(France) CHRISTOPHE TRONTIN
Au pays des scandales sanitaires
(France) CHRISTOPHE TRONTIN
Ce qui est drôle lorsqu'on vit en Chine, c'est voir à quelles contorsions la presse démocratique est prête à se livrer lorsqu'elle raconte ce pays. Pas de bonnes nouvelles de ce côté du globe, et toute info est systématiquement tordue dans le sens le plus pessimiste possible. Bien sûr, certains thèmes demandent plus d'agilité que d'autres et parfois, des prouesses sémantiques qui vous laissent pantois...
À en croire la presse libre et l’Internet chinois, la Chine est le pays des scandales alimentaires. Googlez « scandales alimentaires » et le moteur de recherche vous suggère instantanément de compléter « en Chine ». La Chine, paradis de la gastro-entérite ? Les produits alimentaires chinois, bouillons de culture farcis de métaux lourds et de composants toxiques, assaisonnés d’OGM frelatés ?
Jugez-en vous-mêmes d’après les titres pêchés ici et là dans la presse libre. Les Échos titrent Les fraudes alimentaires s'envolent en Chine un article qui illustre les quelque 25 000 cas annuels (en baisse pourtant ces dernières années). Le Figaro, lui, se penche sur l’affaire OSI, cette filiale d’un groupe américain fournissant les réseaux de la malbouffe globalisée, Mc Donald’s en tête Nouveau scandale alimentaire en Chine, un titre repris à l’identique par L'Obs, tandis que Le Monde s’essaie au jeu de mots : La Chine fait une indigestion de scandales alimentaires.
Et il est vrai que les affaires révélées font froid dans le dos. À chaque fois qu’il est question de victimes d’empoisonnement, on parle fielleusement de chiffres « officiels » (c’est à dire, puisqu’on est en Chine, mensongers et enjolivés). On ne lésine ni sur les superlatifs ni sur les « sources ayant demandé à rester anonymes » pour faire monter la sauce de l’émotion publique.
RFI reprend l’histoire de la viande congelée depuis les années Mao, tandis que La Tribune de Genève nous dévoile le Top 10 des scandales alimentaires chinois. Topito riposte avec son Top 12 des scandales alimentaires dont les Chinois ont le secret.
La plupart de ces articles parlent pourtant de scandales alimentaires démantelés par les autorités sanitaires chinoises, celles-ci font donc apparemment leur travail. Ce qui surprend, c’est l’interprétation qui est faite de ces révélations : à chaque réseau mafieux démantelé, à chaque empoisonneur arrêté, le sousentendu est que la nourriture chinoise est dangereuse. Mais ce pays est-il donc le seul frappé ?
Ce qui est vrai, c’est que, de plus en plus souvent et un peu partout dans le monde, les consommateurs souffrent d’une logique capitaliste menée à l’absurde : la concurrence dans le secteur agro-alimentaire est si féroce, la guerre des prix si intense, que certains petits malins se disent que remplacer un ingrédient par un autre moins cher, même s’il est un tout petit peu toxique, ça permet de faire quelques économies, ... et puis les concurrents ne s’en privent pas, eux ! Vous croyez que l’Europe et les États-Unis sont épargnés ? Détrompez-vous.
Peut-être pensiez-vous, ainsi que de nombreux Chinois, que les agro-industriels des pays occidentaux placent la santé et le bien-être des consommateurs au-dessus de leurs basses préoccupations financières. Ou que les autorités sanitaires européennes et la célèbre FDA américaine détectent et stoppent dans l’œuf le plus petit soupçon de commencement de malversation. Ou encore que l’incorruptible presse démocratique dénonce à temps tout risque de machination ? C’est vrai qu’on a vent de moins de scandales alimentaires en Occident qu’en Chine.
Mais la raison est tout autre, et on peut la trouver dans un petit recueil intitulé Bon appétit, un « conte à rebours alimentaire » composé par Benoît de Saint Girons qui recense les pratiques peu orthodoxes des supermarchés français et les bizarreries de la législation alimentaire européenne récente. Pesticides, OGM, métaux lourds, bactéries, hormones, « minerai de viande » périmé et nitrates : nos industriels de la malbouffe aiment autant que leurs collègues chinois assaisonner les plats préparés d’ingrédients que personnellement, ils n’avaleraient pour rien au monde. La différence, c’est qu’eux ont le bon goût de faire passer, avec l’aide de leurs lobbyistes à Bruxelles ou à Washington, une loi leur permettant d’empoisonner le peuple en toute légalité.
Et vous ne trouverez rien ou presque dans la presse démocratique... seuls les scandales les plus gros, les plus incontournables, auront droit à quelques jours de grabuge médiatique. On se souvient de la « vache folle » en 1986 ou de la dioxine dans les poulets en 1999... Depuis, les scandales se font rares. Dame ! Il ne faut pas trop froisser les annonceurs, ce sont eux qui paient les salaires des rédactions. Le seul ou presque qui révèle ces turpitudes, c’est le Canard enchaîné dans sa rubrique « Conflit de canard ». Après le cas classique et déjà ancien de l’aspartame (neurotoxique toujours vendu sous son nom de code E951) et celui, plus récent, des OGM autorisés sans étiquetage dans les produits affichés bio, on apprend que des nanoparticules « cancérigènes probables » farcissent désormais, avec la bénédiction des autorités sanitaires européennes, la plupart de nos aliments, bonbons compris.
Dans un silence feutré garanti par une législation de plus en plus accommodante, en Europe ou aux États-Unis, les industriels se gavent et les consommateurs paient la note, avec obésité, cancers et autres affections. Que voulez-vous, on n’arrête pas le progrès... des bénéfices de l’industrie agro-alimentaire !