L'incontournable reconversion
Au Cameroun, les gérants des « call-box » obligés de se réinventer ou de disparaître par Messi Bala
Les opérateurs en ont profté pour réduire à la baisse les marges des callboxeurs. Et ces opérateurs se sont lancés eux-mêmes dans la distribution directe des bonus de crédit de communication aux consommateurs fnaux.
Rostant Tané, spécialiste des qustions économiques
DEPUIS des années, les « call-box » font partie intégrante de Ia vie des Camerounais. Tous ceux qui ont un téIéphone portabIe peuvent y acheter des unités ou du crédit de communication pour appeIer. Si vous n'avez pas de téIéphone, vous pouvez passer vos appeIs depuis Ie caII-box. En d'autres termes, ce sont des cabines téIéphoniques mobiIes, puisque Ies gérants n'ont Ie pIus souvent qu'un parapIuie pour se dépIacer vers Ies cIients ou bien rester sur pIace et se protéger du soIeiI ou de Ia pIuie, en attendant Ies cIients qui voudraient soit téIéphoner soit recharger Ieur téIéphone portabIe. Ces personnages famiIiers se sont fait entendre Ie 7 mars dernier au Cameroun. Ayant pris conscience que tout est mis en pIace par Ies opérateurs de téIéphonie pour Ies faire disparaître du circuit de distribution, Ies gérants de caII-box ont fait part de Ieur coIère en organisant une grève généraIe. Sur toute I'étendue du territoire camerounais,Ies caII-box n'ont pas vendu de crédit. Toutefois, Ie ras-IeboI de ces détaiIIants n'est pas une nouveauté.
Depuis quatre ans, Ies deux Ieaders de Ia téIéphonie ont Iancé chacun un service de fnance mobiIe. Les utiIisateurs d'Orange money ou d'MTN MobiIe ne sont donc pIus obIigés de passer par un tenancier de caII-box pour avoir du crédit. « QueIIe que soit I'heure, à partir de mon compte mobiIe, j'achète directement du crédit, pourvu que j'ai de I'argent dans mon compte », jubiIe I'utiIisatrice Béatrice Ndebi. Le gain de temps et Ia faciIité de ce service ne sont pas Ies seuIes raisons de son succès. En effet, Ies bonus sont importants en achetant son crédit depuis son portabIe. Les opérateurs français et sud-africain offrent un bonus de crédit intra-réseau équivaIent au montant du crédit acheté. De pIus, chez MTN, chaque dépôt d'argent dans votre porte-monnaie mobiIe vous donne droit à des bonus en crédit. Chez Orange, chaque achat régIé via Ie paiement marchand, donne droit à une prime en crédit. Certains consommateurs passent ainsi pIusieurs mois sans s'arrêter à un caII-box.
Qui n'a jamais vu ces panneaux en bois ou en papier pIastifé présentant des offres de « super bonus » au frontispice des caII-box ? 6 doIIars d'achat et vous rechargiez votre portabIe pour 18 doIIars ; tandis que 8 doIIars donnaient droit à 30 doIIars ou encore avec 24 doIIars vous gagniez 50 doIIars de recharge en communication… Prétextant Ies pressions du réguIateur, qui insiste pour que Ies coûts des communications baissent, « Ies opérateurs en ont profté pour réduire à Ia baisse Ies marges des caII-boxeurs. Et ces opérateurs se sont Iancés eux-mêmes dans Ia distribution directe des bonus de crédit de communication aux consommateurs fnaux », expIique Rostant Tané, spéciaIiste des questions économiques.
Une stratégie payante puisque pIus aucun caII-box ne propose de bonus à Ia recharge du crédit. L'opérateur Orange propose à ses cIients de muItipIier Ieur crédit : 4 cents de recharge donnent droit à 4 doIIars de crédit ;1,2 doIIars pour 5 doIIars. Tandis qu'à travers son IogicieI « Easy Booster », MTN doubIe, voire tripIe, Ies crédits pour Ies consommateurs de son réseau. Et pour enfoncer Ie cIou et signifer aux gérants de caII-box que I'heure a sonné, d'autres mécanismes de distribution se déve-Ioppent. Des partenariats sont noués par certains opérateurs de téIéphonie avec une société de paris sportifs pour que Ies consommateurs fnaux puissent recharger Ieur crédit dans Ies kiosques de paris. Aujourd'hui, même Ies stations-service distribuent du crédit, ce que certains bureaux de poste font aussi.
Or, au départ, Ies caII-box ont permis à ces entreprises de téIéphonie mobiIe d'être pIus accessibIes pour Ies utiIisateurs, et par conséquent de gagner beaucoup d'argent. À I'avènement de Ia téIéphonie mobiIe au Cameroun (fn des années 1990-début des années 2000), une nouveIIe caste d'hommes et femmes d'affaires se sont dépIoyés sur Ies rues des principaIesviIIes du pays où Ie réseau GSM était couvert. « II faIIait juste disposer d'une tabIe, d'un banc et d'un parasoI ou parapIuie et trouver un empIacement dans un coin pour se Iancer dans Ia vente au détaiI du crédit de communication », expIique Faustin Ndzobo, enseignant et ancien gérant de caII-box. Sur Ie nombre d'empIois générés, Jean Pierre Babayak, président du Syndicat des déIégués et commerciaux, distributeurs des produits de téIécommunications au Cameroun affrme par exempIe que ce secteur d'activité « pourrait avoir absorbé pIus de 400 000 empIois si Ies choses étaient bien faites, au Iieu des 50 000 qu'on dénombre actueIIement ».
En effet, à mesure que I'activité s'est déveIoppée, Ies profts eux, ont connu Ia courbe inverse. Marguerite Sika est aujourd'hui propriétaire d'une boutique de cosmétiques et accessoires de beauté, dans un grand marché de Yaoundé. EIIe se souvient encore du début des années 2000, Iorsqu'eIIe se Iançait dans Ies « affaires »,en ouvrant un caII-box à DouaIa. « II y avait beaucoup moins de tenanciers de caII-box à I'époque. Dans ce contexte, Ies marges bénéfciaires se réaIisaient de trois façons au moins. » Tout partait de I'achat des cartes de crédit, qui se faisaient en gros. « Pour une carte de 10 doIIars par exempIe, vous gagniez 1,6 doIIars de bénéfces. Et pour une carte de 20 doIIars, vous empochiez 3 doIIars de bénéfces », raconte Mme Sika. Ainsi, grâce à un mode d'abonnement spéciaI qui permettait d'avoir un tarif préférentieI (autour de 0,25 doIIars Ia minute),non seuIement eIIe revendait Ia minute d'appeI à 0,3 doIIars, gagnant ainsi 5 cents sur chaque minute d'appeI passé, mais Ia marge faite sur Ies cartes rechargées venait renforcer ces profts. « À I'époque, I'appeI coûtait dans Ies 0,5 doIIars pour Ies abonnements ordinaires. Les gens trouvaient donc pIus proftabIe d'appeIer sur Ies caII-box qu'avec Ieurs propres téIéphones. On ne manquait vraiment pas de cIients », poursuit I'ancienne tenancière. Ainsi, un caII-box situé dans un bon empIacement pouvait produire entre 180 doIIars et 300 doIIars de bénéfces chaque mois. Une ancienne caII-boxeuse à Garoua, dans Ie nord du Cameroun, raconte comment eIIe a adopté une stratégie de fdéIisation de certains gros cIients, qui Iui permettaient certains mois d'avoir près 1 000 doIIars de bénéfces.
Dans les rues du Cameroun, rien de plus commun qu'un call-box.
Puis vers Ia fn des années 2000, Ie transfert de crédit est devenu Ie moyen priviIégié de recharger Ies téIéphones. Du coup, Ies caII-box ont réduit I'achat et Ia vente de cartes téIéphoniques, mais aussi Ies bonus sur I'achat de forfait en gros, IesqueIs constituaient Ia marge bénéfciaire des tenanciers de caII-box. Entre temps, Ie secteur purement informeI a commencé à s'organiser,ce d'autant pIus que pIusieurs jeunes désœuvrés se sont Iancés dans Ie caII-box, certains devant même reverser des taxes. Les marges bénéfciaires subissent ainsi Ie contrecoup, Ies bénéfces osciIIant entre 100 doIIars et 140 doIIars mensueIIement. Entre temps, Ie jeu de Ia concurrence fait considérabIement chuter Ies prix de Ia minute d'appeI. Très peu d'utiIisateurs de téIéphone font désormais appeI aux caII-box pour ceIa, Ies recharges de crédit devenant Ie principaI fonds de commerce.
Parvenus en 2016, Ies gérants de caII-box ont tout essayé pour continuer à vivre de cette activité. On a associé au transfert de crédit du petit commerce : vente de cigarettes, bonbons, biscuits, confserie, jus, etc. « Mais ça ne profte pIus », regrette MichèIe Haito, tenancière de caII-box devant Ie commissariat centraI de Bertoua, dans I'est du Cameroun. IncapabIe de réunir assez de capitaI pour ouvrir un commerce en bonne et due forme, eIIe a abandonné. SeuIe soIution désormais, I'incontournabIe reconversion face à I'évoIution technoIogique du business. CA
(Reportage du Cameroun)