LIU YI, membre de la rédaction
Réduire la pauvreté grâce au partage des expériences - Interview exclusive du Dr Vincent Martin, représentant de la FAO en Chine
LIU YI, membre de la rédaction
Vincent Martin, représentant de la FAO en Chine
Ces trente dernières années, entre 1978 et 2010, plus de 600 millions de Chinois ont dit adieu à la pauvreté. En 2015, la Chine a même lancé une nouvelle campagne promettant d’éradiquer complètement la pauvreté dans le pays. Ainsi a-t-elle considérablement contribué à la baisse de la pauvreté dans le monde.
« La Chine a impressionné le monde entier de par ses accomplissements en matière de réduction de la pauvreté au cours des trois dernières décennies. Son expérience sera fort utile et inspirante pour les autres pays », a commenté le Dr Vincent Martin, représentant de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en Chine. La FAO est la plus grande agence internationale œuvrant pour le développement agricole, la sécurité alimentaire et la résorption de la pauvreté. Dans ces domaines, elle maintient une collaboration étroite avec le gouvernement chinois depuis plus de 35 ans.
M. Martin est titulaire d’un doctorat en médicine vétérinaire, complété par un autre doctorat en sciences agronomiques et ingénierie biologique. Il y a environ dix ans, il a occupé le poste de conseiller technique expert à la FAO à Beijing et créé le Bureau chinois du Centre d’urgence pour la lutte contre les maladies animales transfrontières (ECTAD). En août 2016, il est revenu en Chine pour prendre la tête du Bureau chinois de la FAO.
PourLa Chine au présent, le fin observateur qu’est le Dr Martin a résumé les principaux éléments qui ont conduit la Chine à triompher dans la lutte contre la pauvreté, tout en soulignant l’importance de promouvoir l’expérience chinoise auprès des autres pays.
Examinant les réalisations de la Chine concernant la réduction de la pauvreté, le Dr Martin a énuméré quatre facteurs clés qui méritent d’être partagés avec les autres pays. Le premier et plus important de tous, selon lui, est cette solide capacité de direction à même de faire avancer la campagne instaurée.
« Le soutien fort émanant des plus hautes sphères du pouvoir a été redistribué aux échelons inférieurs du gouvernement : aux niveaux de la province, de la préfecture et du district, jusqu’aux communautés », a indiqué le Dr Martin. Depuis sa prise de fonction en août 2016, ce dernier a visité dans de nombreuses zones défavorisées, notamment des petits villages dans la province du Sichuan. « J’ai pu constater que le gouvernement, à tous les niveaux, attache une grande importance à la question de la réduction de la pauvreté. »
Le deuxième élément correspond au caractère multidimensionnel des actions entreprises. La pauvreté n’est pas un phénomène isolé, a rappelé le Dr Martin. Les raisons qui en sont la cause sont variables et interconnectées. Par conséquent, il est impossible d’éradiquer la pauvreté selon une perspective unique ; il faut traiter le problème dans son ensemble. C’est pourquoi la Chine a combiné les efforts des différents ministères et disciplines (comme l’enseignement agricole, la santé et la sécurité sociale) ainsi que ceux des différents secteurs incluant diverses industries (comme l’agriculture).
Le choix des méthodes de ciblage forme le troisième facteur. Alors qu’il travaillait, il y a plusieurs années de cela, sur une mission de sécurité alimentaire de longue durée, le Dr Martin s’est rendu compte que certains pays n’arrivaient pas à prendre un ferme engagement envers la réduction de la pauvreté, d’abord parce que le gouvernement ne savait ni qui étaient les plus miséreux ni où ils se trouvaient, et encore moins comment les aider.
Les stratégies de lutte contre la pauvreté peuvent être menées à bien et jouer leur rôle uniquement si les groupes spécifiquement concernés sont recherchés et identifiés. Cependant, constituer une base de données compilant ces renseignements demande du temps et de l’énergie. Suivant cette idée, la campagne d’élimination dela pauvreté que la Chine a lancée en 2015 avance uniquement des mesures ciblées et précises. Les familles et villages qui sont toujours en proie à la pauvreté ont été répertoriés ; les informations les concernant ont été soigneusement saisies, une par une, et sont mises à jour régulièrement. Les solutions proposées sont établies en fonction de la situation spéci fique à chaque famille. Le Dr Martin estime que les mesures ciblées sont la clé pour éradiquer la pauvreté, ce qu’il résume de la façon suivante : « Si le gouvernement ne sait pas où se trouvent les personnes dans le besoin, la politique de réduction de la pauvreté perdra de vue son objectif. »
En dernier point mais non des moindres, nous avons l’innovation. « Pour donner aux pauvres les moyens de sortir de leur condition, il est nécessaire de faire appel aux nouvelles technologies disponibles dans la société d’aujourd’hui, en particulier en Chine où Internet et l’informatique en général sont si largement utilisés, a af firmé le Dr Martin. Ces technologies, qui n’existaient pas deux décennies plus tôt, peuvent désormais aider les paysans à accéder au marché, pour en fin raccourcir la distance qui sépare les marchés et les petits exploitants. »
Les chefs de projet de la FAO effectuent une recherche de terrain et partagent leurs expériences de réduction de la pauvreté à Zhaotong, dans la province du Yunnan, en mai 2017.
Fin mai, une base de données en ligne pour le partage des connaissances sur la réduction de la pauvreté dans le monde a été lancée à Beijing, avec la participation active de la FAO. Cette base de données sert de plate-forme pour faire part des expériences réussies dans le domaine correspondant, en Chine comme dans d’autres pays. Elle devrait bientôt s’ériger en un centre de partage des connaissances combinant les divers politiques, stratégies et exemples propres à la résorption de la pauvreté. Le Dr Martin qualifie cette base de données de progrès notable, affirmant que l’innovation dans le partage des politiques est la pratique à suivre pour que soit érigé un monde où personne n’est laissé de côté.
« Probablement est-il impossible de collecter les expériences heureuses de la Chine et de les transplanter directement dans un autre pays », a avoué le Dr Martin, car chaque nation présente un contexte géographique, historique, politique et culturel qui lui est propre. Néanmoins, ces pratiques réussies seront sans nul doute source d’inspiration, a-t-il ajouté. Chacun peut apprendre de ces expériences et en extraire certains principes universels, par exemple les quatre facteurs clés susmentionnés. « De nombreux pays ont à cœur de découvrir les actions menées par la Chine, hier et aujourd’hui. »
D’après les observations du Dr Martin, les pays en développement ont commencé à partager leurs expériences acquises, avec la Chine en chef de file de la coopération Sud-Sud. « La coopération Sud-Sud se révèle bien plus importante de nos jours », a-t-il souligné, car ces pays affichent davantage de points communs si l’on regarde leur stade de développement et les défis auxquels ils sont confrontés.
Notons au passage que les pays du Nord tirent également des leçons des pays moins développés. Le Dr Martin a donné l’exemple de l’innovation frugale. Les citoyens des pays occidentaux ont découvert comment les peuples d’Afrique et d’Asie résolvent certains problèmes avec des ressources et budgets limités, en recourant à des méthodes plus traditionnelles et naturelles. L’échange et le partage entre les pays est toujours important et bénéfique pour tous, a conclu le Dr Martin.
La saison des récoltes à la bannière d’Aohan en Mongolie intérieure. Les agriculteurs locaux bénéficient du programme de formation de la FAO qui promeut la biodiversité agricole et la création d’un écosystème résistant.
D’après le Dr Martin, la Chine est en première ligne à la fois dans l’élimination de la pauvreté et dans la coopération Sud-Sud ; tandis que l’initiative des Nouvelles Routes de la Soielancée par la Chine il y a quelques années offre de vastes opportunités de progresser dans ces tâches.
Il a fait remarquer que les pays le long des Nouvelles Routes de la Soie sont pour la plupart moins développés, avec un PIB reposant sur l’agriculture à hauteur de 40 % en moyenne. « Beaucoup de secteurs doivent encore être développés, comme les infrastructures, l’industrie et l’énergie, bien que l’agriculture ne doive pas pour autant être négligée. » Selon lui, la production et le commerce des produits alimentaires jouent un rôle majeur dans l’emploi des agriculteurs, tout en garantissant la sécurité alimentaire et l’approvisionnement en nourriture pour les plus défavorisés. Et plus largement, ils permettent de réaliser un développement durable. « Dans ces pays, l’agriculture demeure l’épine dorsale, le secteur clé de l’économie. »
Tenant compte de cette situation, la FAO est la première organisation internationale à avoir formulé un cadre stratégique spécial pour la coordination des politiques s’inscrivant dans l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie. Le directeur général de la FAO, José Graziano da Silva, a d’ailleurs assisté au Forum de « la Ceinture et la Route » pour la coopération internationale, tenu en mai dernier à Beijing.
Le Dr Martin a confié, en toute franchise, que son équipe essayait de s’adapter au rythme de croissance soutenu, à l’économie en pleine évolution et à l’environnement global de la Chine. En mai 2017, son bureau a finalisé un plan sur quatre ans, intituléCadre de Programmation Pays, qui a été transmis aux partenaires, y compris les agences des Nations Unies et les départements chinois concernés.
Partager l’expérience de la Chine reste la priorité dans l’ordre du jour. Dans cet esprit, la FAO est actuellement en étroite collaboration avec le Centre international de réduction de la pauvreté en Chine pour dispenser des formations et mettre en avant des exemples et des modèles de réussite. À la mi-juin, la FAO a organisé une formation internationale sur la combinaison riziculture-aquaculture utilisée à Kunming (province du Yunnan) et y a convié plusieurs pays voisins. Cette méthode traditionnelle est utilisée depuis longtemps dans le sud de la Chine et en Asie du Sud-Est et vient d’être remise au goût du jour grâce aux nouvelles technologies.
La production agricole durable, qui prend en considération les enjeux du changement climatique, est un autre axe clé sur lequel travaille le Dr Martin, qui prône la maxime : « Produire plus avec moins, de façon durable ». Le Bureau chinois de la FAO, en coordination avec le ministère de l’Agriculture, a lancé un programme spécial d’« École d’agriculture pratique », dans l’optique de renforcer le principe écologique dans l’agriculture.
En tant qu’expert des urgences liées aux maladies infectieuses, le Dr Martin a également inscrit la réduction des maladies animales transfrontières sur sa liste des priorités absolues pour les quatre prochaines années. Il est revenu sur le grave épisode de la grippe aviaire en 2004 et sur la manière dont le virus s’est propagé de l’Asie vers l’Europe et l’Afrique, causant de lourdes pertes économiques ainsi qu’une crise sanitaire majeure menaçant des vies humaines.
Au final, dans notre monde, les hommes, les animaux et tous les êtres vivants évoluent en étroite interconnexion et interdépendance, et c’est pourquoi, insiste le Dr Martin, le partage et la coopération sont cruciaux.
Ce projet sur une plantation de thé à Fuzhou, dans la province du Fujian, est parrainé par le programme Systèmes ingénieux du patrimoine agricole mondial (GIAHS) de la FAO. La Chine est devenue l’un des grands pays promoteurs de GIAHS.