑱Cité par Jean-François Caron.« Le Québec et la Confédération »:le fédéralisme et la théorie du pacte ».Dans Jean-François Caron and Marcel Martel (dir.).Le Canada français et la Confédération,Fondements et bilan critique.Québec:Presses de l’Université Laval (PUL),2016,p.50.

Macdonald consent bon gré mal gré à une fédération avec un gouvernement central fort dans les domaines qui relèvent de l’intérêt national (banque,poste,commerce,chemin de fer,défense,etc.),tandis que les provinces - au nombre de quatre au début - disposent de pouvoirs dans les champs de compétences plus locaux,dont l’éducation.

Pour les Canadiens français de l’époque vivant au Bas-Canada,ce compromis symbolise une grande victoire puisqu’ils possèdent désormais leur propre gouvernement provincial (le Québec) et celui-ci dispose de pouvoirs dans des champs d’activités comme l’éducation,la culture,la santé et les affaires sociales pour maintenir leurs particularismes nationaux.⑲George Ramsay Cook.Provincial Autonomy,Minority Rights and the Compact Theory,1867-1921.Ottawa:Queen’s Printer,1969;Robert C.Vipond.« 1787 and 1867:The Federal Principle and Canadian Confederation Reconsidered ».Canadian Journal of Political Science/Revue canadienne de science politique,vol.22,n°1 (mars 1989),p.3-25;Stéphane Paquin.L’invention d’un mythe,Le pacte entre deux peuples fondateurs.Montréal:VLB éditeur,1999;Paul Romney.« Provincial Equality,Special Status and the Compact Theory of Confederation ».Canadian Journal of Political Science/Revue canadienne de science politique,vol.32,no°1 (1999),p.21-39.Le journalLa Minervede la ville de Québec commente ainsi l’avènement d’un État provincial:« On y voit la reconnaissance d’une nationalité canadienne-française.Comme nationalité distincte et séparée,nous formons un État dans l’État,avec la pleine jouissance de nos droits,la reconnaissance formelle de notre indépendance nationale ».⑳Cité par Frenette.Histoire des Canadiens français,p.73-75.

Cependant,le problème des minorités religieuses et linguistiques n’est pas résolu.Comme l’a bien montré l’historien Marcel Martel,dans un texte sur la question,aucun membre des minorités francophones n’était à la table de négociation aux Conférences de Québec et de Londres.De plus,les députés francophones du Bas-Canada ont montré peu d’intérêt pour cette partie de la population.La protection des droits des francophones se limitait aux frontières de la future province du Québec et consistait à accorder aux francophones du Bas-Canada un gouvernement provincial pour garantir leur autonomie politique.Les délégués québécois n’étaient pas prêts à risquer de perdre les gains politiques pour le Québec en défendant les intérêts des minorités francophones.La seule voie qui restait donc aux francophones des autres colonies pour se faire entendre était celle de leur législature locale avec un effet limité sur les négociations compte tenu de leur poids très minoritaire.Marcel Martel.« Ils n’étaient pas à la table des négociations:les francophones en milieu minoritaire et leur expérience concernant le pacte confédératif ».Dans Jean-François Caron et Marcel Martel (dir.).Le Canada français et la Confédération,Fondements et bilan critique.Québec:Presses de l’Université Laval (PUL),2016,p.55-80.Voir aussi Jean-Charles Bonenfant.Les Canadiens français et la naissance de la Confédération.Ottawa:Société historique du Canada,1966),p.9;Pierre Savard.« Relations avec le Québec».Dans Cornelius J.Jaenen (dir.).Les Franco-Ontariens.Ottawa:Les Presses de l’Université d’Ottawa,1993,p.233.

Les catholiques de langue anglaise sont aussi exclus des négociations.Toutefois,l’énergique archevêque d’Halifax,en Nouvelle-Écosse,Thomas-Louis Connolly,se rend lui-même à Londres pour plaider la cause des catholiques de langue anglaise.Il s’oppose à ce que l’éducation relève des provinces,ce qui placerait les catholiques sous le contrôle de gouvernements dirigés immanquablement par des majorités protestantes et menacerait leurs acquis en éducation.Il propose plutôt de confier l’éducation au gouvernement central qui est le mieux placé pour assurer le respect des droits des minorités religieuses.Thomas Louis Connolly.Dictionnaire biographique du Canada.[En ligne] Http://www.bio- graphi.ca/fr/bio/connolly_thomas_louis_10F.html.Page Consultée le 4 juin 2018.Une proposition inacceptable pour Cartier et Langevin qui risquerait de faire perdre un gain majeur pour les francophones de la future province du Québec qui tenaient à exercer un contrôle sur leur système d’éducation.L’opposition de Cartier et de Langevin fait échouer le projet de Mgr Connolly.Andrée Désilets.Hector-Louis Langevin:Un père de la Confédération canadienne,1826-1906.Québec:Les Presses de l’Université Laval (PUL),1969,p.153-162.

Les délégués s’en tiennent à la résolution 43,adoptée à la Conférence de Québec,qui précise que« les droits et privilèges que les minorités catholiques ou protestantes dans les deux Canadas posséderont par rapport à leurs écoles séparées au moment de l’union » ne seront pas affectés.Toutefois,devant l’opposition des catholiques des Maritimes qui se sentent floués,on leur promet que si leurs provinces voulaient reconnaître législativement un droit aux écoles catholiques,elles pourraient le faire après l’entrée en vigueur de la Confédération,ce à quoi ne s’opposeraient ni le Québec ni l’Ontario.Les résolutions de la Conférence de Québec - octobre 1864 (Les 72 Résolutions).Bibliothèque et Archives Canada.[En ligne] Http://www.collectionscanada.gc.ca/confederation/023001- 7104-f.html.Page consultée le 4 juillet 2018.

C’est Alexander T.Galt,député du comté de Sherbrooke,ministre influent dans le cabinet Macdonald-Cartier et surtout défenseur des protestants de langue anglaise au Bas-Canada qui trouve le compromis.Lors de la Conférence de Londres en 1866,il parvient à convaincre les délégués d’inclure dans les résolutions un droit de faire appel au gouvernement central que les minorités catholiques et protestantes pourront utiliser si les provinces légifèrent pour limiter leurs droits scolaires.H.B.Timothy.The Galts:A Canadian Odyssey.Alexander Tilloch Galt 1817-1893,Elliot Torrance Galt,1850-1928.Toronto:McClelland and Stewart,1984,p.106.

4.L’article 93:compromis politique ou marché de dupes

La constitution canadienne (Loi constitutionnelle de 1867),adoptée lors de la proclamation le 1er juillet 1867 de l’Acte confédératif et connue sous le nom deL’Acte de l’Amérique du Nord britannique(AANB),constitue,notamment avec l’article 93,la pierre angulaire du compromis politique destiné à fonder un nouvel État fédératif et à désamorcer l’enjeu explosif que pouvaient constituer les droits scolaires des minorités.

Cet article confère la pleine compétence en éducation aux provinces.Il stipule aussi que les lois scolaires adoptées dans les décennies précédentes au Haut-Canada (Ontario) et au Bas-Canada (Québec),respectivement pour la minorité catholique et anglo-protestante,seront reconnues dans le nouveau régime politique.Enfin,le gouvernement fédéral (ou central) dispose d’un pouvoir « réparateur » lui permettant d’annuler une loi provinciale qui ne respecterait pas les droits scolaires des minorités reconnus dans l’article 93 et de rétablir ces droits en adoptant sa propre loi:

- dans toute province où existe un système d’écoles séparées ou dissidentes reconnu par une loi,avant ou après l’entrée en vigueur de la Confédération,il sera possible de faire appel au gouverneur en conseil (le gouvernement fédéral) de toute loi ou décision d’une autorité provinciale affectant tout droit ou privilège de la minorité protestante ou catholique romaine;

- si une province n’adopte pas de loi ou ne met pas en œuvre une décision du gouverneur en conseil,le parlement pourra adopter une loi réparatrice en tant seulement que les circonstances de chaque cas l’exigeront.Constitution Act,1867,art.93.

Ainsi,l’article 93 semblait constituer un juste compromis entre l’autonomie des provinces et le respect des droits scolaires des minorités.Toutefois,il réserve de mauvaises surprises pour les décennies à venir aux minorités catholiques et francophones.En effet,l’article 93 comporte d’importantes limites aussi.Il reconnaît les droits scolaires des minorités catholiques et protestantes établis par le parlement antérieurement à l’adoption de l’AANB sans se référer à l’accès à une éducation de langue française.Pour les contemporains francophones,l’appartenance religieuse avait la primauté sur la langue,mais cette appartenance religieuse était intimement liée à des traditions nationales et linguistiques qui faisaient que religion et langue étaient presque synonymes et constituaient deux éléments indissociables de l’identité culturelle.Dans l’esprit des francophones de l’époque,une école confessionnelle offrait la meilleure garantie pour protéger la langue à un tel point qu’ils ne jugèrent pas nécessaire d’exiger des garanties linguistiques dans l’article 93.Celles-ci étaient à leurs yeux clairement sous-entendus dans la confessionnalité scolaire.

Ensuite,l’article 93 reconnaît une existence légale uniquement aux écoles établiesde jurepar le parlement et non pas à celles qui existaientde factopar la coutume et qui étaient tolérées par le gouvernement comme c’était le cas au Nouveau-Brunswick,en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard.Dans ces colonies,la hiérarchie catholique avait créé ses propres écoles et le gouvernement colonial consentait à leur accorder des subventions.Toutefois,dans le nouveau régime politique,ces écoles ne bénéficiaient d’aucune protection constitutionnelle contrairement aux écoles catholiques au Haut-Canada et aux écoles protestantes au Bas-Canada créées par le parlement.

Enfin,rien n’a été prévu au sujet des pouvoirs,responsabilités et obligations des provinces qui seraient nouvellement créées concernant les droits scolaires de la minorité catholique et francophone.Ainsi,ce vide juridique ouvrait la porte à tous les scénarios potentiels dans l’éventualité de la création de nouvelles provinces et obligeait les différentes parties à négocier au cas par cas en fonction notamment du contexte politique et des rapports de force existants.

Pour les Canadiens anglais de l’époque,l’AANB constitue l’acte de naissance d’une nation britannique d’Amérique du Nord.L’une des préoccupations de leurs élites est d’établir un système scolaire public qui favoriserait la construction d’une nouvelle citoyenneté politique fondée sur l’appartenance à l’Empire britannique -Britishness-,à ses institutions parlementaires,ainsi qu’à une culture et une langue communes.L’article 93 dote les législatures provinciales d’un instrument politique important - l’école - qui doit servir à forger une nouvelle nation en favorisant une éducation publique pour tous indépendamment de la religion,de la culture ou de la langue.

Beaucoup de nationalistes canadiens-anglais de l’époque tolèrent bon gré mal gré le fait français et la religion catholique à l’intérieur des frontières du Québec,mais dans leur esprit,le conformisme culturel et religieux anglo-protestant doit prévaloir dans le reste du pays.Pour une bonne partie de la population canadienne-anglaise,les écoles catholiques « séparées » encouragent les divisions religieuses,entretiennent les préjugés raciaux et surtout provoquent des conflits ethnoculturels.Elles sont un obstacle à l’unité nationale fondée sur une vision homogénéisante de la nation,tandis que l’école publique favorise l’union et l’harmonie en fondant dans une même citoyenneté les différents peuples,cultures et religions.Howard Palmer.« Reluctant Host:Anglo-Canadian Views of Multiculturalism in the Twentieth Century ».Dans R.Douglas Francis,Donald B.Smith (dir.).Readings in Canadian History:Post-Confederation.Toronto:Harcourt Brace,1998,p.125-139.

Pour l’éducateur Percival F.Morley,le fait français peut être toléré dans la province de Québec,mais les francophones qui migrent dans les autres provinces doivent se fondre dans la majorité anglophone pour préserver l’unité nationale:

In effect the attitude of English to French Canada might be expressed as follows:“We have ceded you one province as your special preserve,and we shall content ourselves with the remaining eight provinces and the territorial districts,including all lands hitherto unorganized or unexplored;in these our own language and institutions are to be the normal and established ones,and should we,at any time,care to come into your territory,we shall,of course,be free to do so,bringing with us our customs and institutions;while,in the event of your coming into our territory,you will doubtless be willing and glad to renounce your special rights in exchange for the privilege of being amongst us.We hope and trust you will rejoice inthis arrangement,which will,we believe,serve but further to cement the bond of good fellowship already existing between us.”.P.F.Morley.Bridging the chasm:A study of the Ontario-Quebec question.Toronto:J.M.Dent and Sons,1919,p.73-74.

Pour les élites canadiennes-françaises,la fédération de 1867 est plutôt un pacte entre deux nations fondatrices,les Canadiens anglais et les Canadiens français,qui disposent des mêmes droits politiques,culturels et religieux à l’échelle du pays sans égard à leur poids démographique ou leur statut majoritaire ou minoritaire.L’AANB inscrit la dualité nationale et culturelle qui reconnait d’abord le Québec comme foyer national des francophones en lui octroyant une autonomie politique et des pouvoirs dans les domaines de la culture,de la langue et de l’éducation.Ensuite,toujours selon l’interprétation dualiste de ces élites,l’article 93 assure le devenir des Canadiens français à travers le pays en leur garantissant explicitement des droits religieux et implicitement des droits linguistiques en éducation.

Henri Bourassa,politicien et fondateur du journalLe Devoir,a été l’un des défenseurs les plus éloquents de cette conception dualiste du Canada et en a fait le combat de sa carrière politique:

Par sa constitution politique,par sa composition ethnique,comme par le droit naturel,le Canada est une confédération anglo-française,le produit de l’union féconde de deux grandes et nobles races.Il doit rester,sous l’égide de la Couronne d’Angleterre,le patrimoine d’un peuple bilingue.Aucune de ces deux races n’a le droit de dominer l’autre,de lui imposer,soit dans le gouvernement intérieur du pays,soit à l’égard de la mère-patrie,une politique contraire à la tradition et aux intérêts communs de la confédération.Henri Bourassa,«Le Canada doit-il être français ou anglais ?»,Le Devoir,26 juillet 1910.

En fait,c’est véritablement un fossé qui sépare ces deux conceptions nationales qui ne tarderont pas à s’affronter dès les lendemains de la proclamation de la fédération en 1867.En effet,les Canadiens anglais s’attachent à une lecture de l’article 93 fondée sur la lettre qui est beaucoup plus restrictive et qui confie aux provinces la gestion pleine et entière du champ éducatif.En d’autres termes,l’AANB est une entente de partage des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les provinces.Tandis que les Canadiens français font une lecture de l’AANB davantage fondée sur l’esprit et beaucoup plus interprétative qui le voit comme un pacte d’honneur et de réciprocité entre deux nations fondatrices qui se reconnaissent des droits égaux.Le fossé entre ces deux conceptions nationales ne tardera pas à se révéler au grand jour par une série de crises scolaires,dont la première survient au Nouveau-Brunswick à peine quatre ans après l’adoption du nouveau régime politique et qui ébranlera le pays dans ses nouvelles fondations qui sont,comme nous le verrons dans la seconde partie,très fragiles.

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