WANG ZHEN*
Bien que Kurbanjan Samat ait quitté le Xinjiang, sa vie personnelle et professionnelle reste intimement liée à cette région. Depuis 2014, il a publié plusieurs ouvrages en l’honneur de cette région, notamment I am from Xinjiang on the Silk Road ; Xinjiang Beyond Race, Religion and Place of Origin et I’m going to Xinjiang. Il a également tourné deux documentaires, intitulés I am from Xinjiang on the Silk Road et I’m going to Xinjiang.
Il y a quelques mois, il a amorcé les préparatifs d’un troisième documentaire et d’un prochain livre The Taste of Xinjiang, qui sera le dernier volume de sa collection prévue sur cinq ans commencée avec I am from Xinjiang on the Silk Road.
C’est en 2014, suite à la publication du livre photo I am from Xinjiang on the Silk Road, que les lecteurs ont pu faire la connaissance de Kurbanjan Samat, un jeune ouïghour natif de Hotan du Xinjiang, ainsi que la rencontre d’une foule d’autres gens ordinaires de la région.
Dans cette œuvre, Kurbanjan a immortalisé, à l’aide d’un appareil photo et de mots simples, les histoires de 100 personnes originaires du Xinjiang, de différents âges, différentes ethnies et différentes professions, qui travaillent et vivent dans d’autres régions de la Chine. Il présente l’image contemporaine d’hommes et de femmes du Xinjiang qui œuvrent avec opiniâtreté et osent poursuivre leurs rêves. « Plus vous travaillez ardemment,plus vous serez chanceux ; et plus vous faites preuve de courage, plus vous serez à même de changer votre destin ». Pour Kurbanjan, ce précepte, qu’il a fait imprimer sur la page de couverture, est le thème central qui transparaît dans ce livre.
Après sa publication, cet ouvrage a remporté un succès retentissant partout dans le pays et s’est vu décerner le Prix du livre dans la catégorie Sciences sociales lors de la remise du 10ePrix du livre Wenjin organisé par la Bibliothèque nationale de Chine en 2014. Il a également été traduit en anglais, en arabe,en turc et dans d’autres langues.À ce jour, cette œuvre, qui a déjà été rééditée à huit reprises, s’est vendue à plus de 300 000 exemplaires au total.
En composant ce livre photo, Kurbanjan avait pour intention première de balayer les préjugés et de renforcer la compréhension mutuelle. « Sans communication et sans échange, il est impossible de parvenir à un consensus. Tous les malentendus résultent d’un manque de compréhension. Si nous nous connaissions mieux les uns les autres, sans doute que nous éviterions un grand nombre de déboires »,a-t-il expliqué.
Kurbanjan sur le tournage
Et d’ajouter : « Je tiens à clamer haut et fort que les gens du Xinjiang sont comme tout le monde.Nous connaissons les mêmes joies et peines, les mêmes séparations et retrouvailles. Tout un chacun, nous travaillons dur pour gagner notre vie,pour notre propre bien-être et celui de notre famille. Le Xinjiang est une région lointaine, mais les gens sont très proches de nous. »
« Après la série de violents incidents terroristes survenus dans la région, le Xinjiang et les Ouïgours sont devenus des sujets sensibles. À l’époque, cette question me turlupinait : comment bien faire connaître le vrai visage du Xinjiang et ses habitants ? J’ai fini par commencer à recueillir les récits des gens du Xinjiang. » Selon lui, il suffisait de raconter fidèlement l’histoire de ces gens pour aider le public à bien comprendre le Xinjiang.
Comme Kurbanjan le précise luimême, les 100 personnages dans I am from Xinjiang on the Silk Road sont,au même titre que lui, les auteurs de ce livre. « Ce n’est pas moi qui ai conféré à ces gens ordinaires cette force qui a ému les lecteurs. Ce pouvoir, ils l’ont au plus profond d’eux-mêmes. J’ai simplement tâché de le chercher et de le faire ressortir, car ce qui compte,c’est de présenter ces hommes et femmes de manière authentique. »
Au début, il envisageait de réaliser un documentaire, mais personne n’était disposé à investir dans ce projet. Il a donc pensé à raconter leur vie par le truchement d’images. « Mû par l’esprit d’initiatives, j’ai filmé quelques membres dans mon entourage qui me contaient leurs histoires et j’ai publié ces vidéos sur Internet, sans m’attendre à ce qu’elles deviennent rapidement virales sur la Toile. En raison de ce succès, de plus en plus de personnes venues du Xinjiang ont pris l’initiative de venir me trouver dans l’optique de me raconter leur expérience de vie. »
En juin 2016, le documentaire de Kurbanjan, également intitulé I am from Xinjiang on the Silk Road, a été diffusé par la CCTV aux heures de grande écoute et a suscité de vives réactions de la part de l’audience.« Dans le même temps, mon reportage a atteint des centaines de millions de vues sur les principales plates-formes de diffusion vidéo en ligne. » Qui plus est, ce documentaire lui a valu des prix prestigieux, notamment le 6ePrix académique du documentaire de Chine et le 4elot du Prix des documentaires nationaux d’excellence décerné par l’Administration générale de la presse, de l’édition, de la radio diffusion, du cinéma et de la télévision.
La même année, Kurbanjan a publié une suite de sa première œuvre, sous le titre Xinjiang Beyond Race, Religion and Place of Origin. Prenant pour thème « le rêve chinois des gens du Xinjiang », ce volume reprend le contenu du documentaire et va plus loin. Il cherche à présenter le statu quo et les rêves de chacun des Chinois du point de vue de gens ordinaires,lesquels partagent leurs véritables expériences et états d’âme.
Le 20 avril 2018, le dernier livre en date de Kurbanjan, I’m going to Xinjiang, a paru et le 6 mai, la première du documentaire portant le même nom a eu lieu à Beijing.
Lorsque nous lui demandons ce qui l’a motivé à élaborer cet ouvrage, il a révélé : « Venir du Xinjiang et aller au Xinjiang : j’ai choisi deux perspectives différentes afin de faire connaître et comprendre le Xinjiang et la Chine.Ici, je laisse les gens d’autres régions narrer ce qu’ils ont vécu ou vivent encore au Xinjiang. »
Scène de tournage
En 2005, Kurbanjan avait suivi les traces de Meng Xiaocheng et Li Xiaodong, en vue de réaliser un documentaire sur une forêt de peupliers d’Euphrate au canton de Caohu, dans le district de Luntai du Xinjiang. « Par le biais de ce tournage, qui a duré un an et demi, j’ai eu l’occasion, pour la première fois de ma vie, d’approfondir mes connaissances sur ma région natale. J’en ai gardé également une sincère sympathie pour tous ces gens venus d’autres régions qui apportent leur aide au Xinjiang et contribuent à sa construction. » D’ailleurs, au cours de la prise de vues, il avait ressenti un panel d’émotions intenses comme jamais auparavant.
Revenant sur ce tournage, il a raconté deux scènes émouvantes qui resteront gravées dans sa mémoire.« La première, c’est quand Meng Xiaocheng avait constaté que d’innombrables peupliers d’Euphrate avaient été abattus. Il s’était mis à genoux, avant d’éclater en sanglots.La seconde, c’était en août, lorsque,malgré les pluies abondantes, Meng Xiaocheng avaient constaté que le fleuve Tarim était asséché. Là encore,il était tombé à genoux et comme pour noyer son chagrin, il avait pris de la boue entre ses mains avant de l’appliquer sur son visage. »
Il a fallu attendre l’achèvement du tournage pour que Kurbanjan comprennent enfin pourquoi Meng Xiaocheng, qui filmait depuis une dizaine d’années les peupliers d’Euphrate dans le Xinjiang, avait été aussi attristé. « Si ma ville natale n’a pas été engloutie par le désert du Taklamakan et qu’elle conserve son aspect d’oasis,c’est principalement grâce aux peupliers d’Euphrate. Quant au fleuve Tarim, c’est l’homme qui a surexploité ses eaux en vue d’irriguer les champs de coton, jusqu’à épuisement. »
Cet incident a profondément touché Kurbanjan. Il a pris conscience que le Xinjiang n’est pas le « foyer unique »d’une ethnie, mais un lieu où de multiples groupes ethniques vivent ensemble sur la base du respect mutuel et de la diversité culturelle. « J’ai découvert cela auprès des gens d’autres régions qui sont venus vivre et travailler au Xinjiang. Natif du Xinjiang, je figure parmi les premiers bénéficiaires de cette terre. Et pourtant, je ne connais presque rien de son histoire, de sa géographie et de ses coutumes folkloriques. »
Affiche du documentaire I’m going to Xinjiang
Dans son livre I’m going to Xinjiang,31 individus de tous âges et tous secteurs, de toutes expériences et toutes professions, s’expriment autour de huit thèmes, dressant un portrait coloré et dynamique du Xinjiang.
Parmi les personnes interrogées, on distingue quelques célébrités comme l’écrivain Wang Meng, ancien ministre de la Culture et membre du Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois, Marjorie Yang, entrepreneuse d’origine hongkongaise ainsi que Li Qiuping, ancien entraîneur de Yao Ming (célèbre joueur retraité du basket-ball professionnel chinois) et actuel entraîneur de l’équipe de basket-ball pour hommes du Xinjiang. Sont interviewés également des érudits, notamment H. K. Chang, ancien président de l’Université municipale de Hong Kong, Chen Zongzhen, chercheur de l’Académie des sciences sociales de Chine et Wang Xiaodong, directeur honoraire de l’Institut de design architectural du Xinjiang. Par ailleurs,les gens ordinaires ne manquent pas.Citons, entre autres, un médecin de Shanghai venu en aide au Xinjiang,un homme d’affaires menant des activités transfrontalières, une fille de pole dance, un coiffeur sud-coréen et une traductrice du Kazakhstan allant travailler chaque jour au Xinjiang.
Bien que l’ouvrage relate surtout les affinités de ces personnes avec le Xinjiang, il aborde aussi les grands thèmes d’actualité tels que la réforme et l’ouverture au Xinjiang, l’initiative« la Ceinture et la Route » ainsi que l’assistance ciblée au Xinjiang. Ainsi,cette collection d’histoires individuelles en dit long sur la société du Xinjiang au sens large.
« C’est un livre qui témoigne de son époque. Ce ne sera sûrement pas un best-seller, mais j’espère qu’il continuera à se vendre longtemps et qu’il inspirera ceux qui désirent connaître le Xinjiang. »
Contrairement à ses deux livres précédents, qui comportaient pas mal de caractères autobiographiques, dans son œuvre la plus récente, l’auteur a rédigé moins de 3 000 caractères sur sa propre personne. Sachant se mettre à l’écoute des autres, il a choisi de donner la parole aux gens d’autres régions qui ont vécu et travaillé (ou qui vivent et travaillent toujours) au Xinjiang.
« Après avoir parcouru leurs histoires, vous constaterez que personne n’est considéré comme un étranger au Xinjiang. Nous sommes tous des frères et sœurs, sans distinction d’origine ethnique », a affirmé Kurbanjan.Selon lui, la langue est très importante dans les relations ethniques actuelles, mais ce qui prime, c’est d’avoir le cœur bon. « Si vous faites preuve de bienveillance à l’égard d’une personne ou d’une ethnie, vous obtiendrez une réponse tout aussi positive ; et si, au contraire, vous êtes plein de méchanceté au fond de vous,même au paradis, vous vivrez un enfer », a-t-il conclu.