MA LI, membre de la rédaction et PEI XITING*
L’écrivain chinois Liu Zhenyun entretient une profonde relation avec la France.
Le 13 avril, le ministère français de la Culture a décerné à Liu Zhenyun, ambassadeur du festival Croisements 2018, les insignes de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres. L’ambassade de France en Chine a organisé une cérémonie de remise de décoration en son honneur à l’Institut français de Beijing. Jean-Maurice Ripert, ambassadeur de France en Chine, a déclaré à cette occasion : « Vos œuvres connaissent un immense succès parmi les lecteurs chinois, elles ont été traduites dans une vingtaine de langues, hautement appréciées par les lecteurs d’autres pays. Les critiques vous considèrent comme“le plus grand maître de l’humour chinois ”. Pour vous rendre hommage de la part de la France, je voudrais, au nom de notre ministre de la Culture, vous décerner les insignes de Chevalier l’Ordre des Arts et des Lettres. »
Fondé en 1957 en France, l’Ordre des Arts et des Lettres est la décoration honorifique suprême des milieux artistiques et littéraires décernée par le gouvernement français aux personnes qui se sont distinguées par leurs créations artistiques ou littéraires ou par leur contribution au rayonnement des arts et des lettres en France et dans le monde. Avant Liu Zhenyun, cette décoration avait été décernée aux écrivains chinois Mo Yan, Yu Hua et Bi Feiyu.
Liu Zhenyun, professeur à l’Institut des lettres de l’université Renmin et lauréat du prix littéraire Mao Dun, est un célèbre écrivain de la Chine contemporaine.Ses œuvres Peaux d’ail et plumes de poulet, Les Mandarins, Le téléphone portable, Se souvenir de 1942, En un mot comme en mille et Je ne suis pas une garce ont été traduites en français, ce qui a permis aux lecteurs français de découvrir cet écrivain chinois.
Le 16 décembre 2014, la cérémonie du 6e prix Fu Lei s’est tenue à Beijing. Liu Zhenyun était présent en tant que juge invité.
Dans les milieux littéraires de la Chine contemporaine,les œuvres de Liu Zhenyun font école car elles tirent leur matière de la vie des petites gens et re flètent l’évolution des régions rurales. Les œuvres de Liu Zhenyun se distinguent par leur réalisme teinté d’humour et d’ironie.
D’après Liu Zhenyun,la littérature, quelle que soit l’époque dont elle provient, sert de pont favorisant la compréhension mutuelle.
« Mes romans sont proches de la vie quotidienne parce qu’ils s’inspirent directement de la réalité. C’est la raison pour laquelle les lecteurs se reconnaissent facilement dans les personnages et l’environnement qu’elles présentent. »La plume de Liu Zhenyun est acerbe et dévoile la laideur et la maladie de la vie en ironisant sur ces phénomènes.Ses récits, parfois choquants, amènent les lecteurs à une profonde ré flexion. « La littérature doit re fléter son époque. Les œuvres littéraires sont les meilleurs enregistrements et témoins de l’évolution de l’époque. »C’est en tout cas vrai pour les œuvres de Liu Zhenyun qui a su leur insuf fler une incroyable vitalité.
Depuis l’une de ses premières œuvres, Peaux d’ail et plumes de poulet, Liu Zhenyun met l’accent sur les attaches innombrables qui relient un personnage à ses proches. Ses récits explorent ces relations multiples.
« L’histoire, comme la mer, est calme en apparence.Dans mes premiers romans, je ne me suis pas focalisé sur les tourbillons et les courants forts. Mais maintenant,derrière l’humour, je souhaite exprimer un humour plus profond, cela rend mes romans actuels plus intéressants que les anciens. »
Le 13 avril, Jean-Maurice Ripert, ambassadeur de France en Chine, a décerné à Liu Zhenyun les insignes de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres au nom du ministère français de la Culture.
Bien sûr, l’humour n’est pas son intention particulière. À travers les phrases humoristiques, il permet aux lecteurs de ressentir le réalisme qui est justement la caractéristique de ses œuvres.
Dans son roman En un mot comme en mille, écrit sous la forme d’un scénario, les fils conducteurs sont reliés les uns aux autres, les histoires des personnages s’enchaînent, chaque événement a son origine. Il suit le modèle typique des romans classiques chinois. Liu Zhenyun décrit dans ce roman des gens simples, qui souffrent d’une profonde solitude à cause de l’absence de loyauté résultant des différences sociales et dictée par l’intérêt individuel. Il raconte des histoires pour dévoiler la réalité de la vie quotidienne, sans critiques excessives ni exagérations. Il peint la vie des gens pour éveiller la conscience de ses lecteurs.
En 2016, En un mot comme en mille et Je ne suis pas une garce ont été adaptés au cinéma, respectivement mis en scène par Liu Yulin et Feng Xiaogang, deux célèbres réalisateurs chinois. Les milieux cinématographiques chinois ont d’ailleurs surnommé l’année 2016« l’année de Liu Zhenyun ».
En 2017, son roman intitulé L’ère des mangeurs de pastèques (The Era of Watermelon Eaters), sur lequel il travaillait depuis 2012, a en fin été publié, avec une première édition à 900 000 exemplaires.
« La littérature est le canal d’échanges le moins cher entre deux nations », a déclaré Liu Zhenyun en parlant des échanges entre la Chine et la France.
« C’est parce que nous pouvons,à travers un livre, d’Honoré de Balzac, de Victor Hugo, de Marcel Proust, d’Albert Camus ou de Jean-Paul Sartre, découvrir la vie quotidienne d’une nation. » D’après Liu Zhenyun, la littérature, quelle que soit l’époque dont elle provient, sert de pont favorisant la compréhension mutuelle. Les Français peuvent se faire une idée du passé de notre pays ou de notre nation à travers les Annales historiques de Sima Qian,les poèmes des Tang et des Song,ainsi que le Rêve dans le pavillon rouge. Dans les œuvres de Lu Xun comme dans celles des auteurs de la Chine contemporaine, le lecteur comprend tout de suite que les habitants du monde entier ont un quotidien similaire, mais avec de nombreuses différences sur les plans social, politique et religieux.
« Sept de mes romans ont été traduits en français. Les lecteurs français disent souvent que les personnages de mes romans représentent parfaitement les vrais Chinois. Seul le roman Je ne suis pas une garce fait exception. »Liu Zhenyun aime beaucoup les œuvres des grands philosophes et des écrivains français.« Beaucoup de lecteurs trouvent que certaines de ces œuvres sont verbeuses, mais moi, je ne vois pas de problème, j’aime notamment Proust et Sartre. » Liu Zhenyun affirme avoir été progressivement in fluencé par ces écrivains et penseurs français dans sa création. Cette in fluence n’est pas perceptible, mais elle est profondément ancrée dans sa conscience. « C’est la puissance de la littérature et de l’écriture. »
Cette année marque le 40eanniversaire de la mise en application de la politique de réforme et d’ouverture. Pour Liu Zhenyun, ces 40 ans ont aussi été marqués par les échanges et la fusion entre les littératures chinoise et étrangère. « De nombreuses œuvres étrangères ont fortement inlf uencé la littérature chinoise de ces 40 dernières années. Les lecteurs chinois ont pu lire certaines œuvres peu après leur publication, notamment celles écrites par des écrivains d’Amérique du Sud, d’Inde ou d’Asie du Sud-Est. » C’est également après la réforme et l’ouverture que les meilleures œuvres écrites par les écrivains chinois sont devenues accessibles à plus de lecteurs étrangers.
« L’ouverture a permis d’élargir les horizons de nos écrivains, de rendre toute la société plus tolérante et plus inclusive. Les écrivains chinois peuvent ainsi mieux exprimer leur perception du monde. »
Ses œuvres étant rattachées au « réalisme magique », Liu Zhenyun considère que les personnages de ses romans vivent dans un monde réel et magique. Lorsque ces personnages n’ont personne à qui parler en toute con fiance, Liu Zhenyun, en tant qu’auteur, se met à leurs côtés.Par le biais de la littérature, Liu Zhenyun souhaite sensibiliser de plus en plus de personnes au destin de ces personnages ordinaires.
« La France m’a décerné les insignes de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres, je souhaite partager cet honneur avec les personnages de mes œuvres et mes lecteurs à travers le monde, parce que savoir écouter est aussi une force. »
Je ne suis pas une garce, une œuvre de Liu Zhenyun
« La littérature doit se focaliser sur les vrais êtres humains, écouter et saisir les émotions et les connaissances souvent ignorées. Mais si la littérature n’était que le re flet de la vraie vie, les lecteurs n’auraient qu’à observer directement la vraie vie plutôt que de perdre leur temps à lire.Une bonne œuvre doit cristalliser et sublimer la réalité. »
En un mot comme en mille, une œuvre de Liu Zhenyun
Peaux d’ail et plumes de poulet, une œuvre de Liu Zhenyun
L’expression « Mangeurs de pastèques » est apparue sur Internet. On l’utilise pour décrire les spectateurs passionnés. Pour Liu Zhenyun,il s’agit de spectateurs qui aiment assister à une scène parce qu’elle se reproduit souvent dans la réalité. Des scènes à couper le souf fle se déroulent régulièrement dans la vie quotidienne.
Liu Zhenyun se considère comme un « mangeur de pastèques ». Il écoute souvent les opinions des gens ordinaires, puis les retransmet dans ses romans. Dans L’ère des mangeurs de pastèques, il a analysé d’un style pénétrant l’essence de cette « ère des mangeurs de pastèques » : les mangeurs de pastèques ne sont pas présents, mais existent partout ; ils restent silencieux lorsque vous vivez en paix ; mais ils peuvent semer le trouble en un clin d’œil,et même décider de votre destin lorsque vous avez un problème.
Liu Zhenyun est particulièrement fier de sa dernière œuvre dont le langage est soigneusement travaillé. « Je me suis interdit d’utiliser des adjectifs, c’est comme une fille sans maquillage. Ainsi apparaissent les compétences réelles de l’auteur. Tolstoï et Dostoïevski avaient plus de talents que les auteurs du postmodernisme et du réalisme magique. Bien sûr,la simplicité elle-même n’a aucune valeur. Il faut rendre la simplicité plus riche que la complexité pour créer l’allusion.
En Chine, Liu Zhenyun est connu. Ses œuvres re flètent la réalité de notre époque. Il a déclaré que son processus de création venait seulement de commencer. « Ce n’est pas hypocrite. Cela signifie que je porte un regard nouveau sur la création. Il faut que mes œuvres soient non seulement intéressantes, mais qu’elles s’enracinent également profondément dans la vie. »