GONG HAN, membre de la rédaction
1 600 villages chinois expérimentent l'Internet mobile
GONG HAN, membre de la rédaction
Une dame âgée apprend à utiliser un smartphone.
Déjà plus de 1 600 villages chinois ont rejoint la plateforme ouverte « We Country », établie le 19 août 2015 par Tencent Gongyi, fondation caritative de Tencent (grand groupe chinois spécialisé dans les services Internet et mobile). Ce projet cherche à répondre à une problématique : l’Internet mobile peut-il transformer le visage des zones rurales en Chine ?
Depuis l’aéroport de Guiyang (province du Guizhou), il faut prendre une navette, rouler 4 heures sur autoroute, puis s’engager sur une route de montagne sinueuse pendant encore 1 heure avant d’atteindre enfin le village de Tongguan, situé dans le district de Liping. Il s’agit du premier village pilote à avoir pris part au projet « We Country » de Tencent.
Tongguan abrite plus de 400 foyers, 90 % d’entre eux issus de l’ethnie minoritaire Dong. Toutefois à Tongguan, comme dans beaucoup d’autres villages chinois, les jeunes ont tendance à partir travailler dans les villes. Le village se retrouve alors essentiellement peuplé de personnes âgées et d’enfants, avec un revenu moyen par habitant ne s’élevant qu’à 2 600 yuans par an (environ 350 euros).
Dès 2009, Tencent Gongyi a lancé des recherches et des expériences pour venir en aide aux zones rurales dans les provinces du Yunnan et du Guizhou, aides qui se sont traduites essentiellement par des dons de matériel et par des initiatives de soutien scolaire. Au fil du processus, Chen Yuanyuan, directrice de la responsabilité sociale de Tencent et responsable du projet « We Country », a observé trois problèmes classiques dans les villages chinois : ces derniers sont à la fois privés d’informations, de richesses et de contact familial. Progressivement, elle a pris conscience que le besoin numéro un de ces villagesn’est ni l’argent ni l’attribution de matériel, mais un moyen d’être connecté au milieu urbain.
Cependant, même à l’ère du PC, allier Internet et ruralité n’est pas si simple, en raison du coût élevé des équipements informatiques et des possibilités de formation restreintes. Chen Yuanyuan s’est peu à peu demandé : avec l’ouverture d’un réseau, la généralisation du matériel informatique et le kit de développement Internet mobile dans le cadre du projet « We Country », Tongguan ne sera-il pas capable de rattraper son retard numérique dans un court délai ?
À l’époque, moins de 15 % de la population restée à Tongguan possédait un smartphone. Pour faire souffler un vent de modernité sur ce village, l’équipe de Tencent a fait appel à des ressources extérieures : ZTC a distribué des smartphones aux habitants ; China Mobile a dressé une antenne-relais pour couvrir le village en réseau 4G ; et Guizhou Mobile a offert aux villageois du débit d’informations. Le comité des villageois de Tongguan et les représentants du village ont ensuite reçu une formation pour commencer à utiliser la Toile, même les personnes âgées qui parmi eux ne savent ni lire ni écrire.
Tel est le cas de la mère de Feifei. Elle a obtenu un smartphone blanc tout neuf, en remplacement du vieux portable noir et blanc qu’elle utilisait auparavant, et qu’elle utilisait très peu d’ailleurs, en raison des frais de communication relativement élevés pour elle. La mère de Feifei a très vite appris à se servir de son nouveau smartphone pour surfer sur Internet et utiliser WeChat. Cette application créée par la société Tencent, comptant plus de 800 millions d’utilisateurs actifs, est aujourd’hui la plate-forme de réseau social la plus largement utilisée en Chine.
Quand la mère se dispute avec sa fille qui est également sa meilleure amie, c’est par l’envoi d’un message WeChat qu’elle l’informe de venir manger. Par ailleurs, en tant que principal membre du chœur de son village, elle a créé un groupe « choral » sur WeChat qui lui permet de rester en contact avec les autres membres, de transmettre des informations et même, de redistribuer l’argent récolté lors des représentations.
En avril 2015, la BBC est venue tourner un documentaire à Tongguan. À la fin de l’interview, la mère de Feifei a dégainé son portable et a pris l’initiative de faire un selfie avec le charmant présentateur étranger, puis s’est empressée de partager la photo avec son cercle d’amis.
Mais pour ces personnes d’un certain âge, un smartphone est surtout utile pour passer des appels vidéo à leur fils parti travailler hors du village. Un miracle inespéré il y a encore quelques années.
Tongguan a également été le premier village chinois à ouvrir un compte officiel public sur WeChat. Il s’agit d’une plateforme d’informations et de discussions à propos des affaires du village. Les abonnés peuvent non seulement consulter les communiqués locaux, les bilans financiers et des informations sur l’assurance retraite et d’autres sujets encore, mais aussi répondre à des sondages électoraux, recevoir des invitations à des activités, échanger leurs opinions sur les affaires publiques, partager des activités culturelles, etc. Les villageois peuvent même évaluer le travail effectué par le comité des villageois.
Il s’agit d’une grande innovation pour le traitement des affaires du village. Les habitants ne font pas qu’accepter, passivement, les avis publiés comme c’était le cas auparavant. Voici un exemple : un vieil homme pauvre du village a découvert sur le compte public du village que son nom n’apparaissait pas dans la liste des bénéficiaires de l’allocation de subsistance pour les résidents ruraux. Tourmenté, il a aussitôt demandé à s’entretenir avec le comité des villageois pour clarifier la situation. Après vérification, le comité a rapidement pris les mesures nécessaires pour que l’homme bénéficie de cette aide.
Selon le secrétaire de la cellule du Parti du village de Tongguan, Wu Zhengang, rendre publics les critères d’attribution de l’allocation de subsistance, les affaires financières et d’autres sujets oblige les cadres du village à répondre aux interrogations et aux demandes des villageois. « Cela exige donc des cadres avec un haut niveau d’instruction et de grandes compétences, qui agissent selon les règles sans craindre les difficultés, et qui savent se montrer impartiaux, justes et ouverts. »
Wu Zhengang a également créé un groupe WeChat pour faire part des situations d’urgence dans le village. Il raconte : « Une nuit, un vol de bœuf a été commis dans le village. À l’aide de son smartphone, le propriétaire lésé a lancé un appel dans le groupe pour que le coupable soit épinglé. Une demi-heure plus tard, une trentaine de villageois avaient intercepté la bête de somme dérobée. »
Le Musée écologique dédié aux chants des Dong donne des opportunités d'emploi aux villageois.
Chen Xiao’an, directrice du projet « We Country », après avoir passé un an et demià Tongguan, est devenue, aux yeux de tous les habitants, une « fille du village ». Au cours de cette période, elle a vu le quotidien de Tongguan évoluer. À titre d’illustration, elle précise que dorénavant, pour aller acheter un soda à la supérette du coin, il n’est plus nécessaire de prendre des sous sur soi, car le patron sait utiliser la plate-forme de paiement de WeChat. « Tout au début, il continuait à tenir rigoureusement son carnet de compte, de peur de ne jamais voir la couleur de la somme affichée sur son portable », se rappelle Chen Xiao’an.
Éliminer la pauvreté est la demande prioritaire des villageois. En l’occurrence, le projet « We Country » de Tencent suit l’idée directrice « un village, un produit » : il s’agit de faire valoir les spécialités locales pour donner naissance à des marques.
En 2014, Tencent a déboursé 15 millions de yuans pour aider Tongguan à construire le Musée écologique dédié aux chants des Dong, bâtiment représentatif des traditions de cette ethnie. Ce musée sert non seulement de lieu de transmission de la culture Dong, mais aussi accueille des expositions et propose des chambres d’hôtes à la réservation, en vue d’attirer des touristes des quatre coins du pays et d’assurer un certain salaire minimum aux habitants.
Dans le même temps, les initiatives de Tencent ont réglé le problème de l’emploi pour une partie des villageois. Par exemple, la construction du musée a, d’une part, occasionné l’embauche de travailleurs locaux, et d’autre part, incité bon nombre de jeunes à rentrer au village pour participer à la gestion quotidienne de cet espace culturel. Plus important encore, les mamys qui savent tisser à l’ancienne, les papys qui savent tresser des sandales en paille ou les mères qui savent cuisiner des plats traditionnels peuvent également, avec l’ouverture du musée, vendre leurs produits et se dégager un revenu.
En août 2015, Tencent a officiellement lancé son programme « We Country », l’expérience favorable qu’ont connue Tongguan et deux autres villages pilotes s’est alors étendue à l’échelle du pays. Tang Qizhao, cadre du Bureau pour la lutte contre la pauvreté dans la préfecture de Xiangxi (province du Hunan), a été emballé par l’allocution de Chen Yuanyuan. Selon lui, il est impossible de dissocier la réduction de la pauvreté en milieu rural et l’accès à Internet : « Est-ce que les villageois ont besoin d’Internet ? Avant de répondre, il faut se demander si, oui ou non, ils ont besoin des villes ? En effet, leurs produits doivent bien être acheminés vers les villes pour se vendre ; leurs enfants doivent partir dans les villes pour bénéficier d’une bonne éducation ; en cas de maladie grave, il faut encore aller dans les villes pour se faire soigner. Conclusion : Internet est pour eux une nécessité. »
CONNEXION
« Les villages doivent faire valoir leurs produits authentiques pour établir une connexion avec les villes et produire de la richesse. Ils ne deviendront peut-être pas riches, mais ils pourront s'extirper de la pauvreté (...). »
En septembre 2015, avec le vif soutien de Tang Qizhao, sept districts et une ville de Xiangxi sont devenus des zones pilotes du projet « Internet + villages pauvres », une sorte d’extension du projet « We Country » mise en place spécialement à Xiangxi.
Dans ces zones pilotes, une couverture Wifi a été déployée et des habitants ont été élus représentants. Ces derniers ont créé des groupes WeChat ainsi que des comptes officiels publics à l’échelle des villages, où peuvent être mis en vente les produits agricoles des marques locales.
Dans la préfecture de Xiangxi, Bi’er est le premier village à avoir créé son compte public WeChat, à dessein d’y vendre ses oranges bio. Les villageois ont réussi à écouler plus de 10 000 kg d’oranges sur Internet, à un prix trois fois plus élevé que le tarif appliqué pour les coopératives.
Notons que l’équipe qui administre le compte public de Bi’er est exclusivement composée de jeunes (un né dans les années 70, deux dans les années 80 et quatre dans les années 90). Parmi eux, cinq étudient ou travaillent, en parallèle, en ville.
C’est avec grand enthousiasme que ces jeunes participent à la lutte contre la pauvreté dans leur village. Ils n’hésitent pas à peaufiner maintes fois les articles sur le compte public, à montrer aux villageois comment utiliser WeChat, à planifier toute sorte d’activités… Un investissement personnel qu’ils déploient à titre bénévole.
Selon les indications de Mi Dan, membre de cette équipe et étudiant, ceux qui partent étudier hors du village n’avaient, par le passé, ni l’occasion ni un quelconque moyen de faire un petit quelque chose pour leur terre natale. Tandis qu’aujourd’hui, il suffit de partager des articles à propos de son village et de promouvoir légèrement les boutiques WeChat de certains pour offrir un pécule supplémentaire aux villageois.
Ces efforts de la part des jeunes : tel est exactement ce que Chen Yuanyuan aimerait observer à Tongguan à l’issue de la période d’essai entamée.
Elle précise : « Les villages doivent faire valoir leurs produits authentiques pour établir une connexion avec les villes et produire de la richesse. Ils ne deviendront peut-être pas riches, mais ils pourront s’extirper de la pauvreté. Et même sans suivre l’idée ‘‘un village, un produit’’, la transmission des informations et des sentiments via Internet sera source d’opportunités à même d’améliorer leur situation économique. »
Autre caractéristique du projet « We Country » : il invite les entreprises et les individus qui en ont la volonté et la capacité à contribuer au développement de la campagne, en mettant à profit leurs compétences clés et en s’investissant personnellement. En d’autres termes, il mise sur les ressources des tiers.
Pour l’heure, plus de 30 entreprises et individus devenus partenaires se disent prêts à soutenir « We Country » dans de nombreux domaines : conception architecturale, planification de marque, peinture,soins médicaux, formation, fabrication de smartphones, développement des techniques agricoles, diffusion de vidéos sur WeChat, construction de « villages intelligents », financement participatif, etc.
À Tongguan, par exemple, une entreprise A a créé un ensemble de plates-formes opérationnelles WeChat pour promouvoir les « villages intelligents » ; une entreprise B a conçu des emballages spécifiquement utilisés pour la vente des produits du terroir ; une entreprise C a dessiné au profit des villageois les plans pour des auberges tout confort.
Les services disponibles sur ces platesformes de ressources sont pour certains facturés. Alors, qui met l’argent sur la table ? L’équipe de « We Country » a précisé que ces frais sont à prix bas par rapport au tarif en vigueur sur le marché, car un grand nombre de services fournis au village sont payés grâce au financement participatif ou aux subventions de l’État.
La lutte contre la pauvreté est une politique nationale de la Chine, rappelle Chen Yuanyuan, qui est profondément ravie de ressentir, à travers son travail, l’enthousiasme du gouvernement qui participe à l’action. L’État a besoin d’un plus grand nombre de cas pour soutenir son programme de distribution du fonds, afin d’apporter un appui à la foi politique et financier au développement des villages. La clé du projet « We Country », à présent est d’apprendre aux villageois l’utilisation de la version modernisée du compte officiel public. Cette dernière fournit d’une part des services de proximité et des informations aux villageois et vise d’autre part à promouvoir les spécialités des villages et à faire revivre l’économie rurale, tout comme une carte de visite en ligne.
En 2016, le projet « We Country » a fixé l’objectif d’établir 100 villages-types pour formuler des exemples en matière de financement participatif et gouvernemental, tout en se retirant progressivement du mode de financement initial et en jouant un rôle de « connecteur ».
Selon Guo Kaitian, vice-président de Tencent et directeur du conseil de la fondation caritative Tencent Gongyi, le monde extérieur a les yeux rivés sur Tencent en raison de son projet. Mais en réalité, le groupe ne fait qu’installer la plate-forme, dans l’espoir que le concept d’Internet et les compétences informatiques s’injectent dans les campagnes et que les ressources dormantes qui s’y trouvent soient réveillées.
Une jeune villageoise apprend à un homme âgé à utiliser un smartphone.
Selon un rapport d’enquête du CNNIC (China Internet Network Information Center), en juin 2016, la population rurale ne comptait que pour 26,7 % des internautes chinois, soit 191 millions de personnes. Mais il faut savoir qu’au-delà de la vaste œuvre caritative de Tencent, d’autres grandes entreprises Internet comme Alibaba, JD.com et Suning sont aussi en train d’avancer leurs pions sur le marché rural. Sans aucun doute, leurs actions simultanées changeront le visage des villages chinois.
Chen Xiao’an a indiqué que Tongguan a déjà lancé un ensemble de mécanismes précis de bonification d’intérêt ; désormais, il faut simplement que les habitants respectent les règlements du village. Protéger l’environnement, participer activement aux activités culturelles, utiliser ni pesticides ni engrais, ne pas construire de maisons en briques pour préserver l’aspect traditionnel du village, assurer l’éducation scolaire des enfants jusqu’à l’université, élever les bêtes de sommes sur ses propres parcelles… Tout cela peut rapporter des points pour le prêt bonifié, en sachant qu’un score élevé est synonyme de dividendes.
« Nous sommes là pour guider le processus de bout en bout, mais dans toute tâche, les villageois ont une part importante à jouer. Qu’il s’agisse de la transmission de leur héritage culturel, du développement de l’économie, ainsi que des affaires publiques internes, cette large participation volontaire des villageois est la clé de la réussite pour bâtir une communauté soudée », affirme Chen Xiao’an.
Grâce au projet « We Country », un nombre croissant de jeunes enchaînant les petits boulots dans les villes se préoccupent désormais des affaires et du développement de leur village natal. « Pour les personnes extérieures, il est difficile de gagner la confiance de la population locale à court terme. Ce sont donc les villageois qui sont au cœur de ce processus de promotion de leur village. Pour faire revivre leur village, ils doivent simplement aborder sans cesse les sujets qui s’y rattachent. Même si encore beaucoup travaillent loin de leur village natal, ils en restent proches au fond de leur cœur. L’arrivée d’Internet est l’occasion de s’en rapprocher encore plus, tout en élevant la conscience démocratique dans les zones rurales chinoises », conclut Chen Yuanyuan.