Au rythme du djembe
Un passionné chinois promeut le djembe en Chine suivant les enseignements du célèbre Mamady Keïta par Rachel Richez
QUAND Zhao Yu nous parle du djembe, la passion de ce jeune Chinois de 35 ans se fait immédiatement ressentir. Le sourire contagieux qui illumine son visage dès qu’il pose ses mains sur l’instrument ouest-africain nous le conf i rme. Zhao a 25 ans lorsqu’un ami lui offre un djembe ramené comme souvenir d’un voyage. Les rythmes de la percussion originaire de la culture malinké le séduisent aussitôt. Il décide d’apprendre à en jouer, mais ne trouvant pas de professeur à Beijing, il s’entraine d’abord seul. Après cinq ans, il a l’impression de ne plus pouvoir progresser sans accompagnement professionnel et décide alors de contacter le musicien qu’il admire le plus : le percussionniste guinéen Mamady Keïta. Déterminé, Zhao se rend aux États-Unis en 2011 pour participer au séminaire annuel organisé par le célèbre djembefola (joueur de djembe en malinké).
La vie du jeune homme ne sera par la suite plus jamais la même : « Après avoir étudié avec Mamady Keïta pour la première fois, quelque chose a changé. J’ai compris que si je jouais bien, je pouvais changer ma vie. Alors j’ai quitté mon emploi et j’ai ouvert un studio pour enseigner le djembe. » Cette décision surprend sa famille et ses amis, pour qui le djembe n’est qu’un loisir. En dépit du désaccord de ses parents, Zhao met f i n à sa carrière de journaliste pour vivre pleinement sa passion. Aujourd’hui, il est plus que jamais satisfait de ce choix : « Après les études, mon rêve était de voyager autour du monde, de voir différents océans, différentes villes. Parfois, j’avais de l’argent mais pas de temps, d’autres fois, j’avais du temps, mais pas d’argent. En enseignant le djembe, je ne gagne pas beaucoup d’argent, mais je voyage autour du monde. Alors mon rêve s’est réalisé. » Chaque année, Zhao se rend aux séminaires de Mamady Keïta, organisés partout dans le monde. Il a ainsi pu visiter les États-Unis, le Japon, le Mexique et la Guinée. Son admiration pour le percussionniste africain est évidente : « C’est comme mon père », avoue-t-il à CHINAFRIQUE, évoquant la grande sagesse du djembefola de 66 ans.
Apprendre le djembe est bien plus que l’apprentissage d’un simple instrument. Pour bien en jouer, il faut accepter de se plonger dans la culture malinké. « Quand vous jouez du djembe, il faut comprendre la culture, parce qu’elle est très importante. Je rappelle toujours à mes élèves pourquoi nous jouons du djembe : parce qu’on veut se rapprocher d’autres cultures, d’autres personnes, d’autres pays », explique Zhao.
L’instrument est depuis longtemps un outil favorisant les échanges culturels. Après l’indépendance de la Guinée, en 1958, le premier Président du pays, Ahmed Sékou Touré, était déterminé à promouvoir la culture guinéenne dans le monde. Dans cet objectif, il crée de nombreuses troupes de danse, appelées ballets, pour diffuser la danse et la musique traditionnelles guinéennes. Outre leur visée culturelle, ces troupes permettent au Président de rapprocher les coutumes et les rites de diverses ethnies du pays, renforçant ainsi l’identité nationale des Guinéens. Les résultats de cette priorité culturelle sont encore visibles dans le pays, comme le raconte Zhao : « La Guinée est un pays pauvre, mais ils ont la meilleure musique du monde. Tout le monde est musicien, les femmes chantent et dansent, les hommes jouent de la guitare ou du djembe. »
Né en 1950, Mamady Keïta fait partie de la génération d’artistes formés sous l’initiative du Président Touré. Il a 7 ans quand il commence à jouer du djembe à Balandugu, son village natal au nord-est de la Guinée. À 12 ans, il est recruté pour faire partie du premier Ballet régional de Siguiri, et deux ans plus tard il est sélectionné pour intégrer le Ballet national Djoliba, après une formation intensive de neuf mois. Avec cette troupe, il voyage dans le mondepour promouvoir la culture guinéenne. Il se souvient clairement de son premier voyage en Chine, en 1965 : « Ce qui m’a le plus impressionné, c’est l’accueil des Chinois. Dans chaque ville, nous étions toujours accueillis chaleureusement. On nous traitait toujours avec respect. »
Après une carrière internationale, le Guinéen ouvre la première école Tam Tam Mandingue en Belgique, en 1991. Aujourd’hui, Keïta a certif i é seize professeurs qui tiennent des branches de cette école dans neuf pays. Selon Zhao, l’intérêt pour le djembe en Chine est de plus en plus évident. « Il y a un studio dans chaque ville, des classes, des professeurs », aff i rme celui qui tient l’école Tam Tam Mandingue de Beijing. Et l’instrument semble attirer tous les âges, ses élèves allant de 8 à 65 ans.
Pour Keïta, cet intérêt pour l’instrument malinké peut s’expliquer par les similitudes entre les rythmes chinois et africains. « Dans la musique traditionnelle chinoise, il y aussi des instruments à percussion », explique-t-il à CHINAFRIQUE. Mais les liens entre Chinois et Africains dépassent la musique selon le célèbre djembefola : « Tradition, respect et nourriture », seraient aussi un important facteur d’union entre les deux peuples. Une forte union humaine, renforcée par la coopération sinoafricaine au niveau gouvernemental : « Depuis l’indépendance de la Guinée, conclut le musicien, nous avons toujours eu de très bonnes relations avec la Chine, une bonne diplomatie, et de bonnes affaires. » CA
Zhao Yu se produit dans la salle de spectacles Mako, à Beijing, en 2015.
Zhao Yu et son maître Mamady Keïta, à Conakry, en Guinée.
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