Par ROBERT WALKER
Des villageois de Lianziyan, dans le district de Zigui, à Yichang(Hubei), transportent des oranges fraîchement récoltées, le 1er février 2021.
Plus on vieillit, plus le temps passe vite.Alors que la République populaire de Chine (RPC) entre dans sa huitième décennie, il me semble que c’était hier que le XIXeCongrès du Parti communiste chinois(PCC) en 2017 envisageait les années 2020, 2035 et au-delà.
Tant de choses se sont passées et tant de choses ont été accomplies depuis lors. Des jalons ont été franchis : l’élaboration du XIVePlan quinquennal, la mise en œuvre du premier Code civil,l’engagement en faveur de la neutralité carbone avant 2060, l’éradication de la pauvreté rurale et l’accent mis sur la prospérité commune.
Et des événements imprévus se sont également produits dans le monde : la pandémie de COVID-19, la crise ukrainienne, la situation géopolitique de plus en plus tendue, et, cette année, des vagues de chaleur record, une grave sécheresse et de fortes précipitations en Chine.Le premier ministre britannique Harold Macmillan disait que ce sont les événements qui causent le plus de difficultés aux gouvernements.Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il avait trouvé de plus problématique, il aurait répondu : « Des événements, mon cher, des événements. »
Il est donc surprenant de voir à quel point la Chine a été capable de se concentrer sur ses objectifs à long terme et de les réaliser. De toute évidence, son système de gouvernement l’a aidé.Sous la direction du PCC, les huit autres partis démocratiques participant aux affaires politiques jouent un rôle consultatif plutôt que d’opposition. La politique n’est donc pas sujette à des conflits idéologiques et peut être poursuivie et développée sur le long terme plutôt que de succomber aux luttes partisanes.
Cependant, le principal moteur de la Chine pour l’élaboration de politiques systématiques et soutenues est fourni par les plans quinquennaux.Chaque période de planification commence entre les congrès quinquennaux du PCC, ce qui garantit généralement que les changements d’orientation politique sont transitoires et n’ont pas un rôle perturbateur.
Se référant explicitement aux exigences des XVIe, XVIIeet XVIIIeCongrès du PCC, le XIXeCongrès en 2017 avait prédit que la période allant jusqu’en 2020 serait « décisive pour parachever l’édification intégrale d’une société modérément prospère » qui « remporte l’adhésion du peuple et résiste à l’épreuve du temps ». Pour y parvenir, il fallait procéder à l’élimination ciblée de la pauvreté, à un contrôle de la pollution et à la prévention et au désamorçage des risques majeurs.
Le XIXeCongrès du PCC avait également envisagé que les cinq années précédant le XXeCongrès verraient la convergence des deux centenaires de l’histoire du Parti. Une fois les objectifs du premier centenaire atteints, le gouvernement se lancera vers « un nouveau périple vers l’objectif du deuxième centenaire d’édifier globalement un pays socialiste moderne ». Cela nécessite également que la modernisation socialiste soit « essentiellement réalisée » d’ici 2035,et que la Chine, d’ici 2050, se développe « en un grand pays socialiste moderne, prospère, fort,démocratique, culturellement avancé, harmonieux et beau ». La politique dans la plupart des pays empêche une telle planification à long terme car les événements détournent l’attention et du fait que les gouvernements entrants annulent les politiques de leurs prédécesseurs.
Si la politique est façonnée par des mots, elle nécessite aussi l’action. L’extrême pauvreté rurale a été éradiquée grâce à des combinaisons de politiques qui ont fait leurs preuves et développées à partir de 1986. Avec une base de données recensant toutes les personnes en situation de pauvreté, les fonctionnaires ont assumé la responsabilité personnelle du bien-être financier de ces personnes en plus de leurs fonctions normales. Des entreprises et des régions prospères ont été mobilisées pour soutenir les districts et les villages pauvres.
Le XIVePlan quinquennal a fait de l’édification d’un pays socialiste moderne son objectif principal.Répondant à l’élimination réussie de la pauvreté rurale, il ne se concentre pas, comme beaucoup l’avaient prévu, sur la lutte contre la pauvreté urbaine. Il propose plutôt des objectifs plus ambitieux de revitalisation rurale dans le but de réduire l’écart de niveau de vie rural-urbain et d’assurer la prospérité commune pour tous d’ici 2050.
Un élevage à Shibadong, dans la préfecture autonome tujia et miao de Xiangxi (Hunan), le 13 septembre 2017
Le Plan reconnaît que la stratégie consistant à encourager le secteur manufacturier et les entités urbaines à soutenir l’agriculture et le développement rural pour la revitalisation est une « approche uniquement chinoise » qui a été une stratégie de mobilisation employée avec succès pour éliminer la pauvreté rurale. Il aurait pu ajouter qu’aucun autre pays n’a réalisé cet objectif car les forces du marché incontrôlées favorisent toujours les villes par le biais des économies d’échelle.
Le XIVePlan quinquennal inclut la prospérité commune dans le cadre du premier principe directeur : « S’engager dans une approche centrée sur les personnes. Nous devons assurer la position principale du peuple et travailler à la prospérité commune. » Contrairement à certaines opinions internationales, la prospérité commune n’est pas un objectif nouveau. Elle a été identifiée comme le but ultime des agriculteurs chinois dès 1953 avec la formation de coopératives agricoles.Ce n’est pas l’objectif qui a changé avec l’ouverture de l’économie, mais les moyens d’y parvenir en « permettant d’abord à certains paysans de s’enrichir ». Une croissance économique sans précédent a suivi et, en 2011, la Chine est passée d’un pays à revenu faible à un pays à revenu intermédiaire supérieur. On s’attend maintenant à ce que la Chine devienne un pays à revenu élevé d’ici 2025.
Dans ce nouvel environnement de richesse nationale relative, les instruments politiques pour parvenir à la prospérité commune doivent à nouveau changer. L’ère de la croissance économique rapide a inévitablement entraîné des déséquilibres entre les régions riches en ressources et celles moins bien dotées, entre les zones urbaines et rurales, et entre les individus, dont certains ont été mieux placés pour profiter des opportunités du marché.
Bien que l’extrême pauvreté rurale ait été éradiquée, la distribution des revenus est pyramidale,avec peu de personnes au sommet et beaucoup plus à la base. Des politiques sont testées dans la province du Zhejiang pour parvenir à une prospérité commune, qui cherchent à transformer cette pyramide en diagramme en forme d’olive en élargissant considérablement le groupe des revenus moyens et en réduisant la proportion de revenus excessivement élevés ou très bas.
Repiquage de riz sur 360 ha de rizières à Jilin, le 15 mai 2022
L’engagement stratégique pour la prospérité commune a été annoncé malgré l’impact des événements. Au début de 2021, les économies du monde entier faisaient encore face aux conséquences de la pandémie de COVID-19 et les vaccins étaient rares. La politique contre le COVID-19 de la Chine, contrairement à de nombreuses stratégies à l’étranger, a donné la priorité aux vies humaines plutôt qu’aux profits,permettant à l’économie chinoise de se redresser avant la plupart des autres, empêchant ainsi une récession mondiale durable.
De nombreux commentateurs occidentaux ont déformé la prospérité commune en la présentant comme une « guerre contre les riches capitalistes ». Cependant, répondre négativement à la prospérité commune de cette manière est pervers. Après tout, le PCC envisageait la prospérité commune comme un objectif pour toute l’humanité, un complément à une paix durable et à la sécurité universelle. En Occident, l’olivier a longtemps été considéré comme un symbole de paix, de sagesse et de prospérité. Il est donc approprié que la poursuite de la prospérité commune signifie la transformation de la répartition mondiale des revenus en forme d’olive.
*ROBERT WALKER est professeur à l’Académie chinoise de gestion sociale à la faculté de sociologie de l’Université normale de Beijing. Il est également professeur émérite et membre émérite du Green Templeton College à l’Université d’Oxford et membre de la Royal Society of Arts et de l’Académie des sciences sociales du Royaume-Uni.