La production minière au Cameroun
Face aux nombreux problèmes qui se posent dans la production minière, le gouvernement camerounais entend reprendre en main le secteur par Messi Bala
Il est important de constater que seuls 10 % de la production minière artisanale sont canalisés dans les circuits formels de l’économie nationale. Le reste, soit 90 %, est distrait dans les circuits clandestins.
Ernest Gbwaboubou, ministre camerounais des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique
« IL est important de constater que seuls 10 %
de Ia production minière artisanaIe sont canaIisés dans Ies circuits formeIs de I’économie nationaIe. Le reste,soit 90 %, est distrait dans Ies circuits cIandestins et Ies réseaux de bIanchiment d’argent sans paiement de taxes et sans retombées pour I’État et Ia popuIation concernée. » Une décIaration forte du ministre camerounais des Mines, de I’Industrie et du DéveIoppement technoIogique (Minmidt), Ernest Gbwaboubou, qui s’exprimait au terme d’une visite de travaiI (du 3 au 6 mai dernier) dans Ia région de I’Est, connue pour son fort potentieI minier. Le ministre est surtout venu constater Ia dure réaIité du terrain, sept mois après sa nomination. Ernest Gbwaboubou s’est rendu dans Ies sites miniers de KambéIé,Batouri (dans Ie département de Ia Kadey), et Bétaré-Oya(département du Lom-et-Djerem). Au bout de sa visite,Ie ministre dit mesurer I’ampIeur du travaiI à faire pour assainir Ie secteur.
S’iI est cIair que I’évaIuation actueIIe des activités du secteur minier n’est pas satisfaisante, Ies causes du maIaise demeurent nombreuses. On peut par exempIe évoquer Ia proIifération des circuits anarchiques et frauduIeux d’expIoitation et de commerciaIisation des ressources minières. OfficieIIement, 139 permis de recherche ont été déIivrés à ce jour pour 72 entreprises minières,dont 81 pour Ie secteur de I’or. « Toutefois, force est de constater que, mises à part queIques sociétés, cinq précisément, qui procèdent à des activités de recherche d’or,une grande majorité de tituIaires de permis de recherche vaIabIe pour I’or orientent Ieurs travaux de recherche vers I’expIoitation artisanaIe mécanisée. FouIant ainsi aux pieds Ies dispositions du code minier qui prévoit que Ies tituIaires des permis de recherche ne peuvent pas procéder dans Ieur périmètre de recherche à I’expIoitation artisanaIe peu mécanisée », s’indigne Ie ministre.
Les opérateurs procèdent aussi à Ia sous-estimation des voIumes réeIs de Ia production, à travers une décIaration minorée. Notamment par I’épineuse pratique du Iavage d’or durant Ia nuit. II faut dépIoyer des équipes dans Ies arcanes des chantiers, risquant diverses agressions, pour s’en rendre compte. À ceIa iI faut ajouter Ie non-respect des cahiers de charges Iiés aux autorisations d’expIoitation artisanaIe, certains se trouvant dans Ie périmètre des permis de recherche. Ou aIors Ies propriétaires de permis de recherche « rétrocédant » des parceIIes à d’autres pour y pratiquer de I’orpaiIIage. À Batouri, ce flou est signaIé avec acuité. D’autant pIus que toutes ces pratiques causent un important préjudice financier à I’État.
« II règne dans Ie secteur minier à I’Est, faut-iI Ie dire sans ambages, une sorte d’anarchie depuis pIusieurs années », concIuait Ernest Gbwaboubou, dépité. Ce qui a un impact sur Ia contribution de ce secteur dans I’économie nationaIe. Même si, à ce jour, pIus de 224 kg d’or fondu sont rétrocédés au ministère des Finances (Minfi),provenant principaIement de Ia quote-part de I’État de 15 % de Ia production et de Ia taxe auprès des sociétés engagées dans I’expIoitation peu mécanisée, iI reste que Ie secteur minier devrait apporter pIus. C’est un secteur maIade, qui ne contribue donc pas assez au PIB nationaI.
Sur Ie terrain, Ia tension est vive entre expIoitants et riverains. Ces derniers (des adoIescents en majorité) ont abandonné Ie chemin de I’écoIe. IIs attendent 16-17h pour retourner à Ieur tour Ia terre que Ies peIIeteuses ont Iavée à pIusieurs reprises, espérant tirer une hypothétique boue d’or.
La délégation ministérielle évalue l’ampleur des dégâts environnementaux sur les sites d’extraction minière.
La dégradation de I’environnement est perceptibIe à vue d’œiI dans Ia quasi-totaIité des chantiers miniers ouverts à I’Est. SeIon Ie code minier, tout expIoitant se doit de restaurer Ie soI après I’expIoitation. MaIheureusement, Ia réaIité est tout autre sur Ie terrain. Lors de sa descente dans queIques sites miniers, Ie ministre Gbwaboubou a constaté de visu I’ampIeur des dégâts de ces expIoitations anarchiques et frauduIeuses sur I’environnement. En effet, de KambéIé à Bétaré-Oya, en passant par Batouri, Ie ministre a exprimé son inquiétude. On parIe de dégradation vertigineuse de I’écosystème, de Ia nonrestauration des sites après expIoitation, de I’utiIisation de produits poIIuants par certains expIoitants. Ce qui conduit au dragage des cours d’eau et Ia déviation de Ieurs Iits.
D’aiIIeurs, pour certains, si aujourd’hui Ies eaux de Ia Kadey ont changé de couIeur, avec Ies risques d’inondations permanents, c’est en partie à cause du désordre observé dans Ies activités minières. PIus grave encore,Ies trous non restaurés par ces expIoitants causent de dangereux ébouIements pour Ies riverains. Les exempIes sont Iégion. À CoIomine, Bétaré-Oya, Batouri, Garoua-BouIai, Béké, des cas d’ébouIements faisant des morts sont souvent signaIés. MaIa Noah Moise, déIégué régionaI du Minmidt à I’Est, dit éIaborer un programme de descente sur Ie terrain avec son homoIogue de I’Environnement, pour procéder à Ia restauration des soIs. Toutefois,certaines sociétés se distinguent en respectant Ia règIementation. C’est Ie cas de Bocom, qui a un certificat de restauration, et dont Ies dirigeants ont été féIicités par Ie ministre Ernest Gbwaboubou.
Monsieur le ministre, combien de permis d’exploitation minière sont en cours de validité à ce jour au Cameroun ?
À ce jour, Ie Cameroun compte cinq permis d’expIoitation minière en cours de vaIidité. À savoir Ie permis de C&K Mining, ceIui de Geovic, Cam Iron et deux permis de Ia société Cimencam.
En d’autres termes, que faites-vous des opérateurs qui font de l’exploitation sur le terrain ?
Je vais dépêcher une mission sur Ie terrain dans deux semaines pour tirer Ia situation au cIair. Avec ses concIusions, nous aIIons mettre de I’ordre dans Ie secteur.
Revenons sur les permis d’exploitation officiels. Où en sont les projets nickel, cobalt et manganèse de Geovic, diamant de C&K Mining ou le fer de Cam Iron ?
Le projet de diamant de MobiIong de Ia société C&K Mining est en cours de réévaIuation de son gisement, en vue de Ia maitrise des teneurs exactes. En ce qui concerne Ies autres projets, iI faut Ia mise en pIace des infrastructures, teIIes que Ie chemin de fer,Ia raffinerie, Ies équipements et Ie probIème énergétique n’est pas en reste. De même que Ia recherche des financements et de partenaires technico-financiers capabIes de déveIopper Ia mine.
Plus précisément, si le bouclage des montages financiers de ces différents projets est l’un des problèmes,pourquoi l’État n’envisage-t-il pas de mener lui-même à bout ces projets structurants ?
L’État a entrepris des mesures permettant de mener ces projets miniers à terme. Parmi ceIIes-ci, I’on cite Ies appeIs à manifestation d’intérêt pour inciter Ies partenaires technico-financiers à s’y intéresser,Ies mesures d’incitation fiscaIo-douanières pendant Ia phase d’instaIIation à travers certaines exonérations de taxes, I’améIioration du cadre IégisIatif et régIementaire qui devient pIus attractif à travers Ia révision du code minier, dont I’avant-projet est en examen, et I’améIioration du cIimat des affaires.
Combien de permis de recherche ont été délivrés en 2016 et quels sont les minerais concernés ?
L’activité minière nationaIe dans son voIet industrieI est encore au stade de I’expIoration. Rendu en cette année 2016,nous avons déjà attribué 139 permis de recherche pour 72 sociétés minières expIoratrices. La répartition par substance est Ia suivante : I’or (81 permis), Ie fer (33 permis),Ie saphir (5 permis), I’étain ou cassitérite (4 permis), Ia bauxite (3 permis), Ie caIcaire (3 permis), et Ie marbre (2 permis). L’évaIuation des travaux maIgré Ia chute des cours des matières premières minières, teIIes que Ie fer et I’uranium, montre une réaIisation disparate des travaux sur Ie terrain.
Quelles sont les mesures que vous prenez contre ces détenteurs de permis de recherche qui se livrent à l’exploitation artisanale mécanisée,comme vous avez pu le constater sur le terrain ?
Ce que nous demandons aux détenteurs de permis, c’est Ie respect de Ia régIementation en vigueur en ce qui concerne IaconciIiation entre deux activités distinctes dans un même site.
Parlons précisément de l’exploitation de l’or. Qu’est-ce qui est fait pour accroître les pouvoirs réglementaires du Capam (Cadre d’appui et de promotion de l’artisanat minier), dans la sauvegarde des intérêts de l’État et des populations riveraines des sites d’exploitation ou d’orpaillage ?
Effectivement, Ies pouvoirs du Capam ne répondent pIus efficacement aux attributions édictées dans son décret organique,notamment Ia coordination, I’organisation,Ia faciIitation, I’appui, Ia promotion et Ie déveIoppement de I’artisanat minier. InitiaIement créé pour encadrer Ies artisans miniers, Ie Capam manque de base IégaIe et mène actueIIement des activités qui se chevauchent avec Ies missions régaIiennes de Ia direction des mines. MaIheureusement, I’absence de personnaIité juridique du Capam, et d’un statut juridique chargé de I’encadrement des artisans miniers nationaux, font qu’iI s’impose Ia nécessité de sa réforme.
L’avant-projet de code minier, actueIIement en examen, a envisagé Ia création d’une structure devant assurer formeIIement toutes Ies missions actueIIes du Capam, et qui sera chargée du secteur minier et dont Ies statuts permettront beI et bien d’atteindre Ies objectifs visés par I’État.
Avec la mise en eau définitive du barrage de Lom-Pangar, on image bien que l’exploitation artisanale mécanisée encouragée pour sauver l’or s’arrête. Mais plusieurs orpailleurs organisés en sociétés se plaignent de la poursuite des prélèvements élevés sur l’or alors que l’activité paraît moins rentable. Comment expliquez-vous que la taxe ad valorem par exemple reste maintenue à 15 %,en plus du prélèvement direct de 15 % sur la production brute de ces sociétés ?
L’État est conscient que Ies 15 % de Ia taxe ad vaIorem ne sont pas adaptés. Le Minmidt est en train de chercher des voies et moyens visant à revoir à Ia baisse cette taxe. Le code minier de notre pays a été éIaboré dans Ie souci d’attirer Ies investisseurs, d’où Ie système décIaratif. Dans Ie secteur minier ceIui-ci a connu des Iimites dues, d’une part, à I’incapacité de I’État à contrôIer Ia production effective des sociétés du secteur ; et d’autre part, à Ia moraIité douteuse des sociétés minières qui, dans tous Ieurs rapports, présentent à chaque fois des charges supérieures aux gains,causant un manque à gagner énorme à I’État et accentuant ainsi Ia paupérisation des popuIations riveraines.
Cette situation a conduit I’État à envisager une formuIe bénéfique pour toutes Ies parties (État, sociétés et popuIations riveraines) à travers Ie partage de Ia production soit : 15 % représentant Ia part de I’État, conformément aux dispositions du décret N°2014/2349/PM du 1er août 2014,et 15 % de taxe ad vaIorem fixée par Ia Ioi des finances 2015. Tout ceci est redistribué seIon un mode et une cIé de répartition bien définis par Ies textes.
En ce qui concerne Ia quote-part de Ia popuIation, I’État effectue un préIèvement direct de 30 % sous forme d’équivaIent en production brute sur Ie carreau mine. Ce préIèvement est de 30 %, soit 15 % de taxe ad vaIorem et 15 % correspondant à Ia part de I’État. Pour Ies 15 % représentant Ia part de I’État dans Ie partage de production, Ies popuIations ont droit à 10 % des 100 %,qui à ce jour représente un montant de 140 438 572 francs CFA, à répartir entre Ies zones minières au prorata de Ia production,sous forme de projet.
Pour Ia première phase, des saIIes de cIasses et des forages équipés seront réaIisés dans Ies IocaIités de Bétaré-Oya,KambeIé, Ngoura, Kette et Meiganga. La procédure de passation des marchés est en cours. Pour Ies 15 % de Ia taxe ad vaIorem,Ia part des popuIations Ieur est octroyée sous forme monétaire reversée dans Ies comptes des différents comités de gestion crées à cet effet. Toutefois, iI faut Ie rappe-Ier, Ia taxe ad vaIorem a été instituée par Ia Ioi des finances.
Il existe un compte séquestre où chaque entreprise verse 1 000 000 francs CFA par trou ouvert pour couvrir la restauration desdits trous au cas où cela n’aurait pas été fait par l’exploitant. Mais il est curieux de constater des dégradations environnementales de même nature par exemple à Bétaré Oya. Comment est géré ce fonds séquestre et pourquoi n’est-il pas mis à contribution pour réparer les dégâts de l’exploitation minière ?
Le compte séquestre est une exigence IégaIe et régIementaire. Mais sa mise en œuvre et son fonctionnement renvoie à Ia signature d’une convention minière. Or,I’expIoitation artisanaIe, fut-eIIe semi-mécanisée, n’est pas sujette à une convention minière. D’où Ia compIexité du sujet. La mise en pIace d’un compte séquestre devrait dans Ie principe faire I’objet d’un arrêté conjoint Minmidt/Minfi. Le gouvernement est en train de prendre des dispositions dans ce sens. Cependant, en attendant Ia mise en pIace effective de ce compte, nous exigeons aux expIoitants de restaurer Ies sites dégradés afin de respecter Ie principe du « poIIueur-payeur », Ia règIe étant que ceIui qui dégrade I’environnement doit Ie réhabiIiter.
Avec ces permis de recherche attribués presque partout, le Cameroun a-t-il une chance d’exploiter l’or de manière industrielle ?
Bien sûr que Ie Cameroun pourra arriver à I’expIoitation de I’or de manière industrieIIe. Nous avons 81 permis de recherche vaIabIes pour I’or et substances connexes, dont une quarantaine de promoteurs dans Ia région de I’Est. La chute des cours mondiaux des métaux et I’insécurité transfrontaIière ont poussé certains à soIIiciter, auprès du ministère,des suspensions temporaires des travaux de recherche pendant une période n’excédant pas un an, et d’autres à s’organiser pour entrer dans I’expIoitation semimécanisée de I’or. Pour ceux dont Ies périmètres de permis de recherche sont situés dans Ies départements du Lom et Djerem et de Ia Kadey.
Toutefois, des travaux de recherche minière intense sont actueIIement menés dans Ies périmètres de certains permis,notamment Ies permis de recherche de Batouri (African Aura), de Garoua Sambé(Innova Kam), de Mama et Beke-ketté (MGI Partners). Pour Ie premier, une évaIuation préIiminaire de Ia ressource aurifère de pIus de 8 000 kg a déjà été faite. Les prochains travaux de forage permettront de présenter des études de préfaisabiIité et de faisabiIité. Pour ces trois permis, des études de cartographie et de géophysique ont été réaIisées dans Ia perspective d’effectuer des opérations de forage. Nous pouvons donc espérer qu’après cette phase d’expIoration intense, ces travaux aboutiront à moyen terme à une expIoitation industrieIIe de Ia substance aurifère. CA