par Godfrey Olukya
Après avoir surmonté de nombreux dé fis, le Kenya et la Chine unissent leurs efforts dans l'industrie de la pêche au béné fice des consommateurs
Le poisson est l'un des aliments de base quotidiens pour des millions de Kényans.
Pour la plupart des Kényans, un pain de farine de maïs accompagné d'un poisson n'est pas seulement un de leurs plats préférés, c'est aussi une denrée de base. Or, avec l'augmentation constante de la population du pays, la quantité de poissons pêchés dans les lacs et les rivières ne suffit plus à répondre aux besoins de tous les consommateurs. La coopération entre la Chine et le Kenya entend bien relever ce dé fien partageant leurs connaissances sur la pisciculture et l'importation de poisson de Chine pour répondre à la demande.
« Au Kenya, on mange beaucoup de poisson. Les tribus locales considèrent traditionnellement le poisson comme la partie la plus importante de leur cuisine. Mais les ressources locales s'épuisent en raison de la surpêche et de l'utilisation de filets inadaptés qui capturent des poissons de taille inférieure à la taille requise », dit Nelson Ouma, un fonctionnaire du Département des pêches de la ville de Kisumu, dans l'ouest du Kenya. « Notre coopération avec la Chine, qui est l'un des principaux pays dans le secteur de la pêche, a beaucoup contribué à résoudre ce problème. »
M. Ouma explique que des hommes d'affaires kényans importaient du poisson de l'Ouganda voisin, mais que ce pays vit depuis ses propres pénuries de poisson.
Le Kenya possède une variété de lacs et de rivières riches en poisson frais, en particulier le tilapia, qui est le poisson le plus populaire chez les consommateurs. Le Kenya partage aussi le lac Victoria, le deuxième plus grand lac d'eau douce du monde, avec deux autres pays d'Afrique de l'Est, à savoir l'Ouganda et la Tanzanie. Malheureusement, le Kenya n'a accès qu'à la plus petite partie du lac. Les autres lacs dispersés dans le pays sont petits et les stocks de poissons y sont limités.
La pêche totale dans les eaux kényanes a chuté de 147 000 tonnes de poisson en 2016 à 135 000 tonnes en 2017, selon un rapport du Bureau national des statistiques du Kenya. Selon M. Ouma, la coopération entre le Kenya et la Chine, lancée il y a deux ans, a amélioré la situation en encourageant l'importation de poisson de Chine et en facilitant un partage des techniques et des installations locales de pisciculture.
Il est bon que la Chine et le Kenya coopèrent dans l'industrie du poisson, car cela signifie que le pays aura plus de poisson pour satisfaire sa demande à l'avenir.
SILIVIA AUMA,vendeuse de poisson de la ville de Kisumu
Mais Bena Kituyi, cheffe de section au Département des pêches, qui relève du ministère de l'Agriculture, de l'Élevage et de la Pêche du Kenya, explique que l'importation de poisson chinois au Kenya avait d'abord été vivement contestée par les pêcheurs et les négociants locaux. Ils ont essayé de saboter le projet en disant que le poisson chinois contenait du plomb et qu'il était impropre à la consommation. Cependant, des tests en laboratoire ont prouvé depuis lors que ce n'était pas le cas.
À l'époque, les pêcheurs et les négociants locaux ont convaincu le gouvernement que l'économie du district allait s'effondrer si le pays allait de l'avant avec les importations de poisson en provenance de Chine.
« Ils ont fait valoir que les hommes d'affaires chinois s'immisçaient dans leurs affaires en important du poisson bon marché », explique Mme Kituyi. Les pêcheurs et les commerçants locaux ont menacé de s'opposer si le gouvernement n'agissait pas immédiatement.
Henry Wamukuyu, un importateur de poisson basé à Mombasa, dit qu'il est ironique de constater que ceux qui plaidaient en faveur de l'interdiction de l'importation de poisson chinois sont parfaitement au courant du fait que le Kenya ne peut pas produire suffisamment de poisson pour répondre à sa propre demande. « Ils ne tenaient pas compte du fait que les Chinois enseignaient aussi à de nombreux Kényans des pratiques modernes de pisciculture », dit-il.
En raison des pressions exercées par les pêcheurs locaux et leurs marchands, le 15 octobre 2018, le Président kényan Uhuru Kenyatta a interdit l'importation de poisson chinois.
« Bien que nous ayons de bonnes relations commerciales avec la Chine, nous devons agir pour protéger les intérêts de notre peuple. Si le poisson chinois cause des ennuis à nos pêcheurs, nous imposerons des conditions pour arrêter les importations [de la Chine] a fin de sauvegarder les intérêts de l'industrie locale [du poisson] », a alors dit le Président Kenyatta. Il a ajouté qu'il n'était pas logique d'importer du poisson chinois si les pêcheurs locaux pouvaient satisfaire la demande.
Cependant, après la mise en place de l'interdiction, le pays a vécu une grave pénurie de poisson et les prix ont grimpé de plus de 50 %. « Quelques jours après que le Président ait interdit l'importation de poisson chinois, le prix du poisson dans le pays a augmenté parce qu'il n'y avait plus assez de poisson sur le marché », dit Jackson Osinde, un commerçant de Nairobi, la capitale du pays.
M. Osinde dit qu'après deux semaines, les gens ont commencé à se plaindre de la pénurie de poisson et de la flambée des prix. Le mécontentement public a persuadé le gouvernement de lever l'interdiction en janvier 2019, un peu moins de trois mois après sa mise en place.
« Nous collaborons avec la Chine pour que la production locale de poisson au Kenya augmente. Actuellement, nous importons du poisson de Chine, mais nous voulons qu'à l'avenir, nous ayons suffisamment de poisson [local]. À cette fin, les experts en pêche chinois nous aident à améliorer nos installations de pisciculture », explique Henry Wandera, chef de la pisciculture en cage au ministère des Pêches.
Mme Kituyi indique que la production annuelle de poisson du Kenya est d'environ 135 000 tonnes, alors que la demande annuelle de poisson dépasse les 500 000 tonnes. Il est donc nécessaire pour le pays d'importer du poisson pour combler ce dé ficit. Selon elle, le pays importe actuellement plus de 1 500 tonnes de poisson par mois de Chine, ce qui ne parvient toujours pas à répondre entièrement à la demande.
L'an dernier, les importations de poisson chinois ont atteint 1,7 milliard de shillings (17 millions de dollars) et cette année, ce chiffre pourrait augmenter, selon le Bureau national des statistiques du Kenya.
Les gens sur place au Kenya, en particulier les petites entreprises, sont optimistes suite à la levée de l'interdiction. Silivia Auma, une vendeuse de poisson de la ville de Kisumu, dit qu'il est bon que la Chine et le Kenya coopèrent dans l'industrie du poisson, car cela signifie que le pays aura plus de poisson pour satisfaire sa demande à l'avenir.
« Peu de temps après la mise en place de l'interdiction, nous avons perdu notre clientèle parce qu'il n'y avait plus de poisson à vendre », dit-elle, ajoutant que l'interdiction avait doublé le prix d'un kilogramme de tilapia.
Stella Kitosi, gérante d'un restaurant à Nairobi, abonde dans le même sens en disant que ses clients étaient maintenant de retour. « Aujourd'hui, j'ai assez de poisson pour mes clients et [je suis heureuse que] le gouvernement ait réalisé que nous avions besoin du poisson chinois », dit-elle. CA