ANDRÉS RODRÍGUEZ LÓPEZ, membre de la rédaction
Dans le géant asiatique, les compétitions de snooker se multiplient,attirant toujours plus de spectateurs.
La table de snooker
Les noms de Li Hang, Cao Yupeng, Xiao Guodong et Yan Bingtao n’évoquent probablement pas grand-chose aux amateurs de sport francophones, et il est fort possible qu’ils n’aient également jamais entendu parler de Ding Junhui. Rien d’étonnant puisque ce sont tous des joueurs de snooker, une discipline sportive faiblement enracinée dans les pays francophones. Pourtant, pour les a ficionados du snooker, qui apprécient ce sport pour ce qu’il est, un sport difficile, extrêmement précis et d’une grande exigence mentale, il est évident que ce sont les noms de joueurs chinois ; la Chine étant d’ailleurs à l’heure actuelle la principale pépinière de joueurs de la planète.
Parmi ceux-ci, Ding Junhui est sans conteste le plus populaire. C’est aussi le meilleur joueur que la Chine ait jamais connu, et on lui doit certainement le regain d’intérêt que connaît actuellement le snooker dans le géant asiatique. Barry Hearn, président de la WPBSA,l’association internationale régissant le billard anglais et le snooker professionnel, estime que Ding est « une superstar du sport chinois ». Une description qui s’avère cependant un peu courte au regard de ce que Ding a apporté au monde du snooker. En 2016, lorsque ce dernier a disputé la finale du Championnat du monde qui,depuis 1927, se déroule à Shef field, au Royaume-Uni,et qui est la plus importante compétition de snooker,210 millions de supporters chinois ont suivi le match à la télévision, un chiffre qui représente le double du nombre de téléspectateurs qui regardent chaque année la finale du Super Bowl.
Un fait qui n’est pas négligeable quand on sait que le snooker a gagné sa popularité justement grâce à la télévision. En 1969, un certain David Attenborough, alors responsable de la programmation de la BBC, première chaîne de diffusion britannique, organise la première édition d’un tournoi de snooker qu’il nomme le Pot Black. En réalité, son objectif est de mettre en évidence le potentiel technique de la télévision en couleur. Mais force est de constater que, depuis, la popularité de ce sport n’a pas cessé de grandir, particulièrement au Royaume-Uni, dans les pays du Commonwealth, et dans les pays d’Asie de l’Est, notamment en Chine où le rôle de Ding Junhui a beaucoup fait pour l’image de ce sport.
Au premier abord, le snooker ressemble beaucoup au billard américain mais il se joue sur une table sensiblement plus grande, avec une bille blanche, celle que l’on frappe avec la queue, 15 billes rouges et 6 de couleur. Les billes rouges valent un point et les billes de couleur, entre 2 et 7 points, la bille jaune étant celle qui a la plus petite valeur et la noire, celle qui rapporte le plus de points. Le but du jeu est d’empocher toutes les billes dans les 6 trous (ou poches) de la table en alternant entre les billes rouges et les billes de couleur.Lorsqu’un joueur n’empoche aucune bille, il laisse la place à son adversaire. Une partie se déroule en plusieurs frames. Le joueur qui a accumulé le plus de points remporte la frame. Les matchs professionnels se jouent généralement au meilleur des 9 frames. La finale du championnat du monde se joue au meilleur des 35 frames, sur deux jours. La dernière édition du Championnat du monde s’est déroulée du 21 avril au 7 mai 2018. Après un match serré et riche en émotions,c’est le Gallois Mark Williams qui s’est imposé en finale contre l’Écossais John Higgins avec un score de 18 à 16.
Une fois de plus, Ding Junhui est resté sur sa faim.Éliminé en quarts definale face à Barry Hawkins (13 à 5), il s’est vu priver du titre de champion du monde qu’il avait tant convoité. Un titre pour lequel tout joueur de snooker digne de ce nom se soumet à un entraînement intensif de 8 à 12 heures par jour, enfermé entre quatre murs, et au cours duquel son cerveau se transforme petit à petit en une véritable machine à calculs trigonométriques. En dehors de Ding, trois autres joueurs chinois étaient qualifiés cette année :Xiao Guodong et Lü Haotian qui ont perdu au premier et second tour contre Ding ; et Marco Fu, qui représentait Hong Kong, et qui s’est fait éliminer au premier tour par Lü Haotian. Si la con figuration du tableau n’a pas joué en faveur des sportifs chinois,la présence de quatre d’entre eux en finale de la plus importante compétition mondiale de snooker est pourtant la preuve du potentiel de la Chine dans cette discipline. Un potentiel qui pourrait bien mettre en péril la domination exercée par les joueurs britanniques, dignes héritiers des inventeurs de ce sport.
Ding Junhui
L’irruption de Ding Junhui dans le monde du snooker chinois a donné à la discipline une impulsion salutaire.Son in fluence est comparable à celle d’autres grands noms du sport chinois comme le basketteur Yao Ming ou l’athlète de 110 m haies Liu Xiang, pour donner deux exemples parlants. En Chine, les grands sportifs sont particulièrement aimés du grand public et le cas de Ding est encore plus particulier car même s’il n’a que trente ans, cela fait déjà 15 ans qu’il est entré dans les foyers chinois par le biais de la télévision. Beaucoup de ses supporters ont grandi avec lui.
Tout a commencé lorsque le père de Ding décela chez son fils, alors âgé de 8 ans, un talent précoce pour le snooker. La famille décide de vendre ses biens et de quitter la province du Jiangsu pour s’installer dans la province du Guangdong, considérée en Chine comme la patrie du snooker. Ainsi, Ding peut se former auprès des plus grands maîtres. À l’âge de 14 ans, deux ans après avoir abandonné l’école pour se dédier corps et âme à la pratique du snooker, il remporte le Championnat du monde de snooker amateur. Deux ans plus tard, il a déjà intégré le circuit professionnel et commence à collectionner les victoires. À l’heure actuelle,il compte 13 grands titres à son actif et a occupé brièvement la place de numéro un mondial, une position qu’il s’efforce de reconquérir, convoitant par ailleurs le précieux titre de champion du monde qui demeure à peu près la seule récompense qui manque encore à son palmarès.
En même temps que Ding progressait dans le classement mondial, les clubs de snooker et les associations de joueurs se sont multipliés dans toute la Chine. Le billard a toujours été en Chine un jeu très populaire et à l’heure actuelle, 70 millions de Chinois pratiquent ce sport dans l’une de ses variantes, parmi lesquelles le snooker. Barry Hearn a d’ailleurs prédit il n’y a pas si longtemps que dans un futur proche, on compterait 8 Chinois parmi les 16 meilleurs joueurs du monde,une chose qui aurait été impensable il y a seulement 10 ans. Quant au légendaire Ronnie O’Sullivan, cinq fois champion du monde, il a déclaré pour sa part que l’avenir du snooker en Chine « s’annonce si rayonnant qu’il faudrait porter des lunettes de soleil. »
Les compétitions de snooker se multiplient en Chine, attirant toujours plus de spectateurs. Elles sont désormais retransmises en continu à la télévision,rien d’étonnant donc, à ce que les grands sponsors se soient lancés dans les négociations les yeux fermés.Cette année, une poignée de joueurs chinois ont tenté de décrocher le titre de champion du monde au Crucible theater de Shef field, ainsi que la récompense de 600 000 dollars en espèces qui l’accompagne. Et certes, ces joueurs sont rentrés en Chine les mains vides, mais l’essor fulgurant du snooker dans le géant asiatique laisse à penser que l’heure de la consécration est proche.