par Li Xiaoyu
Confrontées à une concurrence accrue, les chaînes de restauration rapide américaines en Chine n’hésitent pas à prendre le virage stratégique en s’ancrant dans la culture locale
Les consommateurs chinois ont pris goût à la restauration rapide.
Wang Lihu, un Pékinois de 37 ans, se souvient encore de l’année 1987, date à laquelle KFC a mis le pied en Chine.Le géant américain du poulet frit a ouvert son premier restaurant sur l’avenue touristique Qianmen, située dans le prolongement direct de la place Tian’anmen. C’était la première fois qu’il a pu se régaler d’un« repas occidental ».
« Si mes parents m’ont amené au KFC,c’est parce que j’étais malade. Depuis, je tombe volontairement malade de temps en temps. Et une fois que je suis sorti du KFC,la maladie est automatiquement guérie »,relate M. Wang en souriant. Il n’hésite pas non plus à se remémorer avec émotion la longue queue des clients devant le restaurant et l’odeur du poulet frit qui lui a mis l’eau à la bouche.
L’expérience de M. Wang n’est pas un cas isolé. Chiffres à l’appui. Le premier restaurant McDonald’s sur le territoire chinois a ouvert ses portes en octobre 1990 à Shenzhen,réalisant en un mois 226 000 transactions avec un chiffre d’affaires record de 5,88 millions de yuans (882 600 dollars).Le restaurant KFC de Qianmen a donc pu récupérer son investissement initial de 3,75 millions de yuans (562 800 dollars) en seulement un an et demi.
Il s’agissait, dans une certaine mesure,de l’âge d’or des chaînes de restauration rapide américaines en Chine. Celles-ci béné ficiaient d’une grande notoriété auprès des consommateurs chinois, qui trouvaient là une manière abordable de s’ouvrir à l’étranger. En effet, leur succès était porté par l’engouement pour la découverte du mode de vie occidental, et avait été l’un des symboles de l’ouverture de la Chine à l’Occident.
Si les produits et les campagnes de marketing [du fastfood américain] se multiplient, pour les consommateurs chinois, l’une de ses valeurs ajoutées les plus précieuses –l’attrait de la curiosité –a été perdue.
ZENG HUI,un expert indépendant en restauration
Or, avec la mondialisation et l’approfondissement de la réforme et de l’ouverture,l’âge d’or s’est envolé. « Aujourd’hui, KFC n’a rien de particulier pour moi. Si parfois j’y mange, c’est uniquement parce que c’est bon marché », confie M. Wang. L’expert indépendant en restauration, M. Zeng Hui, estime également que « si les produits et les campagnes de marketing [du fastfood américain] se multiplient, pour les consommateurs chinois, l’une de ses valeurs ajoutées les plus précieuses – l’attrait de la curiosité – a été perdue. » De plus,confrontés à l’attention grandissante que les Chinois portent à la qualité de leur alimentation, les vendeurs des hamburgers voient les consommateurs se détourner progressivement de leurs produits trop gras et trop sucrés.
Outre ces déboires, la réputation des chaînes de restauration rapide implantées en Chine a également été entachée suite à des scandales sur la sécurité alimentaire. En juillet 2014, un reportage télévisé a révélé que l’un des fournisseurs de Yum China,propriétaire de KFC et de Pizza Hut, utilisait de la viande dont la date de péremption était dépassée. Les retombées ne se sont pas fait attendre. Les ventes des restaurants Yum China se sont contractées de 10 % au deuxième trimestre 2015, davantage que le recul de 8,4 % attendu par les analystes,selon le cabinet d’études Consensus Metrix.
Mais d’après Ben Cavender, analyste au China Market Research Group, le plus grand défide KFC ou McDonald’s vient d’une concurrence accrue, notamment avec l’essor de la restauration en ligne. Selon un rapport publié par Meituan Waimai, une entreprise de livraison de nourriture en Chine, le marché chinois de la restauration en ligne a atteint 204,6 milliards de yuans(environ 30,7 milliards de dollars) en 2017,en hausse de 23 % en glissement annuel.Selon Yang Wenjie, un des responsables de Meituan Waimai, cette croissance a pour origine les villes de moindre taille, qui ont enregistré une expansion plus rapide des commandes par rapport aux grandes villes.La prospérité du marché chinois de la restauration en ligne a également été stimulée par la popularité du paiement mobile.Environ 60 % des Chinois ont déjà payé leur repas via leurs smartphones, selon l’Association de la cuisine de Chine.
Frappées par une série de scandales et confrontées à une concurrence locale de plus en plus rude, les enseignes étrangères misent désormais sur l’adaptation pour reprendre du terrain.
L’une des cartes à jouer consiste à ajouter au menu des spécialités locales – jugées plus saines – pour fidéliser la clientèle, comme ce fut le cas avec les rouleaux au poulet à la pékinoise ou encore les ailes de poulet avec du riz lancés par KFC. Même McDonald’s,qui campe toujours sur son statut en tant que roi du Big Mac, ne résiste pas à la tendance. En 2013, le géant des hamburgers a lancé d’un seul coup quatre produits de riz.Trois ans plus tard, il a adapté son menu en lançant du pain à la vapeur et de la bouillie,qui sont les composants indispensables d’un petit-déjeuner traditionnel chinois.La stratégie d’adaptation ne concerne pas uniquement le menu. Pour réduire leurs coûts opérationnels, les multinationales se tournent vers le marché local pour assurer leur approvisionnement. Lorsque KFC a pénétré le marché chinois en 1987, presque toutes les matières premières étaient importées de l’étranger, y compris le sel. Près de quinze ans plus tard, le taux de localisation a déjà atteint 95 %, avec plus de 1 400 produits provenant du marché local, a fait savoir en 2003 M. Han Dingguo, à l’époque vice-président de Yum China.
En outre, les leaders mondiaux de la restauration rapide entendent désormais élargir leur présence aux petites et moyennes villes chinoises, souvent perçues comme de formidables relais de croissance économique. De fait, ces agglomérations « de troisième et quatrième catégories » représenteront 45 % des restaurants McDo en Chine d’ici 2022, selon un communiqué publié par la firme en août 2017.
En même temps, la direction du groupe a confirmé son partenariat avec le conglomérat chinois Citic et le fonds d’investissement américain Carlyle, qui administreront ensemble la franchise chinoise de McDonald’s. Franchiser l’ensemble de son offre tout en gardant une participation minoritaire est en effet pour le groupe de l’Illinois un moyen de développer son réseau dans un marché chinois crucial tout en tentant de conforter sa rentabilité. Le groupe n’est d’ailleurs pas le seul à changer de modèle en Chine. Yum China veut également devenir un pur franchiseur. L’opération de partenariat permettra une réduction importante des coûts opérationnels, et est devenue nécessaire après l’avancée fulgurante des concurrents locaux, indique l’analyste Ben Cavender.