Un cadre rassurant pour les investisseurs chinois et européens

2021-03-05 03:22NICOLASZINQUEmembredeladaction
今日中国·法文版 2021年2期

NICOLAS ZINQUE,membre de la rédaction

Si 2020 a été plutôt morose pour nombre d’entreprises dans le monde,à cause de la pandémie de COVID-19,elle a eu un effet contrasté dans le secteur des opérations de fusion-acquisition transfrontalières (M&A,pour « mergers and acquisitions ») :le montant des opérations entrantes de Chine (acquisition d’entreprises chinoises par des entreprises étrangères) a doublé par rapport à 2019,pour atteindre un total d’environ 45 milliards de dollars,tandis que celui des opérations sortantes (acquisition de sociétés étrangères par des sociétés chinoises) est descendu au niveau historiquement bas de 30 milliards de dollars,comme a pu l’observer Emmanuel Gros,vice-président de la banque d’affaires B&A Investment Bankers,basée en France et en Chine,et spécialisée dans ce type d’opérations.Ce dernier estime que l’accord d’investissement Chine-UE sur les investissements annoncé le 30 décembre 2020 devrait offrir un cadre rassurant pour les investisseurs,tant en Chine qu’en Europe,accentuant la tendance des opérations entrantes,tout en relançant les opérations sortantes.C’est un accord bénéfique pour les deux parties dans un secteur important,les services financiers représentant notamment,selon les chiffres de la Commission européenne,9 % des investissements des entreprises de l’UE en Chine (derrière le secteur automobile,28 % et les matériaux de base,22 %).

Emmanuel Gros,vice-président de B&A Investment Bankers

Une banque d’affaires pionnière

La banque d’affaires B&A Investment Bankers (pour « Benoit &Associés »)a été fondée en 2011 par Cyril Benoit,un entrepreneur au parcours singulier,puisqu’il a travaillé avec Laurent Fabius(entre autres lorsque celui-ci fut ministre de l’Économie au début des années 2000)et dans le secteur privé,notamment pour le groupe Unibail ou encore Perella Weinberg Partners.C’est en revenant en France qu’il a lancé sa propre banque d’affaires,orientée vers le marché prometteur qu’est la Chine.

« Cyril Benoit m’a parlé de son projet,il avait son premier mandat de vente,celui du négociant bordelais Diva Bordeaux.Moi,j’avais comme client,en Chine,Bright Food,n°2 chinois de l’agroalimentaire.Je savais que Bright Food cherchait à faire des acquisitions en France,donc on lui a présenté Diva Bordeaux.Et en huit mois,on a réalisé la vente,en 2012 »,se souvient Emmanuel Gros,qui deviendra suite à ce deal le vice-président de B&A Investment Bankers et le fondateur du bureau de Shanghai.L’homme connaît bien Cyril Benoit (il est son cousin),mais surtout,il vit alors à Shanghai depuis dix ans,où il travaille pour le compte du groupe industriel français Gevelot.Il est même présent en Asie depuis 1995,année de son stage pour Total à Singapour.

La vente de Diva Bordeaux est le début d’une belle aventure :« À l’époque,on a été pionnier dans les opérations outbound (sortantes),par des investisseurs chinois et notamment en France.» La banque d’affaires s’occupe dès lors essentiellement de la vente d’actifs français à des investisseurs chinois(mais pas seulement).Sa plus grande opération récente est la vente,en 2018,de Kidiliz,n°2 européen de la mode pour enfants,au n°1 chinois de la mode pour enfants,la marque Balabala,détenue par le groupe Semir.Chaque année,B&A Investment Bankers participe à trois ou quatre grosses opérations de ce type,dont les montants s’élèvent à plusieurs centaines de millions d’euros.Elle a entre autres pris part à la vente d’un des actifs de Saint-Gobain China et de son site de Xuzhou spécialisé dans la production de pipelines à la société Nanjing Manyuan Technology (2018),à celle du domaine CGR,comprenant les propriétés Château La Cardonne,Château Ramafort et Château Grivière au Funshare Life Group (2016),elle conseille la Française des jeux,qui a une joint-venture en Chine avec China Welfare Lottery,etc.

Le 23 septembre 2020,une cérémonie est organisée à l’usine intelligente Aiways dans la zone de développement économique de Shangrao (Jiangxi) pour célébrer deux événements :l’exportation vers l’UE du deuxième lot de 200 véhicules ainsi que la sortie et l’expédition de la version européenne 2021 de son modèle U5.

Des investissements en Chine en hausse

Cependant,l’évolution constatée par Emmanuel Gros nuance l’impression,souvent partagée par les Européens,que la Chine rachète massivement leurs entreprises :« Depuis quelques années,on assiste à une accélération de nos opérations inbound,c’està-dire des acquisitions de sociétés chinoises par des groupes occidentaux et notamment français.C’est une inversion de tendance :traditionnellement,la majorité des opérations de M&A transfrontalières étaient sortantes (outbound),des entreprises chinoises faisaient des acquisitions hors de la Chine.Le pic a été atteint en 2016,avec 200 milliards de dollars d’opérations sortantes,c’est l’époque où on parlait un peu de cet emballement par des acteurs comme HNA,Wanda ou Fosun.Mais année après année,le régulateur chinois a un peu durci les conditions de sortie et on a vu ce chiffre d’opérations sortantes baisser.Il est à présent à son niveau le plus bas dans l’histoire récente.On se situe,en 2020,aux alentours de 30 milliards de dollars.À l’inverse,pour les opérations entrantes (inbound),soit des sociétés étrangères qui font l’acquisition de sociétés chinoises,2020 a été la deuxième meilleure année,avec des opérations s’élevant à 45 milliards de dollars.C’est deux fois plus qu’en 2019 (20 milliards).»

Sur les plans des acquisitions,ce sont donc plutôt les entreprises étrangères qui ont profité de la crise de 2020.« Ce qui a aussi alimenté cette tendance,ce sont les valorisations.Avec le virus,il y a quand même eu en Chine,la première partie de 2020,des inquiétudes sur l’économie domestique et sur l’avenir.Du coup,certaines attentes de valorisation ont été revues à la baisse et des opportunités se sont présentées.»

Le vice-président de B&A Investment Bankers,également vice-président de la Chambre de commerce française en Chine (CCI) et conseiller pour le ministère français du Commerce extérieur,estime d’ailleurs que cette tendance d’opérations entrantes va se poursuivre,pour plusieurs raisons.Premièrement,la Chine a endigué le virus avant les autres et est la seule grande économie à afficher une croissance positive en 2020.Deuxièmement,l’ouverture de l’économie chinoise,déjà en cours,va se poursuivre avec l’accord d’investissement Chine-UE.Troisièmement,la guerre commerciale lancée par les États-Unis et la tentative de découplage de ces derniers ont aussi alimenté les opérations d’acquisitions,puisque certaines sociétés étrangères,de peur de se retrouver isolées à cause de cette guerre commerciale et de ne pas pouvoir accéder à certaines matières ou certains approvisionnements,ont fait l’acquisition de fournisseurs en Chine.Enfin,il y a cette tendance à faire du « In China for China ».Il en résulte que la Chine offre un contexte rassurant pour les investisseurs étrangers.

Par ailleurs,l’avance prise par la Chine dans le numérique est très attrayante.« Des entreprises étrangères acquièrent des sociétés en Chine pour devancer ce qui va seulement apparaître dans le reste du monde,puisque la Chine a cinq à dix ans d’avance dans le numérique,que ce soit par ses plateformes de paiements,ses réseaux sociaux ou encore ses commerces.On voit la même chose dans le secteur automobile avec les véhicules électriques autonomes.»

Une partie de l’équipe de B&A Investment Bankers.Au centre,Cyril Benoit

L’accord va renforcer le multilatéralisme

L’accord d’investissement UE-Chine va avoir des effets importants sur les opérations de fusionacquisition,et plus largement sur les services financiers et sur de nombreux autres secteurs.Emmanuel Gros est très positif par rapport à cet accord,qu’il trouve bon tant pour l’UE que pour la Chine.La clé,c’est que l’accord va rassurer les investisseurs,tant chez l’une que chez l’autre.

« Mon analyse de cet accord »,explique Emmanuel Gros,« c’est qu’il s’agit plutôt d’une harmonisation des pratiques à l’international.On voit que le cadre des investissements se clarifie,avec moins d’arbitraire,grâce à des mécanismes de contrôles qui sont plutôt focalisés sur des impacts de type“sécurité nationale”,et à ce sujet,tous les pays ont les mêmes mécanismes,c’est tout à fait légitime.Ce type d’accord permet à la fois l’accès aux marchés(financiers,de l’automobile,de la santé,etc.) des deux côtés,ce qui va alimenter les investissements.Il y a aussi le fait qu’il y ait des conditions équitables de concurrence avec plus de transparence autour des subventions,sur le rôle des sociétés d’État.C’est rassurant et ça va apporter de la transparence dans ces domaines-là qui n’étaient pas toujours compris des uns et des autres.Ensuite,il y a tout ce qui touche au développement durable,pour atténuer l’impact de nos activités sur le climat.C’est une tendance mondiale.Et enfin,l’accord intègre un mécanisme pour résoudre d’éventuels désaccords.C’est rassurant et ça va permettre d’assainir les relations,parce qu’on va pouvoir se dire les choses en toute transparence,sachant qu’il y a un mécanisme pour régler ces désaccords.Et c’est normal qu’on ait des désaccords :on appartient à des cultures différentes,on a des économies différentes,des façons de penser et une philosophie différentes.»

La Commission européenne a largement mis en avant dans sa communication des points comme la fin des exigences en matière de coentreprise,l’interdiction du transfert obligatoire de technologies ou encore des obligations de transparence des subventions dans les secteurs des services en Chine.De son côté,quels seront les gains concrets pour la Chine ?

« La Chine va bénéficier d’une accélération des investissements étrangers dans de nouveaux secteurs :secteurs financiers,de la santé,etc.Ces investisseurs vont aussi apporter leur méthodologie,que ce soit dans les secteurs de l’automobile,du cloud,etc.Ces secteurs ont été annoncés comme s’ouvrant davantage.Ces investissements vont créer de l’emploi et de la croissance,mais aussi du savoir-faire,et ils vont apporter des technologies,des talents,des actifs et de nouveaux produits.Cela va permettre à la Chine de poursuivre son développement et de l’alimenter avec les dernières nouveautés,parce que si les investisseurs étrangers ont le sentiment de ne pas être obligés de transférer leurs technologies et de pouvoir en garder la maîtrise,ils vont venir en Chine »,avance le vice-président de B&A Investment Bankers,qui estime également que l’accord va faire remonter les opérations sortantes à partir de 2021.« Il y a un cadre précis,plus formalisé,les entreprises chinoises ne seront plus la cible d’un protectionnisme arbitraire.» Notons toutefois qu’avant d’entrer en vigueur,l’accord final devra être ratifié des deux côtés,et notamment par le Parlement européen,ce qui devrait prendre plusieurs mois.

« Globalement,avec cet accord c’est aussi le multilatéralisme qui sort gagnant,cela renforce l’image de la Chine,qui va confirmer– parce qu’elle a toujours eu ce discours multilatéraliste– son souhait de préserver le multilatéralisme et d’accentuer son ouverture.»

Un triangle UE-Chine-Afrique

Le 13 novembre 2020,une exposante présente des vins au Pavillon français du Salon chinois des produits de base importés de Yiwu 2020.

En outre,cet accord entre l’UE et la Chine va dans le sens d’une ouverture toujours plus grande de la Chine,et qui est déjà en cours depuis de nombreuses années.Emmanuel Gros souligne par exemple que « la liste négative » pour les investissements étrangers se réduit d’année en année.En 2020,les restrictions sont descendues à 33.LePartenariat régional économique global(RCEP),lui aussi signé en 2020,ouvre de nouvelles perspectives en Asie et le XIVePlan quinquennal,qui a débuté en 2021,entraînera le pays vers de nouvelles hauteurs.

De son côté,B&A Investment Bankers prévoit,outre le renforcement de son expertise en matière d’acquisitions de sociétés cotées en Bourse,de développer ses relations dans de nouveaux pays.À moyen terme,la banque d’affaires va se développer dans l’Asie du Sud-Est,qui bénéficiera du RCEP.Mais avant cela,elle poursuivra son développement en Afrique,après s’être renforcée avec un associé spécialiste de ce continent en 2019.Elle dispose actuellement de quatre mandats liés à des ventes ou des levées de fonds en Afrique… dont certains sont de nature à intéresser des investisseurs chinois.De quoi former un triangle UE-Chine-Afrique,qui profitera à tous.