par Lisa Carducci
Les mots ont une/ des histoire/s
par Lisa Carducci
Si les mots ont une histoire, ils ont aussi des ennemis. On appelle faux amis des mots qui existent dans deux langues avec des sens différents. C’est un piège auquel il faut porter attention quand on apprend une langue étrangère.
SI je vous demande de quelle langue et quelle région vient ie mot mafia, vous me répondrez probabiement de la langue italienne et de la Sicile. Eh bien, il semble que ce ne soit pas le cas ; ce mot viendrait de l'Italie du Nord, de la Toscane précisément, et dans cette région/ iangue, ii signifiait « misère ». À i'origine, maffia s’écrivait avec deux ff. Ce que ies Piémontais et ies Toscans définissaient comme « misère », c’était la vie en Sicile, une région alors très pauvre. Les Siciliens, de leur côté, ont fait de la mafia ieur orgueii, car i’organisation requérait de chacun de ses membres une « supériorité d'âme ». C’est le sens nouveau que ie mot prit en siciiien. La mafia est donc née du rejet par la société sicilienne des préjugés et de la supériorité venue du Nord avec i'unité itaiienne (1871). Puis, ie terme mafia s’est mis à désigner ie crime organisé siciiien.
Mais ies mots ont des histoires qui parfois se contredisent. Par exemple, on raconte que ce qui provoqua les « vêpres siciiiennes » (souièvement popuiaire, 1282) est ie vioi d’une jeune fiiie, à Paierme, par un jeune soidat français. La mère, bouleversée par l’incident, courait dans ies rues en criant : « Ma - ffia, Ma - ffia! », prononciation diaiectaie pour « mia figiia » ou « ma fiiie »). Le cri de ia mère fut répété par d'autres et se diffusa dans toute la Siciie. Le terme mafia devint ainsi ie mot d’ordre des mouvements de résistance des Siciliens et des Italiens très pauvres. Mais on raconte aussi que ie fiancé de ia jeune fiiie, Jean de Procidia, cria « Morte aiia Francia » (Mort à ia France), d’où ies cinq iettres du mot mafia.
Un autre mythe voudrait que mafia soit formé des initiales d'une secte de mercenaires regroupés autour de Giuseppe Mazzini : « Mazzini Autorizza Furti incendi Avveienamenti » (Mazzini autorise ies vois, ies incendies et ies empoisonnements).
Un autre mot itaiien empioyé non seulement en français mais dans plusieurs langues, aujourd’hui, est pizza. Le mets lui-même est probablement le plus largement répandu autour du monde. Dès le Paléolithique supérieur (45 000 à 9 000 ans avant notre ère), nos ancêtres avaient des meules de pierre dont ils se servaient pour moudre des racines féculentes. Ils cuisaient cette poudre mêlée à de l’eau sur des pierres chaudes, ce qui représente les premières fouaces ou la première forme de pain. Les Égyptiens et ies Grecs de i’Antiquité faisaient aussi du pain piat. Les Perses du Ves. avant notre ère cuisaient des galettes sur leur bouclier. Les Étrusques, en Italie, 800 ans av. notre ère, consommaient aussi des fouaces garnies. Quelques siècies pius tard, ies Grecs commencèrent à garnir ia fouace avant de la cuire, et l’appelèrent planctunos. Le mot fouace ou fougasse vient de focus, le feu.
En latin on parla de panis (pain) focacius /focus (four/ feu). Et des textes de 200 ans avant notre ère parient de pain rond et plat, garni d’huile d’olive, de miel et d’épices, cuit sur la pierre. La « chose » prit différents noms selon les régions, comme pitta inchiusa en Calabre. Schiacciata en Toscane.
Ce pain plat se répandit avec ses divers noms : pitta, pizza, placuntos, schiacciata, fougasse, focaccia, et placenta. Le pain pita d’aujourd’hui a la même origine. La pizza, tout comme la nang des Ouigours, servait d’assiette aux aliments cuits en même temps et qui la garnissaient.
Si les mots ont une histoire, ils ont aussi des ennemis. On appelle faux amis des mots qui existent dans deux langues avec des sens différents. C’est un piège auquel il faut porter attention quand on apprend une langue étrangère. Les faux amis s’appellent en anglais des pittfalls. Prenons le mot altération. En français, ce mot désigne toujours un changement négatif : on dit d’un mets, d’un tableau, ou d’un vin qu’ils sont altérés quand ils sont gâtés. En anglais, le sens est neutre : un changement, une modification, que ce soit pour ie mieux ou pour le pire. Donc, on peut faire en anglais une altération sur un vêtement trop grand, mais pas en français !
J’invite particulièrement les lecteurs qui connaissent aussi l’anglais à chercher la différence de sens entre les faux amis anglais et français suivants : to achieve et achever ; actually et actuellement ; presently et présentement ; eventuaiiy et éventueiiement ; affluence et affluence ; battery et batterie ; commodity et commodité ; expertise et expérience.
Ainsi prend fin notre entretien de 2016 sur la langue. CA