Les voix de l’espoir
Alors que les violences se poursuivent au Soudan du Sud, une chorale de jeunes flles rescapées des rues redonne espoir à la population par Sudeshna Sarkar
Les lignes de communication entre Beijing et Juba sont mauvaises. Il nous faut plusieurs essais pour réussir à joindre notre interlocutrice, et même lorsqu’on y arrive, les voix de l’autre côté sont saccadées et f i nissent par être coupées. Mais comme par magie, quand la jeune Umjima commence à chanter Christ is born in Bethlehem, l’une des plus célèbres chansons de Noël, la ligne se stabilise enf i n. La jeune f i lle de 17 ans vient de rentrer de l’école et nous parle avant de se rendre à une répétition avec sa chorale, Conf i dent Children out of Conf l ict (CCC ou Enfants conf i ants sortis du conf l it, en français). Ces jours-ci, les f i lles de la CCC pratiquent autant que possible, elles savent que leurs belles voix sont attendues dans les églises de la capitale sudsoudanaise pendant les fêtes de f i n d’année. CCC est une chorale unique, constituée de jeunes f i lles âgées de 12 à 17 ans, rescapées des rues du Soudan du Sud. Ce groupement musical représente un espoir pour la nation la plus jeune du monde, qui ne cesse de faire face à d’innombrables violences depuis la fondation du pays en juillet 2011.
Les violents affrontements dans le pays font de nombreux sans-abris, vivant dans une extrême pauvreté. La rencontre de jeunes f i lles dans cette situation émeut Cathy Groenendijk, qui décide de les aider. Née en Ouganda, Groenendijk s’installe au Soudan en 1999. Le Nord et le Sud s’affrontaient alors dans une terrible guerre civile. L’attention qu’on porte aux « garçons perdus » la surprend – plus de 20 000 enfants déplacés à cause des violences, qui périssent ou f i nissent dans des camps de réfugiés au Kenya –, alors que personne ne parle des « f i lles perdues », restées sur place après avoir subi de grands traumatismes, luttant au quotidien pour survivre. « Elles vivaient dans les rues, dans les marchés, et parfois même dans les cimetières », raconte Groenendijk. « Au début je ne faisais que leur parler, et leur offrir un repas. »
Mais en 2007, elle décide d’aller plus loin et de créer l’association CCC. Un espace où les enfants peuvent vivre, mais aussi suivre une éducation et réapprendre à vivre en société. Hébergeant majoritairement des f i lles, l’association parvient à aider de nombreux enfants et reçoit un f i nancement de l’Agence de coopération et de développement international de Suède. « Nous accueillons des enfants qui n’ont aucun autre endroit où aller. Ce sont des enfants des rues, dont beaucoup ont subi de sévères agressions. Nous sommes dans une société dominée par les hommes, et la guerre a eu un impact très fort sur les traditions », explique Groenendijk. « Nous hébergions 60 f i lles, mais avec les récents éclats de violence, nous sommes passés à 89 enfants. »
Hélène (nom d’emprunt) est née après que son père soit parti au combat. Elle vivait dans un marché avec sa mère alcoolique. « Quandj’ai rencontré Hélène, elle était très sale et mal élevée », se souvient Groenendijk. « Elle menait une vie de dangers et survivait grâce au vol. Elle avait aussi été abusée sexuellement, alors qu’elle n’avait que 7 ans. » Contrairement à Hélène, Alina (nom d’emprunt) arrive dans les locaux de la CCC accompagnée par sa mère. « Elle avait 12 ou 13 ans et son père et frères essayaient de la marier », raconte Groenendijk. « Les f i lles sont traitées comme des biens, particulièrement dans les zones de conf l it. Une f i lle est toujours imaginée comme un arbre dont on peut cueillir les fruits. Ils l’ont offerte à un homme en échange de quelques vaches. »
Des jeunes f i lles de la chorale.
Groenendijk se rend compte que beaucoup de ces f i lles ont de très belles voix, et aiment chanter. Elle décide donc de créer une chorale : « La création de la chorale semblait être le choix le plus logique pour rapprocher les f i lles, et les aider à travailler ensemble. » À leur arrivée dans le foyer, les f i lles ont du mal à communiquer, ce qui cause de nombreuses disputes. La création de la chorale en 2007 les rapproche énormément, car elles apprécient toutes cette activité. Selon Groenendijk, le chant les a transformées, leur offrant l’opportunité de se produire devant des personnalités du pays, leur donnant conf i ance en leurs capacités. « La chorale les aide à réaliser leurs rêves, et à devenir quelqu’un. »
Les jeunes f i lles de la CCC se produisent dans une église de Juba.
Quand Eleanor Caine chantait avec la Chorale de l’université Clare de Cambridge pendant ses études, puis avec la Chorale nationale de la jeunesse de Grande Bretagne, elle ne s’imaginait pas qu’un jour elle chanterait avec des jeunes f i lles du Soudan du Sud. Alors qu’elle cherchait à travailler dans le secteur du développement, elle trouve un emploi auprès d’un programme d’éducation au Soudan du Sud en 2015. C’est avec plaisir qu’elle découvre qu’une partie de son travail consiste à être bénévole dans les locaux de la CCC, notamment en aidant avec les activités musicales. « Il y a près de 15 f i lles [dans la chorale] et on se concentre majoritairement sur les voix, même si parfois nous travaillons aussi les percussions. Les f i lles sont très talentueuses, également avec les percussions », raconte Caine. « Elles n’ont pas suivi de formation, mais elles ont des voix extraordinaires. Et elles aiment chanter. »
L’un des lieux où les f i lles sont le plus f i ères de se produire est la cathédrale All Saints’ de Juba. Comme de nombreuses églises du pays, celle-ci n’a cessé d’accueillir des déplacés depuis le début du conf l it. Les jeunes f i lles sont particulièrement motivées pour Noël et le Nouvel An, une période pendant laquelle elles font résonner les chants de Noël dans la cathédrale. Leur public est majoritairement sud-Soudanais, mais elles chantent aussi souvent pour des diplomates ou la communauté internationale travaillant à Juba. « Les gens ont encore leur humanité, ils veulent améliorer les choses et célébrer Noël avec ces f i lles, qui ont beaucoup souffert », estime Caine. « Les gens veulent la paix, et cette chorale leur donne de l’espoir. »
Regina, originaire de l’État d’Équatoria-Central, qui a connu des violences en 2016, fait un très simple vœu pour Noël : « Je suis en 6e, j’espère passer en 5e», con fi e la jeune fi lle de 15 ans. « Mon vœu pour Noël est de pouvoir fi nir l’école. » Et si elle tient à fi nir son cursus scolaire, c’est qu’elle a un objectif très précis. « Je veux être ministre de l’Éducation, pour que plus d’enfants comme moi puissent aller à l’école », explique-t-elle.
Umjima est à la fois con fi ante et sociable. Toutefois, elle n’a pas toujours été comme ça : « Quand la guerre se passait à Juba et qu’on entendait des coups de feu, j’avais peur. » Mais quand elle chante, elle se sent heureuse et n’a plus peur. « Je me sens chanceuse. On m’a donné l’opportunité d’aller à l’école », insiste-t-elle. Umjima a aussi un objectif précis, « Quand je serais grande, je veux être avocate. Je veux défendre les droits des plus faibles », conclut-elle. CA
Pour vos commentaires : sarkarbjreview@outlook.com