par Christophe Alexandre
Des panneaux photovoltaïques sont installés dans le désert de Kubuqi pour générer de l'énergie.
Des panneaux photovoltaïques sont installés dans le désert de Kubuqi pour générer de l'énergie.
Nous sommes en juin 2019. Toute la région de la bannière de Hanggin est occupée par les sables. Toute ? Non ! Car d'irréductibles héros résistent encore et toujours au « dragon jaune ». Et, grâce à eux, la vie reprend ses droits dans cette partie du monde appelée autrefois « la mer de la mort »
P our vous lancer dans un combat il vous faut des armes et, par extension, des moyens. Et c'est là tout le dé fi du développement durable : être viable, écologiquement bien sûr, mais surtout économiquement. Nous ne manquons pas sur Terre de luttes pour l'environnement : réchauffement climatique, pollution maritime, extinction d'espèces animales et végétales, pour ne citer que celles-ci. Si les bonnes âmes sont légions, les intérêts économiques pour rendre ces luttes pérennes manquent cruellement, car, dans un monde où le ralentissement de la croissance inquiète et où se mêlent tensions commerciales et politiques protectionnistes, seuls les intérêts économiques comptent.
Conséquence du surpâturage et de la déforestation du milieu des années 50, ainsi que du réchauffement climatique, la Chine est le pays le plus touché au monde par la déserti fication. Subie par environ 400 millions d'habitants, des chercheurs estiment qu'il en coûte 213 milliards de yuans (31 milliards de dollars) par an à l'économie chinoise. Cependant, la Chine est également la première nation à voir la super fi cie de ses terres désertiques décliner, diminuant de plus de 2 400 km2chaque année.
Cet exploit, elle le doit notamment au « modèle de Kubuqi ».
Le désert de Kubuqi, situé dans la bannière de Hanggin dans la région autonome de Mongolie intérieure, couvre une superficie de 18 600 km2, faisant de lui le 7eplus grand désert de Chine. Il est pourtant aujourd'hui symbole de vie, de développement et d'espoir. Tout a commencé avec un homme, Qian Xuesen, célèbre mathématicien chinois, qui fut le premier à théoriser dans les années 1980 ce qu'il appellera « l'industrie du sable ». Selon le scientifique, les 1,6 milliard de mu (à peu près 1,1 million de km2) du désert de Gobi pouvaient rapporter des centaines de milliards de yuans à la population chaque année.
Il aura fallu une poignée d'hommes de la bannière pour passer à la pratique.
C'est en s'appuyant sur les théories de M. Qian qu'à la fi n des années 1980, le gouvernement d'Ordos a promu le développement végétal dans la région pour lutter contre la dégradation de l'environnement.
« Grâce aux efforts concertés de l'administration, des entreprises et des habitants, le modèle d'économie écologique de Kubuqi a pu voir le jour », explique Liang Changxiong, directeur adjoint du Bureau des forêts de la bannière de Hanggin, à CHINAFRIQUE. Le rôle du gouvernement consiste à apporter des soutiens fi nanciers, via des subventions, et des soutiens politiques, comme le transfert de droit de propriété des terres. Les entreprises, en s'investissant dans le développement d'industries vertes, sont les forces motrices du modèle, tandis que les agriculteurs et les bergers servent de main-d'œuvre.
« À l'origine, il était difficile d'équilibrer protection écologique et intérêts économiques », se rappelle M. Liang, avant d'ajouter : « Le problème était qu'on ne s'intéressait qu'à la vitesse et au taux de reforestation, sans se soucier de la durabilité de ces arbres ». Depuis 2010, l'administration locale est consciente de l'importance de la durabilité, sans laquelle il est impossible de mobiliser l'enthousiasme de la population. « Nous avons commencé à planter des espèces dont les valeurs économiques sont plus importantes, comme les fruitiers. Nous avons développé en parallèle l'énergie de la biomasse », détaille M. Liang. L'objectif final étant de lier protection écologique et développement industriel, afin de stimuler la croissance économique locale.
Et il existe dans ce domaine un champion incontesté.
Le groupe Elion, qui signi fi e « Lion de l'est », est le fer de lance des entreprises privées dans la lutte contre la déserti fication. Au cours des 30 dernières années, Elion a en effet réussi à reboiser un tiers du désert de Kubuqi, soit 6 000 km2, les deux tiers des dunes restantes étant « stabilisées ». Pour cela, la société a investi plus de 38 milliards de yuans (5,8 milliards de dollars). « Nous avons d'abord transformé une partie du désert en oasis, puis revalorisé les terres agricoles afin d'y introduire un élevage et une agriculture ‘intelligents', en harmonie avec l'environnement, tout en déployant nos industries », con fi e Wang Wenbiao, président d'Elion, au reporter de CHINAFRIQUE. « Nous matérialisons donc la fi xation des sables, le reboisement, la reproduction animale et végétale, ainsi que la réalisation de fl ux de trésorerie à plusieurs échelons », ajoute-t-il.
La chaîne industrielle d'Elion, incluant pharmaceutique, élevage, photovoltaïque et écotourisme, a permis de sortir plus de 100 000 personnes de la pauvreté.
C'est le cas de Mengkedalai, agriculteur de 40 ans qui a grandi à Kubuqi. « Quand j'étais jeune nous vivions dans une maison en terre et nous devions nous déplacer à dos de chameaux », se souvient-il. À partir de 2012, le gouvernement et les entreprises de la région ont fourni aux locaux des formations liées au secteur du tourisme. Aujourd'hui, Mengkedalai vit dans une maison moderne construite par Elion et possède sa propre entreprise. « J'ai été le premier à ouvrir un hôtel », s'exclame-t-il. Plusieurs familles ont ainsi pu ouvrir restaurants, traiteurs, entreprises proposant des promenades à dos de chameaux ou en voiture tout terrain, et tant d'autres. « Maintenant, la région est devenue très prospère, le revenu annuel par habitant se situe entre 15 000 et 20 000 yuans (entre 2 180 et 2 900 dollars), alors qu'il n'était que de 200 yuans (29 dollars)autrefois », commente M. Wang.
La technologie moderne est également utilisée pour exploiter le désert et sortir la population de la pauvreté. Avec ses 3 180 heures d'ensoleillement chaque année, Kubuqi est le lieu idéal pour installer des centrales solaires. Selon Tian Juntian, directeur de la centrale photovoltaïque d'Elion, « les avantages écologiques, économiques et sociaux sont considérables ». En effet, la centrale, ayant à ce jour une capacité installée de 510 MW, s'étend sur 50 000 mu (33 km2) et favorise ainsi la stabilisation des sables sur toute cette surface. Les terrains investis par la centrale appartiennent aux agriculteurs et aux éleveurs de la région, lesquels les louent à Elion, leur permettant d'augmenter leurs revenus. L'entreprise a investi 4 milliards de dollars et génère ainsi 900 millions de kWh par an, soit l'équivalent de consommation annuelle d'une ville moyenne. Cela se traduit en une économie de 440 000 tonnes de charbons et en 14,5 millions de tonnes de carbones retiré de l'atmosphère. D'ici fi n 2019, Elion prévoit de doubler sa capacité installée. « La construction de la seconde partie du projet permettra de sortir de la pauvreté plus de 800 ménages », conclut M. Tian.
Sous les panneaux photovoltaïques s'étendent des champs d'herbes luxuriantes, riches en protéines et adaptées à l'environnement, où paissent moutons et brebis, ainsi que des cultures de réglisses et de luzernes, plantes médicinales revendues à prix d'or par l'entreprise. « Nous avons développé des graines de plus de 1 000 espèces de plantes résistantes au froid et à la sécheresse et qui peuvent être cultivées dans les terres salines et alcalines », précise M. Wang.
Quali fi ant l'œuvre d'Elion de « miracle du désert de Kubuqi », Monique Barbut, secrétaire exécutive de la Convention des Nations unies pour la lutte contre la déserti fication, résume en peu de mots la réussite de l'entreprise qui conjugue écologie et économie, créant un équilibre entre développements viable, équitable et vivable. CA