Fan Jinshi, fille de Dunhuang

2021-11-13 08:37DUCHAOmembredeladaction
今日中国·法文版 2021年11期

DU CHAO, membre de la rédaction

Des touristes visitent la reproduction de la grotte n°320 de Mogao à l’exposition « Audelà des limites de l’histoire » au Muséedu Palais, le 23 septembre 2021.

Fan Jinshi est interviewée par la Télévision centrale de Chine (CCTv) à l’intérieur des grottes de Mogao, le 23 octobre 2004.

Les grottes de Mogao à Dunhuang (Gansu), ont été creusées sous le règne de Fu Jian (338-385), empereur de la dynastie des Qin antérieurs. Leur construction,qui s’est étendue sur plusieurs dynasties, a donné naissance à une structure tentaculaire comprenant 735 grottes,45 000 m2de peintures murales et 2 415 sculptures peintes en argile qui ont une très haute valeur artistique.Les grottes de Mogao ont été inscrites sur laListe du patrimoine culturel mondialde l’UNESCO en 1987.

Les attrayantes grottes de Mogao ont captivé des générations entières et ont également permis à celles-ci de tisser un lien indissoluble avec Dunhuang.Fan Jinshi fait partie de ces personnes. Elle est l’ancienne présidente de l’Académie de Dunhuang, l’institution responsable de la conservation et de la gestion de ces grottes, ainsi que de la recherche les concernant, et son actuelle présidente d’honneur.

Un destin lié à Dunhuang

Fan Jinshi, dont la terre ancestrale était Hangzhou, est née à Beijing le 9 juillet 1938. Son père, diplômé de l’Université Tsinghua, était passionné par l’art chinois et la culture classique.Il voulait que sa fille soit également érudite, c’est pourquoi il lui a donné le nom « Jinshi », qui signifie littéralement « belle poésie ».

Influencée par son père, Fan Jinshi aimait particulièrement visiter les musées pour apprécier les vestiges culturels, lorsqu’elle était au collège.Sachant que de nombreuses reliques culturelles ont été découvertes lors de fouilles archéologiques, elle n’a pas eu la moindre hésitation au moment de remplir sa candidature à l’université : elle a postulé pour une spécialisation en archéologie à l’Université de Pékin.

Mme Fan a qualifié ses liens avec Dunhuang de « fortuits ». Elle est venue à Dunhuang en 1962 pour la première fois. Lors d’un voyage organisé par leur université, la jeune femme et trois de ses camarades de classe se sont rendus à l’Institut des reliques culturelles de Dunhuang (l’actuelle Académie de Dunhuang) pour un travail sur le terrain. Dans son imagination, cet établissement était censé être un « endroit romantique et élégant ».Cependant, elle a été abasourdie à son arrivée : les membres du personnel étaient tous émaciés, ils avaient le teint cireux et portaient des vêtements délavés ! Les conditions de vie y étaient vraiment difficiles. Mais dès qu’elle est entrée dans les grottes et a aperçu les peintures murales, vives et fascinantes,elle a oublié tout le reste.

L’année 1962 a été un tournant pour Dunhuang. Premier ministre à l’époque, Zhou Enlai a facilité l’obtention d’une énorme somme d’argent pour démarrer le projet de consolidation des falaises dans la zone sud des grottes de Mogao. Avant cela, il était nécessaire de fouiller et de nettoyer les vestiges archéologiques. Cependant, l’Institut des reliques culturelles de Dunhuang ne comptait pas d’archéologues professionnels, il a donc fait appel à l’Université de Pékin et Mme Fan a été l’un des deux étudiants affectés au projet.

Les parents de Fan Jinshi craignaient que leur fille, qui avait grandi dans le confort relatif offert par la ville, ne puisse supporter les conditions difficiles à Dunhuang, et ils se sont donc opposés à ce travail. Mais en fin de compte, ils ont dû céder, car elle a insisté pour s’y rendre. Avant de partir, son père lui a dit que puisque c’était son choix, elle devait faire de son mieux. « Les paroles de mon père m’ont porté au seuil de la maturité. Il ne faut pas regretter ses choix », affirme Mme Fan.

Les conditions de vie étaient pénibles, dans la mesure où il n’y avait pas d’électricité et où l’éclairage se résumait à la lueur de bougies ou de torches. Au milieu de la nuit, de grosses souris couinaient sur les poutres du plafond et tombaient même de temps en temps sur le lit. « Je mentirais si je disais que je n’étais pas désemparée. Par rapport à Beijing, c’était littéralement au milieu de nulle part », reconnaît Mme Fan en toute franchise.

La jeune femme a éprouvé beaucoup de difficulté à s’acclimater à cet environnement, au point que sa condition physique s’est détériorée. De nombreuses personnes qui travaillaient sur place ont commencé à souffrir d’asthme et de rétention de poussière dans les poumons. En dépit de ces conditions impitoyables, Mme Fan a résolument choisi de persévérer. Du contrôle de la corrosion murale à la consolidation des falaises, de la surveillance de l’environnement au contrôle du sable, elle a concrétisé son aspiration et sa mission initiales dans tous les domaines de la préservation de Dunhuang.

Il est désormais possible de visualiser,d’un simple clic et gratuitement, un panorama en haute définition des 30 grottes classiques,comme si on se trouvait sur le site en personne.

Infatigable et altruiste

Fan Jinshi et son camarade de classe universitaire Peng Jinzhang se sont mariés à Wuhan en 1966. M. Peng a travaillé à l’Université de Wuhan après avoir obtenu son diplôme. Après le mariage, le couple a fini par vivre séparément dans des lieux différents en raison de leurs engagements professionnels.Mme Fan a d’abord pensé ne rester à Dunhuang que trois ans pour achever les principales tâches en cours. Cependant, il a été difficile pour elle de quitter les grottes de Mogao, elle craignait que l’éclat de ces dernières ne puisse briller davantage dans le monde. Elle s’est toujours dit : « Je partirai quand le projet en cours sera terminé. » Alors trois ans se sont écoulés après les trois premiers, conduisant son couple à vivre longtemps séparément.

Mme Fan a été nommée directrice adjointe de l’institut en 1977. Elle a été encore plus occupée, et mari et femme ont passé encore moins de temps ensemble. En 1986, face à cette vie de famille anormale, M. Peng, alors en fin de quarantaine, a pris la difficile décision de favoriser la carrière de sa femme en sacrifiant la sienne. Il a démissionné de son poste de directeur adjoint du département d’histoire de l’Université de Wuhan et a quitté le département d’archéologie qu’il avait fondé dans ce même établissement. Mme Fan a été profondément touchée par le soutien de son mari. « Il savait que je ne pourrais pas vivre sans Dunhuang. Il a fait des sacrifices », se souvient-elle avec émotion.

En 1998, Mme Fan, alors âgée de 60 ans, a accédé au rang de présidente de l’Académie de Dunhuang. Peu de temps après son entrée en fonction, de nombreuses personnes ont proposé de commercialiser les grottes de Mogao et de créer une économie autour de celles-ci,afin de promouvoir le tourisme et de stimuler l’économie de l’ouest de la Chine.

Mme Fan s’y est fortement opposée :« La protection du patrimoine culturel est une chose très compliquée. Cela ne se fait pas en un claquement de doigts.Et si ce patrimoine culturel était ruiné ?Il n’y a pas d’autres grottes de Mogao dans le monde. » Elle estimait qu’il était de sa responsabilité de protéger l’héritage laissé par les ancêtres. « Si les grottes de Mogao sont détruites,alors, je serai pécheresse au regard de l’Histoire », jugeait-elle.

Lors de la 11e Journée du patrimoine culturel de Chine, l’exposition « Digital Dunhuang » est organisée dans la Galerie d’art de Dunhuang, le 11 juin 2016.

Science et innovation

Grâce aux efforts de Mme Fan et de ses collègues, le charme de Dunhuang est devenu de plus en plus visible et accessible au monde. Avec la popularité croissante de la région, l’attention portée aux grottes de Mogao dans le pays et à l’étranger a progressivement augmenté. Cependant, un nouveau problème est apparu : le nombre de touristes à Dunhuang a grimpé à plus de 200 000 par an. Une fois, lors de l’inspection d’une grotte, Mme Fan a même éternué à cause de l’odeur envahissante d’un parfum ! Les peintures murales sont difficiles à préserver et continueront de s’éroder avec le temps. La corrosion des peintures murales par la respiration, la transpiration et les aérosols des touristes accélère le processus. Depuis un siècle, leur couleur s’est beaucoup estompée et les peintures sont de plus en plus floues, ce qui représente une source d’inquiétude pour Mme Fan. « Si les touristes étaient interdits de visite et que ce trésor de l’humanité était scellé,ce serait un acte trop égoïste », tempèret-elle néanmoins. Un vrai dilemme se posait donc.

Après de nombreuses recherches et discussions, l’Académie de Dunhuang a commencé à bâtir un centre de services pour les visiteurs, au début de 2003, dans le but de protéger les vestiges culturels et d’atténuer l’impact du tourisme excessif sur les peintures murales et les sculptures colorées.Dans ce centre, les visiteurs peuvent obtenir une compréhension globale des caractéristiques culturelles, du contexte historique et de la composition des grottes à travers des films,des visites virtuelles et des expositions,avant de visiter les grottes avec un guide professionnel.

« Cela permet non seulement aux touristes de glaner des informations culturelles plus détaillées dans un laps de temps plus court, mais atténue également de manière considérable l’énorme pression sur les efforts de préservation des grottes de Mogao causée par un nombre excessif de touristes », indique Mme Fan.

Elle a également proposé de créer une « Dunhuang numérique » en convertissant les grottes, les peintures murales, les sculptures colorées ainsi que toutes les autres reliques culturelles en images numériques de haute résolution. Parallèlement, les documents de Dunhuang, les résultats des recherches et les matériaux connexes dispersés dans le monde seront intégrés sous forme de fichiers électroniques. « Les peintures murales sont des reliques culturelles qui ne peuvent pas être régénérées et qui ne sont pas non plus éternelles », souligne Mme Fan. Ce constat l’a incitée à envisager la numérisation pour les préserver de manière permanente. Avec une visite virtuelle,tout le monde peut admirer de près les magnifiques détails des grottes de Mogao. Dans une certaine mesure, il s’agit d’une expérience qui offre une richesse et une intimité impossibles lors des visites surpeuplées du site même.

Après des années de travail acharné, la « Dunhuang numérique » a été officiellement lancée en 2016. Sur le site Web, il est désormais possible de visualiser, d’un simple clic et gratuitement, un panorama en haute définition des 30 grottes classiques,comme si on se trouvait sur le site en personne. Cela satisfait le désir des touristes de visiter les grottes de Mogao tout en réduisant les dommages du tourisme excessif.

Des titres nationaux de membre modèle du Parti communiste chinoise et de travailleuse modèle au prestigieux prix « 100 personnes qui ont touché la Chine », Mme Fan a reçu de nombreuses distinctions, mais à son humble avis, « cet honneur appartient à l’Académie de Dunhuang et à tout son personnel. Je comprends que cela est dû à l’accent mis par la Chine sur la préservation des reliques culturelles. »

Âgée de 83 ans, Mme Fan consacre toujours son temps à la protection du patrimoine culturel de Dunhuang, à qui elle a consacré sa vie, de même qu’à la protection des reliques culturelles nationales.